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Chaque fois qu’il avait pensé à Uzure, il l’avait imaginée nimbée d’une sorte de halo. Ça venait de la façon dont les gens en parlaient. Il avait imaginé Uzure sous la forme de mille lieux étranges, mais jamais rien d’aussi simple : une ville ordinaire, à plus grande échelle, avec davantage de gens et de statues.

Caréus le conduisit à une caserne située juste aux abords de la cité impériale, et ils finirent par se retrouver devant une table en plein air, où un petit Dumii maigrichon était assis derrière une pile de paperasses. Des estafettes venaient prendre sans cesse des papiers sur la table, mais d’autres en apportaient systématiquement de nouveau. L’homme semblait éreinté.

— Oui ? s’enquit-il.

— Je suis… commença le sergent.

— Ça n’est plus possible, les gens entrent ici comme dans un moulin. Je suppose que vous n’avez pas de papiers, vous non plus ? Si ? Eh non, bien sûr. (Le petit homme remua sa paperasse avec une mine agacée.) On me demande de rester à jour, comment voulez-vous que je reste à jour, vous croyez que c’est comme ça qu’on dirige une armée ? Bon, alors, votre nom, votre grade. Le nom, le grade ?

Le sergent leva la main. Un instant, Snibril crut qu’il allait frapper le maigrichon, mais le geste se changea en salut.

— Sergent Caréus, Quinzième Légion, annonça-t-il. Nous sommes cantonnés en dehors de la ville, les survivants du moins. Vous comprenez ce que je veux dire ? Je demande la permission d’entrer dans la caserne. Nous avons livré bataille…

— Quinzième Légion, Quinzième Légion… répéta le maigrichon en fouillant dans sa paperasse.

— Nous avons reçu l’ordre de revenir, insista Caréus. Une estafette est venue nous voir. Rentrez tout de suite à Uzure. Nous avons dû nous battre sur la plus grande partie du…

— De nombreux changements sont intervenus, annonça le trieur de paperasse.

Le ton de sa voix fit naître chez Snibril une sensation proche de celle qui annonçait l’approche du grand Découdre.

— Quel genre de changements ? demanda-t-il vivement.

L’homme leva la tête vers lui.

— Qui est-ce ? s’enquit-il avec un air soupçonneux. Il m’a l’air un peu… indigène.

— Ecoutez, expliqua patiemment Caréus. Si nous sommes revenus de si loin, c’est que…

— Ah oui, cette histoire de grand Découdre, répondit le maigrichon. Tout est réglé. On a signé un traité.

— Un traité ? Avec le grand Découdre ? s’exclama Snibril.

— Un traité de paix avec les moizes, évidemment. Mais vous n’êtes donc au courant de rien ?

Snibril ouvrit la bouche. Caréus l’empoigna par le bras.

— Oh, dit-il à haute et intelligible voix. Ah bon ? Mais c’est parfait, tout ça. Nous n’allons pas vous déranger plus longtemps. Allons, venez, Snibril.

— Mais… !

— Je suis sûr que ce monsieur a des choses très importantes à faire avec tous ses papiers, insista le sergent.

— Mais pourquoi avez-vous agi ainsi ? s’étonna Snibril dès que le sergent lui eut fait quitter les lieux.

— Parce que si on veut apprendre quelque chose, on y arrivera pas en forçant ce clerc à bouffer tous ses papelards, expliqua Caréus. On va fureter un brin, se faire une idée de la situation, découvrir ce qui se passe… et à ce moment-là, oui, peut-être qu’on pourra revenir lui faire bouffer tous ses papelards.

— Je n’ai pas vu beaucoup d’autres soldats ! fit Snibril.

— Quelques gardes, c’est tout, acquiesça Caréus tandis qu’ils sortaient précipitamment.

— Les autres légions ne sont probablement pas encore rentrées.

— Vous êtes sûr qu’elles arriveront un jour ?

— Comment ça ?

— Nous avons croisé votre route et celle des tout p’tits. Si ça avait pas été le cas, je crois pas que nous serions arrivés jusqu’ici, expliqua Caréus, la mine sombre.

