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Et il morigène Marie-Antoinette :

« Vous rendez-vous nécessaire au roi ? Voit-il votre attachement uniquement occupé de lui ?… Avez-vous pensé à l’effet de vos liaisons et amitiés si elles ne sont point placées sur des personnes en tout point irréprochables… Daignez penser un moment aux inconvénients que vous avez déjà rencontrés au bal de l’Opéra et aux aventures que vous m’avez vous-même racontées là-dessus. »

Louis écoute les conseils de Joseph, s’obstine, même si chaque échec le blesse, accroît ses doutes.

Mais en même temps, il serait fort capable de soulever une masse énorme à bout de bras, de forger, de raboter, de terrasser un sanglier, un cerf.

Et finalement, le 18 août 1777, il réussit « la grande œuvre », attendue depuis sept années.

Il exulte, écrit à Joseph qui a regagné Vienne : « C’est à vous que nous devons ce bonheur, car depuis votre voyage cela a été de mieux en mieux, jusqu’à parfaite conclusion. Je compte assez sur votre amitié pour en oser vous faire ces détails. »

Lorsque la reine accouche d’une fille, Marie-Thérèse – qu’on nommera Madame Royale –, le 19 décembre 1778, puis d’un fils Louis-Joseph en 1781 – mais il mourra en 1783 – et d’un second fils – le dauphin – en 1785 (une fille née en 1787 décédera la même année), Louis manifeste sa joie.

Dieu a voulu que la monarchie française se prolonge.

L’ordre divin et l’ordre naturel se sont ainsi rencontrés pour le bien du royaume de France et de ses souverains.

Ces naissances, après la cérémonie du sacre, confortent Louis dans la certitude de sa légitimité, que Dieu vient à nouveau de lui confirmer.

Il est le roi de droit divin et dès lors, c’est ce qu’il décide qui est la « raison » du monde.

Mais cela ne fait en rien disparaître cette fêlure du doute, qui sur le terrain de l’action le rend hésitant.

Cela renforce même son goût du secret, le droit qu’il s’attribue de dissimuler ses pensées, de leurrer ses interlocuteurs, de désavouer des ministres qu’il a d’abord soutenus.

On l’a vu agir ainsi avec Turgot. Et même son mentor Maurepas, qu’il a nommé chef du Conseil des finances après la disgrâce de Turgot, en souffre :

« Le roi se déforme tous les jours au lieu d’acquérir, confie Maurepas à l’abbé Véri. J’avais voulu le rendre un homme par lui-même, quelques succès me l’avaient fait espérer. L’événement me prouve le contraire et je ne suis pas le seul à le remarquer car d’autres ministres me l’ont pareillement observé… Souvent il m’échappe par son silence indécis sur des affaires importantes et par des faiblesses inconcevables pour sa femme, ses frères et ses alentours… »

Et le frère de Marie-Antoinette, après son séjour à Paris, conclura :

« Il n’est maître absolu que pour passer d’un esclavage à l’autre… Il est honnête mais faible pour ceux qui savent l’intimider et par conséquence mené à la baguette… C’est un homme faible mais point un imbécile : il a des notions, il a du jugement, mais c’est une apathie de corps comme d’esprit. »

Louis n’ignore pas ce que l’on pense de lui, mais il ne cherche pas à détromper ceux qui le jugent sévèrement.

Il hésite ? Il doute au moment de prendre ses décisions ?

Mais au centre de sa personne il y a un bloc infrangible, des certitudes sur lesquelles glissent les événements quotidiens. Si l’on veut ébrécher, briser ce cœur de son caractère et de ses convictions, on n’y réussit pas.

Quand, en 1778, Voltaire fait un retour triomphal à Paris, du Trianon de Marie-Antoinette aux salons de la Chaussée d’Antin, où Madame Necker reçoit Marmontel et Grimm, l’abbé Raynal, Buffon et Diderot, et tous les esprits « éclairés », on l’acclame.

