Il somnole pour fuir les maux de tête, les brûlures d’estomac, tous ces symptômes qu’il ne connaissait pas. Il acquiesce, sans même pouvoir examiner à nouveau toutes les suites de sa décision, à la proposition de Brienne.
II signe les lettres de cachet aux parlementaires afin qu’ils les reçoivent dans la nuit du 14 au 15 août.
Il ne sait pas que certains parlementaires ont menacé Brienne, l’avertissant :
« Prenez garde, ce n’est plus une guerre parlementaire que vous allumez, mais une guerre civile. »
Pourtant, les parlementaires quittent Paris, mais arrivés à Troyes ils réaffirment qu’ils ne changeront pas d’avis.
« Seuls les États généraux peuvent sonder et guérir les plaies de l’État et octroyer les impôts. »
Plus grave, Paris s’enflamme.
Le 17 août, le jour où les comtes d’Artois et de Provence se rendent au Palais de Justice pour y faire enregistrer les édits, la foule envahit les bâtiments, encercle les frères du roi criant : « À Bicêtre ! À Bicêtre ! » et s’adressant au comte de Provence – hostile aux choix de Louis XVI – lui lance : « Courage, Monsieur, vous êtes l’espoir de la nation. »
La garde tire. Il y a des morts et des blessés.
Les magistrats de la Cour des aides – la salle où ils délibèrent est occupée par les manifestants – déclarent, comme ceux de la Chambre des comptes, qu’il faut réunir les États généraux.
Des bandes de jeunes gens parcourent les rues, envahissent les boutiques, saccagent la maison d’un commissaire de police qui a arrêté deux manifestants, rouent de coups les colporteurs qui crient le texte des édits, insultent les gardes françaises.
On affiche des placards :
« Dans huit jours il nous faut le Parlement ou le feu. »
Le roi, la reine, le comte d’Artois sont insultés. On distribue des pamphlets injurieux contre les souverains, et d’abord cette Autrichienne, cette Madame Déficit.
Une estampe représente le couple royal à table avec cette légende :
« Le roi boit, la reine mange, et le peuple crie ! »
En province, des manifestations ont lieu autour des parlements, et les magistrats envoient des adresses au roi exigeant le « rappel du Parlement ».
Louis veut échapper à ce cauchemar qui lui révèle un royaume qu’il n’avait pas imaginé.
Il laisse d’abord Brienne rétablir l’ordre à Paris et faire évacuer le Palais de Justice, mais en même temps il veut donner des signes d’apaisement, séduire cette opinion éclairée, la détacher des parlements.
Un édit de tolérance rend leur état civil aux protestants. On examine la situation des juifs du royaume et on envisage leur émancipation.
Mais chaque geste déclenche la réaction hostile d’une partie de l’opinion : l’Assemblée du clergé de France adresse des remontrances au roi.
Il faut donc négocier avec le Parlement de Paris, mettre fin à son exil, retirer la subvention territoriale,
et promettre la convocation des États généraux, pour 1792.
Quant au Parlement, il accepte d’enregistrer un édit sur l’impôt du vingtième.
Des manifestations de joie, des affrontements violents avec les gardes françaises accueillent le retour des parlementaires à Paris.
Mais leur arrangement avec le roi est jugé par les plus déterminés comme une capitulation et une lâcheté. Le Parlement à leurs yeux s’est déconsidéré.
« Il nous faut une barrière au retour des abus, dit-on. II nous faut les États généraux. »
Et certains ajoutent : « Une assemblée nationale. » Quant à la reine, elle s’exclame :
« Je croyais avoir épousé un roi de France, je vois mon erreur, je n’ai épousé qu’un roi d’Angleterre. »
Et à la Cour, on partage sa déception.
Le roi, désemparé, constate que personne n’est satisfait. L’agitation n’a pas cessé. La crise financière s’aggrave.
Puisqu’on a renoncé à la subvention territoriale, il faut lever des emprunts, dont l’un de 420 millions. Et le Parlement doit l’enregistrer en séance royale.