— Vous voulez dire que… nous sommes les seuls ?

— Ça se pourrait bien.

Et nous comptons moins d’un millier d’hommes, se dit Snibril. Comment peut-on signer un traité de paix avec les moizes ? Il n’y a que la destruction qui les intéresse. Pourquoi seraient-ils venus ici signer des traités ?

L’armée établit son cantonnement sous les poils. Comme le déclara un Fulgurogne, c’était difficile de se sentir en confiance quand on était cerné par l’ennemi, surtout quand il était du même côté que vous. Mais il le dit quand même en souriant.

C’est alors que plusieurs groupes ramassaient dans les poils du bois pour le feu qu’ils découvrirent les pones.

Il y en avait une douzaine. Grâce à leur taille énorme, les pones n’avaient aucune difficulté à se cacher sur le Tapis. On croit toujours que ce sont les petits objets qui se cachent le plus aisément. Mais dissimuler des objets qui sont trop gros pour qu’on les remarque est presque aussi facile. Les pones ressemblaient à des buttes, sauf qu’elles broutaient et qu’elles laissaient échapper des rots sporadiques. Elles tournèrent collectivement la tête pour regarder leurs découvreurs, laissèrent échapper un rot et détournèrent la tête.

On aurait dit qu’elles avaient reçu pour consigne d’attendre quelqu’un.

Apothicaire, proclamait la pancarte en devanture de la boutique. Ce qui signifiait que le propriétaire était une espèce de pharmacien primitif qui vous fournirait herbes et autres remèdes jusqu’à ce que vous vous rétablissiez… ou, du moins, que votre état cesse d’empirer.

L’apothicaire se nommait Biglechouette. Il chantonnait tout seul en œuvrant au fond de son arrière-boutique. Il venait de découvrir une toute nouvelle peluche bleue, qu’il était en train de réduire à l’état de poudre. Elle était sûrement bonne à quelque chose. Il devrait la tester sur les gens jusqu’à ce qu’il découvre à quoi.

Une main se posa sur son épaule.

— Hmmm ? fit-il.

Il se retourna. Il regarda par-dessus ses besicles, constituées de deux rondelles de vernis soigneusement poli.

— Forficule ! s’exclama-t-il.

— Baisse la voix ! Nous sommes passés par-derrière.

— Ma parole, ça ne me surprend pas de ta part. Ne te fais pas de soûci, il n’y a personne dans la boutique.

Son regard se posa derrière Forficule sur Glurk, Fléau et Brocando.

— Ma parole, répéta-t-il. Après tout ce temps… Enfin… Bienvenue. Cette maison est la tienne. (Son front se plissa soudain et il parut troublé.) Uniquement dans un sens métaphorique, bien entendu, parce que, bien que j’admire ta démarche franche, et même ton attitude volontaire, je n’irai pas jusqu’à te céder ma maison pour de bon, après tout, c’est la seule que je possède, et donc cette formule t’est adressée, comment dire ? de façon assez gratuite…

Biglechouette avait, à l’évidence, du mal à conclure sa phrase. Glurk frappa sur l’épaule de Forficule.

— Lui aussi, c’est un philosophe, non ?

— Tu t’en es aperçu, hein ? répondit Forficule. Euh… Biglechouette… Je te remercie.

L’apothicaire abandonna la lutte et sourit.

— Nous avons besoin de nourriture, expliqua Forficule. Et surtout…

— … d’informations, compléta Fléau. Que se passe-t-il, ici ?

— Par quoi préférez-vous commencer ? s’enquit Biglechouette.

— Par la nourriture, trancha Glurk.

Les autres le foudroyèrent du regard.

— Ben… Je croyais qu’il me regardait quand il a posé la question, expliqua Glurk.

— Faites comme chez vous, lança Biglechouette. Enfin, évidemment, quand je dis comme chez vous, je ne veux pas littéralement dire…

— Oui, oui, merci beaucoup, coupa Forficule.