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Necker avait dit :

« Le vœu du tiers état, quand il est unanime, quand il est conforme aux principes d’équité, s’appellera toujours le vœu national. Le temps le consacrera, le jugement de l’Europe l’encouragera et le souverain ne peut que régler dans sa justice ou devancer dans sa sagesse, ce que les circonstances et les opinions doivent amener d’elles-mêmes. »

C’était accorder au tiers état un rôle éminent, exprimant « le vœu national », et donc, réduire en fait la place des ordres privilégiés !

Cela a pu apparaître comme une manœuvre habile destinée à affaiblir les aristocrates et le haut clergé hostile aux réformes.

Mais à la lueur de l’incendie allumé par les révoltes, Louis a la gorge serrée par l’angoisse, la crainte de s’être laissé entraîner trop loin.

Il lit l’article écrit dès janvier 1789 par le publiciste protestant Mallet du Pan, qui s’est réfugié en France après la révolution genevoise de 1782.

« Le débat public, écrit Mallet du Pan, a changé de face. Il ne s’agit plus que très secondairement du roi, du despotisme et de la Constitution, c’est une guerre entre le tiers état et les deux autres ordres, contre lesquels la Cour a soulevé les villes. »

Mais si le tiers état l’emporte, Louis a la conviction que son pouvoir sera réduit, peut-être même annihilé.

Et Louis s’affole quand il lit encore – et son entourage lui rapporte des informations convergentes – dans les dépêches des intendants « qu’ici c’est une espèce de guerre déclarée aux propriétaires et à la propriété ». « Dans les villes comme dans les campagnes, le peuple continue de déclarer qu’il ne veut rien payer, ni impôts, ni droits, ni dettes. »

L’analyse des événements faite par un commandant des troupes est encore plus inquiétante et accroît le désarroi de Louis.

« Ce n’est pas une émeute isolée comme d’ordinaire, écrit l’officier. Les mêmes erreurs sont répandues dans tous les esprits… Les principes donnés au peuple sont que le roi veut que tout soit égal, qu’il ne veut plus de seigneurs et d’évêques, plus de rang, point de dîmes et de droits seigneuriaux. Ainsi ces gens égarés croient user de leur droit et suivre la volonté du roi. »

Louis a le sentiment qu’on l’a utilisé, trompé, et qu’on a déformé sa pensée.

Comment, à quel moment, à quelle occasion, faire entendre ce qu’il souhaite vraiment, même s’il est écartelé entre des orientations nombreuses ?

Il veut bien que ses sujets espèrent que les États généraux vont opérer « la régénération du royaume ».

Mais il récuse l’idée selon laquelle « l’époque de la convocation des États généraux doit être celle d’un changement entier et absolu dans les conditions et dans les fortunes ».

Et comment ne serait-il pas effrayé, bouleversé, par les conséquences de ce mensonge, de cette illusion, qui est « une insurrection aussi vive que générale contre la noblesse et le clergé » ?

Louis et les aristocrates mettent en cause ces membres des clubs, des loges maçonniques, des sociétés de pensée, qui publient des centaines de pamphlets, s’agglutinent dans les cafés, les librairies.

« Chaque heure produit sa brochure, constate l’Anglais Arthur Young qui parcourt la France dans cette année 1789. Il en a paru treize aujourd’hui, seize hier et quatre-vingt-douze la semaine dernière. Dix-neuf sur vingt sont en faveur de la liberté. » « La fermentation passe toute conception », ajoute Young.

À Mirabeau, Volney, Brissot, Camille Desmoulins, s’ajoutent de nouveaux publicistes, tel Marat.

Les candidats aux États généraux s’adressent à leurs électeurs. Mirabeau lance un Appel à la Nation provençale, et Robespierre s’adresse à la Nation artésienne.

Et dans ou devant les cafés, les orateurs interpellent la foule qui se presse, ainsi sous les arcades du Palais-Royal :

« Puisque la bête est dans le piège, s’écrie Camille Desmoulins, qu’on l’assomme… Jamais plus riche proie n’aura été offerte aux vainqueurs. Quarante mille palais, hôtels, châteaux, les deux cinquièmes des biens de la France seront le prix de la valeur. Ceux qui se prétendent conquérants seront conquis à leur tour. La nation sera purgée. »

Cette violence, les cahiers de doléances ne l’expriment pas.

