Выбрать главу

C’est un choc brutal pour cette opinion qui a soutenu Necker. Une déception plus forte encore que celle qui avait suivi la disgrâce de Turgot.

Une faille s’est ouverte dans le royaume.

Que peut le roi ? Que veut-il ?

Les esprits éclairés rêvent d’Amérique, d’assemblée, de vote, d’égalité et de justice.

On accuse la reine d’être responsable de la démission de Necker. Elle a au contraire entretenu de bons rapports avec lui. Mais le roi est épargné. Il reste de droit divin, alors que la reine n’est qu’une « Autrichienne frivole », dont le cœur est à Vienne et non à

Paris. Grimm, qui écrit et anime la Correspondance littéraire, note, après la démission de Necker :

« La consternation était peinte sur tous les visages ; les promenades, les cafés, les lieux publics étaient remplis de monde, mais il y régnait un silence extraordinaire.

« On se regardait, on se serrait tristement la main. »

8

Louis détourne la tête, s’éloigne d’un pas lent et lourd, son visage boudeur exprime l’ennui et même du mépris.

Il ne veut plus qu’on lui parle de Necker, de l’état de l’opinion, de ces esprits éclairés, et parmi eux des grands seigneurs, et même le duc d’Orléans, qui fréquentent le salon de Madame Necker, rue de la Chaussée-d’Antin.

Ces beaux parleurs critiquent les nouveaux contrôleurs des Finances, qui se sont succédé, Joly de Fleury, Lefèvre d’Ormesson, et maintenant Calonne, cet intendant aimable, disert, bien en cour, qui d’une plume acérée a révélé les subterfuges de Necker et contribué à son départ.

C’est lui qui doit désormais faire face au déficit, mais qui, habilement, en multipliant les emprunts, en jouant sur le cours de la monnaie, favorise la spéculation, obtient le soutien des financiers, des prêteurs, et crée un climat d’euphorie.

Les problèmes ne sont que repoussés, aggravés même, prétend de sa retraite Necker, mais la morosité et la déception qui ont suivi sa démission se dissipent.

Voilà qui confirme Louis dans son intime conviction : les ministres passent ; les crises, même financières, trouvent toujours une solution, l’opinion varie, va et vient comme le flux et le reflux, seuls le roi et la monarchie demeurent.

Et les voici renforcés, célébrés, puisque, le 22 octobre 1781, ému jusqu’aux larmes, Louis peut se pencher sur Marie-Antoinette qui vient d’accoucher de son premier garçon et lui murmurer :

« Madame, vous avez comblé mes vœux et ceux de la France : vous êtes mère d’un dauphin. »

Et il pleure de nouveau lorsqu’il apprend qu’à Paris, à la nouvelle de la naissance d’un héritier royal, la foule a manifesté sa joie, dansant, festoyant, s’embrassant. Et les dames des Halles, venues à Versailles, ont célébré en termes crus la reine.

Semblent envolés tous les pamphlets, où l’on critiquait l’Autrichienne, accusée d’infidélité, voire de préférer ses favorites et leurs caresses à son mari ! Ou bien de s’être pâmée dans les bras de cet officier suédois, rencontré à un bal masqué de l’Opéra, en 1774, de l’avoir retrouvé en 1778, toute troublée, toute séduction, ne cachant même pas l’attirance pour ce comte Axel Fersen, parti, avec l’armée de Rochambeau, aider les Insurgents d’Amérique.

Le climat a donc changé. Un dauphin, l’argent facile grâce aux emprunts et aux habiletés de Calonne.

Et puis, la victoire des troupes françaises et des Insurgents contre les Anglais à Yorktown ; et plus de sept mille tuniques rouges qui se rendent !

Gloire à l’armée du roi, fête à Paris pour célébrer le « héros des Deux Mondes ». La Fayette, rentré en janvier 1782, est fait maréchal de camp. Feu d’artifice, traité de Versailles avec l’Angleterre en 1783, revanche de celui de Paris en 1763.

