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« Messieurs, je suis innocent de ce dont on m’accuse. Je souhaite que mon sang puisse cimenter le bonheur des Français. »

Samson hésite. Louis se débat. On le pousse. La planche bascule :

« On entend un cri affreux que le couteau étouffa. » Samson prend la tête de Louis par les cheveux, la brandit, la montre au peuple.

Des cris s’élèvent :

« Vive la nation ! », « Vive la république ! », « Vive l’égalité ! », « Vive la liberté ! ».

Des farandoles entourent l’échafaud. Quelques hommes et quelques femmes s’approchent de la guillotine, cherchent à tremper leurs mouchoirs, des enveloppes, dans le sang de Louis Capet, ci-devant roi de France.

Ils agitent leurs trophées rouges.

Mais la foule se disperse rapidement, silencieuse et grave.

Sur la place de la Révolution, dans les rues, les échoppes, les estaminets où l’on boit du vin chaud, on commente moins la mort du roi que celle du conventionnel Le Peletier de Saint-Fargeau.

Il avait voté pour l’exécution immédiate de Louis Capet.

On l’a assassiné dans la nuit, au moment où il sortait de souper au restaurant Février, place du Palais-Égalité, ci-devant place du Palais-Royal.

C’est un ancien garde du corps du roi, Pâris, qui lui a donné un coup de sabre au bas-ventre.

Et le corps du conventionnel sera exposé nu jusqu’à la taille avant d’être accompagné au Panthéon par toute la Convention et un long cortège populaire.

La mort du ci-devant roi de France paraît aux yeux du peuple « sans-culotte » venger Le Peletier de Saint-Fargeau et tous les « martyrs » de la Révolution.

« Le sang des hommes fait gémir l’humanité, le sang des rois la console », écrivent les citoyens membres de la Société des Amis de l’Égalité et de la Liberté aux conventionnels.

Et le journal Le Père Duchesne prononce, à sa manière, l’oraison funèbre de Louis :

« Capet est enfin mort, foutre !

« Je ne dirai pas, comme certains badauds, n’en parlons plus !

« Parlons-en au contraire, pour nous rappeler tous ses crimes et inspirer à tous les hommes l’horreur qu’ils doivent avoir pour les rois.

« Voilà, foutre, ce qui m’engage à entreprendre son oraison funèbre, non pour faire son éloge ou adoucir ses défauts, mais pour le peindre tel qu’il fut, et apprendre à l’univers si un tel monstre ne méritait pas d’être étouffé dès son berceau ! »

Ce lundi 21 janvier 1793, à dix heures vingt, place de la Révolution, un homme est mort, que l’on ne nommait plus que Louis Capet. Mais c’est le corps du roi, et l’histoire de la nation, qu’on a tranchés en deux.

Quatre ans auparavant, en 1789, les sujets de toutes les provinces célébraient encore ce même homme, ce roi de France.

Et le 14 juillet 1790, il présidait la fête de la Fédération, rassemblant autour de lui tous les citoyens des départements du royaume.

Il était le roi des Français.

Et en mai 1774, quand il avait succédé à son grand-père Louis XV, les libellistes avaient écrit qu’il semblait « promettre à la nation le règne le plus doux et le plus fortuné ».

Qui eût osé imaginer qu’un jour, Louis XVI, Louis le Bon, serait, sous le simple nom de Louis Capet, guillotiné, sur la ci-devant place Louis-XV, devenue place de la Révolution ?

PREMIÈRE PARTIE

1774-1788

« Quel fardeau et on ne m’a rien appris ! »

« N’oubliez jamais, Sire, que c’est la faiblesse qui a mis la tête de Charles Ier sur un billot… »

Lettre de Turgot à Louis XVI 30 avril 1776

1

Ce roi, Louis XVI, qu’on tue après l’avoir humilié, peut-être a-t-il pressenti qu’il aurait, en accédant au trône de France, un destin tragique ?

Cela survient le 10 mai 1774.

Depuis plusieurs jours déjà, il sait que son grand-père Louis XV est condamné, et qu’il sera lui, Louis Auguste, duc de Berry, son successeur.

L’angoisse et l’accablement l’étreignent.