Elle a lieu le 19 novembre 1787, à Paris.
Le roi s’exprime avec fermeté :
« Je veux tenir cette séance, dit-il, pour rappeler à mon Parlement des principes dont il ne doit pas s’écarter. Ils tiennent à l’essence de la monarchie et je ne permettrai pas qu’ils soient menacés ou altérés. »
Et après avoir écouté les réponses des parlementaires, il conclut que conformément aux règles d’une séance royale, il n’y aura pas de vote : « Il est nécessaire d’établir les emprunts portés par mon édit.
« J’ai promis les États généraux pour 1792, ma parole doit vous suffire. J’ordonne que mon édit soit enregistré. »
Il se lève, s’apprête à partir au milieu des murmures.
Tout à coup, le duc Philippe d’Orléans lance, debout, d’une voix furieuse mais hésitante :
« C’est illégal ! »
Il insiste pour qu’on spécifie que c’est du commandement du roi – son cousin – que l’édit est enregistré.
Louis, le visage empourpré par la surprise, l’émotion, bredouille :
« Cela m’est égal, vous êtes le maître. »
Puis d’une voix plus forte :
« C’est légal parce que je le veux. »
Louis est indigné par la « trahison » de Philippe d’Orléans. Et Marie-Antoinette est plus encore que Louis scandalisée par le comportement du duc d’Orléans qui semble vouloir s’imposer comme le chef des adversaires de la politique royale. Il faut sévir, insiste-t-elle.
Le roi s’y résout.
Le duc d’Orléans sera exilé dans son château de Villers-Cotterêts, et deux parlementaires qui semblent avoir agi de concert avec lui seront emprisonnés à la citadelle de Doullens. Une députation du Parlement tentera le lendemain de faire revenir le roi sur ses décisions.
« Je ne dois compte à personne de mes résolutions, leur répond Louis XVI. Chacun est intéressé à la conservation de l’ordre public, et l’ordre public tient essentiellement au maintien de mon autorité. »
Mais la foule, à la sortie du Parlement, avait porté le duc d’Orléans en triomphe.
Et les parlementaires à Paris et en province affirmaient que « la liberté individuelle était la plus sacrée des propriétés ».
Le parlement de Rennes déclarait :
« Les abus tolérés et l’oubli des règles amènent le mépris des lois, et le mépris des lois prépare la chute des Empires. »
10
Louis se tait. Il écoute la reine puis Loménie de Brienne qui l’exhortent à chaque séance du Conseil d’en haut à briser cette fronde parlementaire, cette vraie rébellion qui d’un bout à l’autre du royaume, au nom de la liberté individuelle, de la défense du droit, veut en fait entraver le pouvoir royal, plier l’autorité monarchique.
Il écoute Marie-Antoinette qui siège désormais au Conseil. Elle l’incite à la fermeté :
« Si on différait, on aurait moins de moyens pour conserver et maintenir l’autorité du roi. »
Louis baisse la tête. Il a le sentiment angoissant que quoi qu’il décide et fasse, il ne pourra ressaisir les rênes qui, sans qu’il sache à quel moment précis, lui ont échappé.
Peut-être était-ce en 1774, quand, peu après son accession au trône, il avait sur les conseils de Turgot annulé la réforme Maupeou.
Et maintenant, quatorze ans plus tard, le garde des Sceaux Lamoignon propose des mesures qui reprennent pour l’essentiel ce que Maupeou avait réussi à imposer.
Aujourd’hui, ce sont les parlements qui chaque jour veulent arracher un pan du pouvoir royal.
Ils viennent de déclarer les « lettres de cachet illégales, contraires au droit public et au droit naturel ». Elles violeraient « les droits du genre humain, les principes fondamentaux de la société, les plus vives lumières de la raison, les plus chers intérêts du pouvoir légitime, les maximes élémentaires de la morale et les lois du royaume ».