Le roi a-t-il jamais été aussi populaire ?

Benjamin Franklin le célèbre comme « le plus grand faiseur d’heureux qu’il y ait dans ce monde ».

Et plus encore on associe le roi à cette Révolution de l’Amérique qu’exalte dans ce livre l’abbé Raynal.

Qui pourrait dissocier Louis XVI qui a permis la victoire des Insurgents, et la politique de réforme ?

Ce roi-là est bon.

On le voit, dans les villages qu’il traverse ou visite, faire l’aumône aux paysans misérables, accorder à certains d’entre eux une pension à vie.

Car la faim et le froid tenaillent le pays dans ces hivers 1783-1785.

Les fermages ont augmenté, parce que la monnaie a été en fait dévaluée. Le pain est cher. Les pauvres sans domicile allument de grands feux dans les rues de Paris, autour desquels ils se pressent.

Des émeutes de la faim éclatent ici et là.

Mais lorsque Louis, en juin 1786, se rend à Cherbourg pour visiter la flotte royale, il est salué avec ferveur tout au long du voyage.

On s’agenouille devant lui, on l’embrasse.

« Je vois un bon roi et je ne désire plus rien en ce monde », dit une femme.

Louis invite la foule qui se presse à avancer : « Laissez-les s’approcher, dit-il, ce sont mes enfants. »

On crie « Vive le roi ! » et il répond « Vive mon peuple ! Vive mon bon peuple ! ».

On récite des vers qui le louent, on les grave sur le socle des statues.

Les uns s’adressent :

À Louis Homme

Ce faible monument aura faible existence

Tes bontés ô mon Roi dans ces temps de rigueur

Bien mieux que sur l’airain ont mis au fond du cœur

Un monument certain, c’est la reconnaissance.

D’autres vers rappellent que Louis, jeune roi, a déjà accompli des « miracles » :

Louis de son domaine a banni l’esclavage

À l’Amérique, aux mers, il rend la liberté

Ses lois sont des bienfaits, ses projets sont d’un sage

Et la gloire le montre à l’immortalité.

Louis est ému jusqu’aux larmes. Il écrit à Marie-Antoinette :

« L’amour de mon peuple a retenti jusqu’au fond de mon cœur. Jugez si je ne suis pas le plus heureux roi du monde. »

Mais parfois, quand il découvre dans ses propres appartements un pamphlet visant la reine, ce bonheur qu’il a ressenti devant les signes d’affection que lui manifeste le peuple s’émiette.

On accuse Marie-Antoinette d’avoir renoué avec le comte Fersen rentré d’Amérique avec les troupes françaises. On la soupçonne d’infidélité. On se demande si les enfants dont elle a accouché – un second fils naîtra en 1785, et une fille en 1787 – sont issus du roi, ou de ce beau Fersen. Et elle a obtenu du roi qu’il attribue à Fersen le commandement d’un régiment étranger, le Royal Suédois, et le « bon » Louis XVI a aussitôt accepté, et accordé à Fersen une pension de vingt mille livres.

Louis cependant ne regrette ni ses largesses ni même ses complaisances.

Marie-Antoinette est la reine, la mère du dauphin.

II connaît les penchants de son épouse : fête, bijoux, châteaux. Il les accepte.

Elle dispose de Trianon. Il lui achète, à sa demande pressante, le château de Saint-Cloud.

Et l’on s’en prend à cette Autrichienne, Madame Déficit, qui ruine le royaume.

Mais elle est la reine, a-t-il parfois envie de s’écrier.

Et il veut prendre sa défense, la protéger des calomniateurs.

II apprend avec effarement et un sentiment d’indignation que le cardinal de Rohan, grand aumônier de la Cour, en froid avec la reine, prétend avoir acheté, pour se réconcilier avec elle, au joaillier Böhmer, un collier de un million six cent mille livres.