L’Académie française rend hommage au patriarche de quatre-vingt-quatre ans, dont la pensée, les œuvres « illuminent » l’Europe, de Londres à Berlin et à Saint-Pétersbourg.

Mais Louis XVI malgré cette unanimité refuse de le recevoir.

Il ne cédera ni à l’opinion de la Cour et de la Ville, ni à Marie-Antoinette qui veut faire aménager une loge pour Voltaire, près de celle du roi, à l’Opéra.

Voltaire, dont Louis a acheté les œuvres qui figurent en bonne place, dans sa bibliothèque, au-dessus de sa forge, et qu’il a lues, est un ennemi de l’Église et donc de la monarchie de droit divin. Il ne reçoit pas l’homme qui s’est donné comme but d’« écraser l’infâme », la Sainte Eglise apostolique et romaine.

C’est Madame Necker qui ouvrira une souscription, pour faire ériger une statue de l’ermite de Ferney.

Et à la mort de Voltaire, le 30 mai 1778, point de célébration officielle, mais un enterrement loin de Paris, où, habilement, les proches de l’écrivain obtiennent qu’il soit religieux, alors que dans la capitale la hiérarchie de l’Église soutenue par Louis XVI était réticente.

C’est dire que, pour ce qui lui semble essentiel, Louis XVI ne transige pas, sait s’opposer à son entourage. Ne pas se confier à la reine, dont il n’ignore pas qu’elle ne cache rien à l’ambassadeur d’Autriche.

Or, les affaires étrangères sont le domaine où Louis XVI, guidé par son ministre Vergennes, a une politique, qu’il garde aussi longtemps qu’il le peut secrète.

Il signe, le 6 février 1778, un traité d’alliance avec les États-Unis d’Amérique, et cela implique la guerre avec l’Angleterre.

Les jeunes nobles suivent La Fayette, s’enrôlent pour aller combattre en Amérique, d’abord comme volontaires, puis au sein d’un corps expéditionnaire de 6 000 hommes, commandés par le général Rochambeau.

Étrange alliance, puisqu’elle en vient à aider ces « républicains » américains, qui en 1781 se donnent une Constitution.

Pour les tenants des réformes, c’est un modèle à imiter.

Et comment éviter la contagion américaine, quand les Insurgents soulèvent tant d’enthousiasme, quand, à Londres même, huit jours d’émeutes embrasent la ville, qu’on y réclame l’instauration du suffrage universel, un Parlement renouvelable chaque année, élu à bulletin secret ?

Ce programme radical a des échos en France. Les gazettes vantent à la fois la guerre contre l’Angleterre, la Constitution américaine et les radicaux anglais.

Comment le royaume de France, le premier à avoir reconnu les États-Unis d’Amérique, pourrait-il ne pas suivre la voie des réformes profondes ?

Et d’autant plus que la guerre d’Amérique est un gouffre à finances, que la banqueroute menace, et que la seule solution pour l’éviter est de modifier le système fiscal, de faire payer les privilégiés, de réduire les dépenses de la Maison du roi, et de la Maison de la reine.

Autrement dit, mettre en application le programme de Turgot, qui a causé la perte de Turgot !

Louis, qui gère le budget de sa Maison et de celle de la reine avec la minutie d’un financier prudent, sait bien que la question du déficit, donc des impôts, est cruciale.

Il a reculé en renvoyant Turgot, en nommant un contrôleur général – Clugny – corrompu, qui a gouverné à Saint-Domingue, avec la brutalité d’un brigand, qui a des relations incestueuses avec ses trois sœurs, et dont les premiers actes – d’ordre du roi – sont de supprimer les édits réformateurs de Turgot, sur les corvées et les jurandes.

Pour rafler de l’argent, ce Clugny crée la « Loterie royale de France », peuple le contrôle général des Finances d’aigrefins, et suscite la méfiance et la réprobation :

« Le roi s’établit en quelque sorte le chef de tous les tripots de son royaume, leur donne l’exemple d’une abominable cupidité et semble vouloir faire de ses sujets autant de dupes », peut-on lire dans les gazettes.