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L’assemblée invoque « la protection du roi, de la loi et de la nation en faveur de tous les citoyens dont on attaquera la liberté par des lettres de cachet et d’autres actes de pouvoir arbitraire ».

C’est bien dans une perspective nationale, que se placent les représentants du Dauphiné.

Et se confirment ainsi le renforcement et la présence, sur tout le territoire du royaume, de « patriotes » qui composent un « parti national ».

C’est ce qui inquiète Louis XVI et la Cour.

Aux renseignements que rapportent les « mouches » qui arpentent les rues, se promènent sous les arcades du Palais-Royal, s’installent chez le restaurateur Massé, écoutent les conversations dans les cafés, et les orateurs qui haranguent les clients au café de Foy, au café du Caveau, s’ajoute la prolifération des pamphlets. Une centaine paraissent chaque mois.

Les brochures s’entassent sur les tables des ministres et sur celles du Roi.

Des philosophes – Condorcet –, des avocats – Barnave, Danton –, des nobles – Mirabeau –, des publicistes – Brissot, l’abbé Sieyès – publient et acquièrent ou confirment leur notoriété.

Les Sentiments d’un républicain de Condorcet, et surtout Qu’est-ce que le tiers état ?, de Sieyès, connaissent une large diffusion.

Sieyès s’interroge :

« Qu’est-ce que le tiers état ? – Tout. – Qu’a-t-il été jusqu’à présent dans l’ordre politique ? – Rien. – Que demande-t-il ? – À devenir quelque chose. »

Camille Desmoulins, qui fut élève au collège Louis-le-Grand dans la même classe que Robespierre, est l’auteur d’un opuscule enflammé, La France libre.

Mirabeau édite à Aix Le Courrier de Provence, Volney, à Rennes, La Sentinelle du peuple.

Des clubs se sont constitués. Le club de Valois est sous l’influence du duc d’Orléans, le club des Trente rassemble Mirabeau, La Fayette, Talleyrand, Sieyès, le duc de La Rochefoucauld-Liancourt. La Société des amis des Noirs, de Brissot et de l’abbé Grégoire, fait campagne pour l’abolition de l’esclavage.

On évoque une « démocratie royale », ou une monarchie aristocratique à l’anglaise, et même la République.

Certains « enragés » rappellent qu’on ne compte que cent mille privilégiés pour vingt-cinq millions de français.

Cette immense majorité, disent-ils, ne peut se faire entendre que lors d’États généraux. Et tous ces « patriotes » demandent l’élection des représentants aux États, qui doivent être convoqués, non pas en 1792, comme Loménie de Brienne et le roi l’ont annoncé, mais dès l’année prochaine, en 1789.

Louis, les ministres, constatent d’ailleurs qu’ils ne peuvent imposer leurs décisions.

Les parlementaires sont hostiles, l’armée divisée et rétive à maintenir l’ordre. Les impôts directs ne rentrent plus, le pain est cher, l’emploi rare, les vagabonds nombreux dans le cœur même des villes.

Le désordre s’installe : émeutes, pillages, rassemblements, et l’opinion est de plus en plus critique.

Il faut desserrer, dénouer ce garrot qui étouffe le pays, et la seule possibilité est d’accepter la convocation rapide des États généraux, dans l’espoir de rassembler autour du roi le tiers état.

« Les privilégiés ont osé résister au roi, dit Lamoignon, avant deux mois il n’y aura plus ni parlements, ni noblesse, ni clergé. »

Le roi s’inquiète, même s’il approuve, le 8 août, la convocation des États généraux pour le 1er mai 1789.

Mais la monarchie française peut-elle exister sans ordres privilégiés ?

La situation est d’autant plus périlleuse que l’État, après avoir raclé les fonds dans toutes les caisses existantes – celles des hôpitaux, des Invalides, des théâtres, des victimes de la grêle… –, est contraint, le 16 août 1788, de suspendre ses paiements pour six semaines.

C’est la banqueroute, l’affolement dans l’opinion, la confirmation qu’on ne peut plus faire confiance à ce gouvernement.

Et le roi doit accepter ce qu’il avait refusé : le rappel de Necker et le renvoi de Brienne.

Cela doit, pense-t-il, rassurer l’opinion.

« Voilà bien des années que je n’ai pas eu un instant de bonheur », dit Louis en recevant Necker.

Necker répond :

« Encore un peu de temps, Sire, et vous ne parlerez plus ainsi ; tout se terminera bien. »

Réussira-t-il ?

Necker a l’appui de la reine.

« Je tremble, dit-elle, de ce que c’est moi qui le fais revenir. Mon sort est de porter malheur ; et si des machinations infernales le font encore manquer ou qu’il fasse reculer l’autorité du roi, on m’en détestera davantage. »

Mais ordre est donné aux gardes françaises et suisses de rétablir l’ordre, en ouvrant le feu sur ces manifestants qui brûlent le mannequin de Brienne, obligent les boutiques à fermer.

On relève plusieurs morts, mais à la fin septembre, l’ordre est rétabli.

La confiance revient.

Les effets royaux à la Bourse augmentent en quelques jours de trente pour cent. Necker avance au Trésor royal, sur sa fortune personnelle, deux millions. Il obtient des avances des banquiers, des notaires, et l’État peut reprendre ses dépenses, jusqu’aux États généraux.

Mais ces « miracles » qui rendent Necker encore plus populaire n’apaisent pas les débats qui divisent l’opinion.

Ceux qu’on appelle les aristocrates – le comte d’Artois, plusieurs princes du sang – veulent que les États généraux se réunissent dans la forme de 1614 : pas de doublement du nombre des députés du tiers, et chaque ordre (tiers état, noblesse, clergé) siégeant dans une chambre séparée.

Les aristocrates refusent une assemblée unique : ce serait le début d’une révolution, disent-ils.

Les patriotes sont d’un avis opposé : ils réclament le doublement du tiers état, le vote par tête et la chambre unique.

Le 5 décembre, le Parlement accepte le doublement mais ne se prononce ni sur le vote par tête ni sur l’assemblée unique. L’opinion s’enflamme et la popularité du Parlement s’évanouit.

Devant cet avenir incertain, l’attente anxieuse du pays est immense. À tout instant, parce que la misère tenaille, le pain est toujours plus cher, si la déception succède à l’espérance, la colère peut embraser les foules.

Necker le sait, et le 27 décembre 1788, devant le Conseil d’en haut, en présence du roi et de la reine, il plaide pour le doublement du tiers, acte de justice, répète-t-il. Les souverains l’acceptent.

Et pour apaiser l’opinion, le Résultat du Conseil est aussitôt imprimé et répandu dans toute la France.

On peut y lire :

« Les députés aux États généraux seront au moins au nombre de mille.

« … Le nombre des députés du tiers état sera égal à celui des deux autres ordres réunis et cette proportion sera établie par les lettres de convocation. »

L’élection se fera par bailliage et les curés pourront être députés du clergé.

Les patriotes exultent. Ce « bas clergé » des curés partage souvent les opinions du tiers état.

Dans toutes les provinces, on remercie le roi de sa décision.

Il est le « Dieu tutélaire » et Necker son « ange ».

Pourtant, il ne s’est prononcé ni sur l’assemblée unique, ni sur le vote par tête.

Mais l’espoir est grand.

On ne doute pas que la justice et la raison l’emporteront au cours de cette année électorale qui commence.