Il a vu le corps du roi – Louis le Bien-Aimé, le plus bel homme du royaume, avait-on qualifié Louis XV -se transformer en un tas de chairs purulentes et puantes, le visage couvert de pustules et de croûtes.

On s’agenouille pour prier, mais au pied de l’escalier qui conduit à la chambre du roi, parce qu’à s’en approcher on craint la contagion.

« Madame, j’ai la petite vérole », a dit Louis XV à sa favorite, la comtesse du Barry.

Il veut, après une vie dissolue, solliciter la grâce de Dieu, et donc écarter cette maîtresse qui était – après tant d’autres – l’incarnation du péché.

« Il est nécessaire que vous vous éloigniez », lui a-t-il dit.

Elle a obéi et quitté Versailles pour le château de Rueil.

Et le confesseur de Louis XV a pu recueillir les dernières paroles du roi agonisant. Puis il s’est avancé vers les courtisans qui se tiennent à distance.

« Messieurs, le roi m’ordonne de vous dire que s’il a causé du scandale à ses peuples, il leur en demande pardon et qu’il est dans la résolution d’employer le reste de ses jours à pratiquer la religion en bon chrétien comme il l’a fait dans sa jeunesse, et à la protéger et à faire le bonheur de ses peuples. »

Louis, duc de Berry, bientôt Louis XVI, écoute ces mots.

Mais il est trop tard, la mort est là qui se saisit du corps du roi, qu’il faut au plus vite enfermer dans un double cercueil de plomb rempli d’« esprit de vin ».

Et ce roi, si puissant, si adulé dans la première partie de son règne, n’est plus qu’un cadavre qui se dissout, dont on s’éloigne, qu’on veut oublier.

On avait célébré six mille messes en 1744 lorsque la maladie avait terrassé Louis XV. On n’en compte que trois en 1774.

Et Louis XVI apprendra que c’est accompagné seulement de quelques domestiques, et d’une petite escorte de gardes du corps, que le cercueil du roi a été conduit jusqu’à Saint-Denis, la nuit du 12 mai.

Et tout au long de la route on a entendu crier, d’un ton joyeux : « Taïaut ! Taïaut ! » et « Voilà le plaisir des dames ! Voilà le plaisir ».

Oraison funèbre pour un roi qui selon le peuple s’était davantage soucié de la chasse et des femmes que de son royaume.

Et Louis murmurera, lui qu’on a en 1770 marié à seize ans, avec Marie-Antoinette d’Autriche, la plus jeune des héritières des Habsbourg, âgée d’à peine quinze ans, lui dont on assure que durant plusieurs années il a été incapable de consommer son mariage, et auquel on ne connaît aucune liaison :

« Ce qui a toujours perdu cet État-ci a été les femmes légitimes et les maîtresses. »

Il n’aura vingt ans que dans quelques mois, il n’a jamais régné, il ne s’est adonné avec passion qu’à la chasse, s’y livrant quotidiennement depuis sa première chevauchée, en août 1769 – il avait quinze ans – mais il a été témoin, à la Cour, des intrigues qui se nouaient autour de la comtesse du Barry et du souvenir qu’avaient laissé Madame de Pompadour, ou bien les favorites – et leurs bâtards légitimes – de Louis XIV. Ses tantes – les sœurs de Louis XV –, le gouverneur des enfants de France, le duc de La Vauguyon, l’ont mis en garde contre les femmes et l’influence qu’elles peuvent exercer dans le gouvernement.

« C’est un malheur. »

Il a vu les sujets se détourner de Louis XV.

Et il s’est fait, peu à peu, une idée des devoirs d’un souverain. Il a même rédigé une sorte de résumé de tous les enseignements qu’on lui a prodigués, qu’il a intitulé Réflexions sur mes entretiens avec Monsieur de La Vauguyon.

« Un bon roi, écrit-il, ne doit avoir d’autre objet que de rendre son peuple heureux… »

Et pour cela il ne doit pas oublier les droits naturels de ses sujets « antérieurs à toute loi politique et civile : la vie, l’honneur, la liberté, la propriété des biens… Le prince doit donc réduire les impôts autant qu’il peut…