Il est l’homme choisi par Dieu pour régner.
Et lorsqu’il regarde autour de lui, il découvre l’émotion de la reine, des courtisans.
Personne ne peut échapper à ce moment, que closent le lâcher et l’envol de plusieurs centaines d’oiseaux.
Les acclamations submergent le roi et la reine lorsqu’ils apparaissent sur le parvis de la cathédrale.
« Il est bien juste que je travaille à rendre heureux un peuple qui contribue à mon bonheur », écrit Louis XVI à Maurepas qui n’a pas assisté à la cérémonie.
« J’ai été fâché que vous n’ayez pas pu partager avec moi la satisfaction que j’ai éprouvée ici », conclut Louis.
Il a refoulé au fond de lui les inquiétudes, la crainte que ne se développe cette « fermentation » des esprits que notait le marquis de Mirabeau.
Et il oublie pour quelques jours les « affaires » qu’il faut trancher. Il veut répondre aux attentes du peuple, faire son bonheur.
« La besogne est forte, mais avec du courage et vos avis, dit-il à Maurepas, je compte en venir à bout. »
La jeune reine – vingt ans ! – partage cette émotion et ces bonnes résolutions.
« C’est une chose étonnante et bien heureuse en même temps, écrit-elle à l’impératrice Marie-Thérèse, d’être si bien reçus deux mois après la révolte et malgré la cherté du pain… Il est bien sûr qu’en voyant des gens qui dans le malheur nous traitent aussi bien, nous sommes encore plus obligés de travailler à leur bonheur.
« Le Roi m’a paru pénétré de cette vérité.
« Pour moi je suis bien sûre que je n’oublierai jamais de ma vie la journée du sacre. »
On quitte Reims dans l’après-midi du 15 juin 1775, pour gagner d’abord Compiègne.
Les carrosses roulent joyeusement grand train.
« Je suis libre de toutes mes fatigues », dit Louis.
« J’espère que vous avez pensé aux moyens dont nous avons parlé ensemble », ajoute-t-il en s’adressant à Maurepas.
Il s’agit toujours du bonheur du peuple.
« J’y ai pensé de mon côté autant que j’ai pu dans la foule des cérémonies. »
À cet instant tout lui semble possible, puisque Dieu l’a choisi.
On va être reçu par Paris.
La foule est encore là, devant Notre-Dame, puis à l’Hôtel de Ville, mais l’averse rageuse la disperse.
Il est prévu de faire une halte devant le collège Louis-le-Grand, cœur de l’Université.
Le carrosse s’arrête, mais la pluie est si forte que ni le roi ni la reine ne descendent de voiture.
On se contente d’ouvrir la portière.
Un jeune homme est là, agenouillé sur la chaussée, entouré de ses maîtres.
Il attend le carrosse depuis plus d’une heure.
Il est trempé, immobile sous l’averse, cheveux collés au front, vêtements gorgés d’eau.
Meilleur élève de la classe de rhétorique du collège, il a été choisi pour lire un compliment aux souverains.
Il lit. La pluie étouffe sa voix.
Il est né à Arras le 6 mai 1758. Il n’est que de quatre ans le cadet du roi. Il veut être avocat.
Il se nomme Maximilien Robespierre.
6
Louis XVI ne s’est pas attardé devant le collège Louis-le-Grand. Il n’a prêté qu’une attention distraite à ce jeune homme agenouillé sous l’averse. À peine si l’on a entendu dans le carrosse sa voix aiguë.
La reine rit aux propos de la princesse de Lamballe sa confidente, son amie, à laquelle elle veut faire attribuer la charge de surintendante de la Maison de la reine.
Turgot s’oppose à cette résurrection, inutile, coûteuse – 150 000 livres de traitement ! – au moment où il tente d’imposer des économies, de mettre fin à ces libéralités royales qui achèvent de creuser le déficit.
