Et le 8 avril 1787, au nom du roi, on vient réclamer à Calonne sa démission.
Le 30 avril, Louis accepte, pressé par la reine, de nommer contrôleur général des Finances l’archevêque de Toulouse, Loménie de Brienne, qui fut proche de Turgot, qu’on dit habile, capable de se concilier « le suffrage des sociétés dominantes ».
Mais Louis XVI sait que Loménie de Brienne est l’un de ces prélats de cour plus libertin qu’homme pieux.
Si Louis cède, c’est que la situation se dégrade, qu’il faut agir vite.
L’Assemblée de notables vient de remporter une victoire avec le renvoi de Calonne. Elle est confortée dans son refus des réformes.
L’opinion réclame le retour de Necker.
Les parlements sont dressés sur leurs ergots, prêts à défendre bec et ongles leurs droits face au roi, en fait à protéger contre toute réforme leurs privilèges, forts de l’appui que leur apporte l’opinion.
Et d’abord ces milliers de clercs de la basoche, diplômés et crevant de faim, ces libellistes, ces gazetiers, ces « journalistes », et tout ce monde qui gravite dan chaque province, autour des parlements.
Dans ce milieu-là, celui des avocats, celui de la franc-maçonnerie, des sociétés de pensée, on a lu Voltaire, applaudi Beaumarchais et les « patriotes » d’Amérique, comme ceux de Hollande.
Et on déteste l’Autrichienne, Madame Déficit, dont le cœur est à Vienne, capitale des Habsbourg, la plus absolutiste des dynasties européennes.
Cette « fermentation des esprits » autour des parlements gagne le milieu des artisans, des boutiquiers qui ont le sentiment qu’ils sont « tondus » au bénéfice de ces « marquis » qui festoient avec l’Autrichienne et qui ne se sont « donné que la peine de naître ».
Et il y a tous ceux, le peuple innombrable, qui s’agenouillent devant le roi, si bon.
Ces « sujets »-là ne se nourrissent que de pain, or il est de plus en plus cher, en ces années 1787-1789, parce que les blés ont souffert du froid, que le grain est rare, et son prix de plus en plus élevé.
Et pendant ce temps-là, dit-on de plus en plus fort, la reine achète un collier de plusieurs centaines de milliers de livres, par l’intermédiaire d’un de ces cardinaux qui osent invoquer le Christ, ce pauvre crucifié.
Et les prêtres, ce bas clergé qui connaît, côtoie et même partage la misère des humbles, se sentent plus proches de ces pauvres manouvriers que du cardinal de Rohan ou de Loménie de Brienne, archevêque de Toulouse, libertin devenu chef du Conseil des finances, par la grâce du roi et la volonté de l’Autrichienne.
Louis, même s’il ressent la difficulté de la situation, ne mesure pas cette évolution de l’opinion.
Elle est comme une forêt sèche dont les sous-bois commencent à brûler, et qu’un coup de vent peut embraser.
Marie-Antoinette soupçonne encore moins que son époux, malgré les calomnies, les injures, les caricatures, les pamphlets qui la prennent chaque jour pour cible, l’étendue et la profondeur de la réprobation et même de la haine qu’elle suscite.
Elle est donc plus surprise que Louis lorsque, recevant avec Louis Loménie de Brienne, ils l’entendent formuler le vœu de se voir adjoindre Necker, et d’être autorisé à préparer la convocation des États généraux.
Louis est stupéfait, mais aussi terrifié.
« Quoi, Monsieur l’Archevêque, vous nous croyez donc perdus ? Les États généraux ? Mais ils peuvent bouleverser l’État et la royauté ! Et Necker ! Tout ce que vous voudrez hors ces deux moyens. La reine et moi sommes tout prêts aux réformes et aux économies. Mais de grâce, n’exigez ni Monsieur Necker, ni les États généraux. »
Mais il suffit de quelques semaines pour que le roi se rende compte, avec effroi, que l’idée de la convocation des États généraux progresse vite et s’impose peu à peu. Loménie de Brienne n’a rien obtenu de l’Assemblée de notables, devant laquelle il a repris l’essentiel du plan de Calonne. Mais les notables exigent d’abord que le contrôleur général des Finances soit surveillé par un Comité ; autant dire que le roi perd la maîtrise des finances.
