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Biglechouette fourragea dans un placard. Glurk contempla les fioles et les pots qui encombraient l’arrière-boutique. Dans certaines fioles, des choses lui rendirent son regard.

— Biglechouette et moi avons été à l’école ensemble, expliqua Forficule. Et puis Biglechouette a décidé qu’il allait étudier le Tapis. Sa composition. Les propriétés des différents poils. Les animaux rares et bizarres. Tout ça, quoi.

— Et Forficule a décidé, lui, d’étudier les gens, compléta Biglechouette en émergeant avec une miche de pain et un peu de beurre. Et on l’a condamné à mort pour avoir traité le dernier Empereur de… de… C’était quoi, au fait ?

— Bah, il le méritait bien, répondit Forficule. Il me refusait l’argent nécessaire à l’entretien de la Bibliothèque. Tous les livres tombaient en poussière. C’était mon travail, je devais la préserver. C’est la connaissance. Il m’a répondu qu’on n’avait pas besoin d’un tas de vieux bouquins, qu’on savait tout ce qu’il y avait à savoir. J’essayais simplement de lui faire comprendre qu’une civilisation a besoin de livres si les échanges d’opinions doivent continuer à être raisonnés et étayés par les faits.

— J’essayais de me souvenir de quoi tu l’as traité.

— De sybarite ignorant, plus borné qu’une tourte.

— Ça semble plutôt sévère de condamner quelqu’un à mort pour ça, jugea Glurk en posant la miche sur son assiette.

Il n’arrêtait pas de se retourner pour jeter un coup d’œil à la jarre dans son dos. Elle contenait une créature velue.

— En fait, c’est pour ses excuses qu’on l’a condamné à mort, précisa Biglechouette.

— Comment peut-on condamner quelqu’un à mort pour avoir présenté ses excuses ?

— Il a dit qu’il regrettait ses paroles, parce que, après réflexion, il reconnaissait que l’Empereur était exactement aussi borné qu’une tourte, continua Biglechouette. Certes, il avait pris ses jambes à son cou pour le dire.

— On appelle ça une démarche philosophique, se rengorgea Forficule.

— Vous avez insulté l’Empereur ? intervint Brocando. Pourquoi ne pas l’avoir dit plus tôt ? Je ne pouvais pas deviner que vous étiez une célébrité.

— Et psychologue, en plus. Le père de Targon était la honte de l’Empire, renchérit Fléau.

— Où t’es-tu caché tout ce temps ? demanda Biglechouette, en approchant une chaise. Bien sûr, quand je dis caché, je ne sous-entends…

— Oh, dans un petit coin dont personne n’a entendu parler, répondit Forficule.

— Ça vous dérange si j’oriente ce pot dans l’autre sens ? demanda Glurk. Je n’aime pas qu’on me regarde quand je mange.

— Que se passe-t-il à Uzure ? coupa Fléau. Il n’y a presque plus de gardes aux portes. C’est un scandale. Les gens ne savent donc pas ce qui se passe ? L’Empire est attaqué. Mon Empire !

— Si personne ne mange ce bout de fromage, passez-le donc par ici, suggéra Glurk.

— On est au courant, répondit Biglechouette. Mais l’Empereur affirme qu’Uzure ne risque absolument rien. Ses nouveaux conseillers en sont certains, apparemment.

— Des conseillers ? demanda Forficule.

Ce mot pesait comme un bloc de gravier.

— Vous n’auriez pas des cornichons qui traînent quelque part ? s’enquit Glurk.

— Des conseillers, répéta Fléau. Et est-ce que quelqu’un les a… vus, ces conseillers ?

— Je ne crois pas, répondit Biglechouette. J’ai entendu dire que le général Vagérus avait été cassé pour avoir rappelé les légions. L’Empereur a jugé qu’il créait sans raison un climat d’inquiétude. Et les gardes qui entourent le palais ne laissent entrer personne.

— Et les concombres, il en reste ?

— Ils opèrent toujours ainsi, conclut Fléau. Vous le savez. De l’intérieur. Comme à Périlleuse. Et sur la Terre de la Grand-Porte.