Maurepas appuie Turgot, mais comment résister à Marie-Antoinette ?
« Que dire à une reine qui dit à son mari, devant moi, confie Maurepas, que le bonheur de sa vie dépend de cela ? Ce que j’ai pu faire, c’est de leur faire honte en les obligeant de tenir secret tout l’argent qu’il en coûte pour cet arrangement. Le public est en courroux de ce qu’on lui a avoué. On ne lui a pas tout dit… Ce serait bien pis encore si l’on savait à quel point la princesse de Lamballe et son beau-père le duc de Penthièvre ont fait les dédaigneux, et que ce n’est qu’à force d’argent qu’on les a fait consentir. »
Il faut donc céder à la reine, qui intervient de plus en plus dans le jeu politique, pesant sur le roi, hostile aux réformes de Turgot, soucieuse de défendre la politique autrichienne et donc favorable à un affrontement avec l’Angleterre qui se dessine.
On aide les colonies anglaises d’Amérique qui, le 4 juillet 1776, ont proclamé leur indépendance. Et le 24 décembre, leur envoyé, Benjamin Franklin, est à Versailles, délégué de ses Insurgents, pour lesquels les jeunes nobles, tel La Fayette, et naturellement la « secte philosophique », manifestent enthousiasme et solidarité.
Aider les États-Unis d’Amérique, c’est à la fois prendre sa revanche sur l’Angleterre et l’affaiblir, mais aussi renforcer le nouvel État qui, républicain, incarne l’esprit des Lumières.
Mais cela a un coût. Or les caisses sont vides, et le soutien de la cause américaine, la guerre qui se prépare, vont creuser le déficit royal et conduire à la banqueroute.
Louis XVI n’ignore pas les périls, même si le sacre lui a donné confiance.
Il écoute Turgot lui proposer ces réformes – et donc ces édits – qui devraient transformer le royaume, et lui apporter la prospérité, en remplissant les caisses royales.
Il faudrait d’abord introduire l’égalité devant l’impôt : supprimer la corvée d’entretien des chemins, remplacée par un impôt payé par tous.
Louis hésite, puis approuve cette première mesure qui annonce la fin des privilèges.
Il apprend que les paysans donnent, comme l’écrit Voltaire, « des marques d’adoration pour leur souverain ».
On chante dans les villages :
Je n’irons plus aux chemins
Comme à la galère
Travailler soir et matin
Sans aucun salaire
Le Roi, je ne mentons pas
A mis la corvée à bas
Oh ! la bonne affaire.
Louis a l’impression d’être ainsi fidèle à ses intentions profondes : faire le bonheur de son peuple.
Et il soutient de même l’édit, proposé par Turgot, de suppression des jurandes, maîtrises et corporations.
Ici c’est la liberté offerte à chacun de créer un commerce, d’exercer telle profession d’arts et métiers, qui est instaurée.
La « secte philosophique » approuve le roi d’avoir soutenu les édits de Turgot, « ces chefs-d’œuvre de raison et de bonté ».
Et le contrôleur général des Finances va encore plus loin :
« La cause du mal vient de ce que notre nation n’a point de Constitution, dit-il.
« C’est une société composée de différents ordres mal unis et d’un peuple dont les membres n’ont entre eux que très peu de liens sociaux… Votre Majesté est obligée de tout décider par elle-même ou par ses mandataires. On attend vos ordres spéciaux pour contribuer au bien public… »
Et les soutiens de Turgot, adeptes de la « secte philosophique », Dupont de Nemours, Condorcet, de proposer la création de municipalités, couronnées par une Assemblée nationale, représentant la nation.
Au ministère, Turgot a fait entrer Malesherbes, ancien directeur de la Librairie, juriste, philosophe, favorable aux Lumières. Il devient secrétaire d’État à la Maison du roi. Et le comte de Saint-Germain est chargé du ministère de la Guerre. C’est un réformateur, qui soutient la politique de Turgot.