On veut la « régénération du royaume ».

On veut la justice, l’égalité, la liberté.

On respecte le roi. Mais on condamne le despotisme. On réclame une Constitution.

Plus d’intendants, de subdélégués, ces agents du despotisme, ces leveurs d’impôts !

Plus de privilèges. « La nation et le roi. »

Ces assemblées ont élu 1139 députés : 291 du clergé (parmi lesquels 208 curés et l’évêque d’Autun Talleyrand) ; 270 de la noblesse – mais 90 sont des libéraux » : le duc de La Rochefoucauld, La Fayette –, dont 154 militaires ! Et 578 du tiers état, dont la moitié sont avocats – ainsi Robespierre –, hommes de loi, notaires, des savants et écrivains – Bailly, Volney –, 11 sont nobles tel Mirabeau, et 3 prêtres tel Sieyès…

Parmi les nobles, au grand scandale de Louis et de Marie-Antoinette un prince du sang s’est fait élire : le duc Philippe d’Orléans.

Le roi, Necker, les aristocrates, les patriotes examinent ce millier d’élus dont la plupart sont des inconnus.

La majorité d’entre eux – si l’on ajoute aux députés du tiers les nobles libéraux et les curés – sont favorables aux réformes, influencés par les idées du parti patriote.

Mais cette majorité pourra-t-elle se manifester ?

Il faudrait que les mille cent trente-neuf députés délibèrent dans la même salle, forment une assemblée unique, et votent par « tête » et non par ordre.

Et ces hommes seront soumis au grand vent des événements, des émotions et des révoltes dans les campagnes et les rues.

Et à la fin du mois d’avril, la tempête souffle à Paris.

La ville est parcourue depuis des semaines par des bandes de pauvres, de vagabonds, d’artisans et de compagnons sans emploi.

Les « mouches » rapportent des propos inquiétants de femmes qui ne peuvent plus acheter le pain trop cher.

« Il est indigne de faire mourir de faim le pauvre, dit l’une. On devrait aller mettre le feu aux quatre coins du château de Versailles. »

Un agent du lieutenant général de police souligne que « la maréchaussée est découragée, la résolution du peuple est étonnante ; je suis effrayé de ce que j’ai vu et entendu… Le peuple affamé n’est pas loin de risquer la vie pour la vie ».

Et ce qui se passe à Paris est comme l’exacerbation de ce qui a lieu dans les provinces.

Ici, « les laquais eux-mêmes dévorent les pamphlets à la porte des palais », et « le peuple s’est follement persuadé qu’il était tout et qu’il pouvait tout, vu la prétendue volonté du roi sur l’égalité des rangs ».

Et il suffit, rue du Faubourg-Saint-Antoine, le samedi 25 avril, que la rumeur se répande que Reveillon, électeur, patriote, fabricant de papier peint a dit : « Un ouvrier ayant femme et enfant peut vivre avec quinze sous par jour », pour qu’on le brûle en effigie. On crie qu’il faut « mettre tout à feu et à sang chez lui ». Et l’on s’en prend aussi à Henriot, fabricant de salpêtre, qui aurait approuvé ce propos.

Peu importe que Reveillon soit un ancien ouvrier, qu’il donne vingt-cinq sous par jour à ses trois cent cinquante ouvriers, qu’il les paie même en période de chômage, la révolte déborde.

La foule se rassemble faubourg Saint-Antoine, faubourg Saint-Marceau.

On brise, on pille, on incendie la maison d’Henriot, parce que la maison de Reveillon est protégée.

Le mardi 28, les manifestants sont des milliers, menaçants, retenant les carrosses, insultant leurs occupants, les contraignant à crier : « Vive le tiers état ! » Le carrosse de Philippe d’Orléans est arrêté. Le duc, acclamé, offre sa bourse, et lance :