— Qui ça ? Les concombres ? s’étonna Glurk.

— Oui, mais pas à Uzure, s’indigna Forficule. Pas ici. Je ne peux pas y croire. Pas en plein cœur. Enfin, quand même pas ?

— Qui penserait à regarder au centre ? fit observer Fléau.

— D’ailleurs, je n’aurais jamais cru en trouver à Périlleuse, ajouta Brocando.

— Dites… On parle toujours de concombres ?

— D’accord, mais pas… A Uzure, s’entêta Forficule.

— Tu n’y crois pas ? J’aurais dit la même chose pour Périlleuse, rappela Brocando.

— Vous ne parlez plus de concombres, là ? supputa Glurk.

— Que faut-il faire ? demanda Forficule.

— Les tailler en rondelles ! rugit Glurk en brandissant un concombre.

Fléau posa la main sur son épée.

— Oui, dit-il. Je savais que ça arriverait. Uzure a été une grande ville. Nous avons combattu pour certaines choses. Et quand nous les avons obtenues… Nous nous sommes endormis sur nos lauriers. Terminés les efforts. Oublié notre orgueil. Envolée notre rectitude. Rien que de jeunes Empereurs grassouillets et des courtisans bornés. Eh bien, plus question que ça continue. Pas à Uzure. Allons-y.

Il se leva.

— Oh non, l’arrêta Forficule. Qu’as-tu l’intention de faire ? Foncer sur le palais en agitant ton épée et en tuant tous les moizes que tu verras ?

Brocando se mit debout à son tour.

— Excellente suggestion, dit-il. Un plan impeccable. Je suis bien content qu’on ait réglé cet aspect des choses. Allons…

— Mais c’est idiot ! s’écria Forficule. Ce n’est pas un plan ! Dis-leur, Glurk. Tu es un homme sensé.

— Oui, c’est idiot, confirma Glurk.

— On va d’abord terminer notre collation, décréta Glurk. On attaquera le palais ensuite. C’est pas bon, d’attaquer le ventre vide.

— Déments ! se désola Forficule.

— Ecoutez, lança Fléau en se levant de table. Vous savez ce qu’elle a dit. Rien n’est trop petit pour faire la différence. Une seule personne à l’instant propice.

— Nous sommes trois, compléta Brocando.

— C’est encore mieux !

— Oh, bon sang de poil ! Je suppose qu’il vaut mieux que je vous accompagne, soupira Forficule. Ne serait-ce que pour m’assurer que vous ne faites pas de bêtises.

— Je peux venir aussi ? demanda Biglechouette.

— Tu vois ? triompha Fléau. Imagine les changements que cinq personnes vont opérer. Si nous nous trompons, ça importera peu. Mais si nous ne nous trompons pas… que peut-on faire d’autre ? Courir dans tous les sens ? S’égosiller ? Tenter de lever une armée ? Réglons donc le problème tout de suite.

— Cela dit, les murailles du palais sont trop hautes. Et très épaisses, fit observer Forficule.

— Personne ne pourrait arrêter une pone qui a décidé d’aller quelque part, répondit Fléau. Ni m’arrêter, moi !

— Je m’étais toujours posé la question, marmonna Brocando, dans le soudain silence. J’ai la réponse, maintenant.

— Quelle réponse, bon sang de poil ? demanda Forficule, complètement perturbé.

— Comment les Dumiis ont conquis le Tapis, répliqua le roi. C’était parce qu’une fois de temps en temps, ils raisonnaient comme ça.

Au bout de quelques instants, Glurk posa sa question.

— Et pour entrer dans la ville, quelqu’un a une suggestion ?

19

Snibril faisait des découvertes, lui aussi. Il découvrait la puissance des sergents.

Caréus avait déniché les cuisines du palais, parce que les sergents connaissent toujours le chemin des cuisines. C’était une longue pièce basse de plafond, flanquée d’une demi-douzaine de cheminées et coiffée d’un plafond noirci de suie.