Inacceptable pour Louis XVI. Et le 25 mai 1787, le roi dissout l’Assemblée de notables, ce qui aussitôt renforce dans l’opinion le désir de la convocation des généraux. Ils rassemblent, dit La Fayette, « les représentants authentiques de la nation ».
Et dans les gazettes on n’hésite pas à écrire :
« Pourquoi le roi ne serait-il pas en tutelle ?… Il faut rappeler quelquefois les chefs des nations à leur première institution et leur apprendre qu’ils tiennent le pouvoir de ces peuples qu’ils traitent souvent en esclaves ! »
Ces gazetiers sont pour la plupart payés par telle ou telle coterie, et celle du duc d’Orléans est la plus puissante. Le duc est cousin du roi, mais ambitieux, jaloux, les souverains l’ont maintes fois blessé, et il se présente en homme des Lumières.
Et « ses » gazetiers critiquent le roi, la reine, le pouvoir monarchique, mais en même temps ils soutiennent les parlementaires, écrivent : « Les notables ont montré que la nation existait encore. »
Louis qui imagine qu’il va pouvoir faire enregistrer les édits réformateurs par le Parlement de Paris, en usant, si besoin est, comme il en a le droit souverain, d’un « et de justice », qui impose l’enregistrement, ne mesure pas, une fois encore, l’évolution de l’opinion.
Durant les mois de mai et de juin, le Parlement refuse d’enregistrer l’édit créant l’impôt dit de « subvention territoriale » et il déclare « que seule la nation réunie dans ses États généraux peut consentir un impôt perpétuel ».
Le 6 août, le roi convoque à Versailles un lit de justice.
Il fait chaud dans la salle où s’entassent les parlementaires. L’enregistrement des édits est obligatoire, mais pendant que se déroule la séance, le roi s’endort, ronfle parfois, donnant l’image, en cette période tendue, cruciale, d’un souverain à la fois méprisant et impotent.
Mais le 7 août, le Parlement de Paris déclare nul le lit de justice de la veille.
Le 10 août, il décide l’ouverture d’une information criminelle contre les « déprédations » commises par Calonne. Manière de montrer sa résolution, d’avertir les ministres qu’ils ne sont plus intouchables – et derrière eux le roi – et de les inviter ainsi à la modération et au respect des prérogatives parlementaires.
Calonne – bien que l’arrêt du Parlement ait été cassé -est inquiet et décide de se réfugier en Angleterre : contraint à émigrer par une assemblée de privilégiés, qui lui reprochent d’avoir au nom du roi voulu réformer le royaume !
Accablé, le roi lit les rapports des « mouches », ces informateurs du lieutenant général de police que traquent les clercs de la basoche, qu’ils poursuivent et rouent de coups, sous les applaudissements d’une foule de plusieurs milliers de personnes qui viennent acclamer les parlementaires, chaque fois qu’ils dénoncent les édits comme contraires « aux droits de la nation » ou décident d’annuler l’enregistrement de ces édits en lit de justice.
Les manifestants crient : « Vive les pères du peuple ! Point d’impôts ! »
Louis XVI est envahi par l’indignation.
Le Parlement doit plier, pense-t-il par saccades, et il écoute Loménie de Brienne qui lui demande d’exiler les parlementaires à Troyes.
Puis le roi est saisi par le doute. Il craint les conséquences de cette épreuve de force, et cependant toute sa conception de l’autorité monarchique l’incite à agir.
Il est divisé et lui qui recherche l’effort physique pour se rassurer, se sent tout à coup las, sans qu’il ait besoin de chevaucher ou de forger. Il a l’impression que son corps puissant et lourd l’accable.