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Ils ont répondu en lançant : « Vive la nation ! »

Les dragons disent à l’officier qui les conduit à Versailles : « Nous vous obéissons mais quand nous serons arrivés, annoncez aux ministres que si l’on nous commande la moindre violence contre nos concitoyens, le premier coup de feu sera pour vous. »

Ces soldats comme le peuple se défient des régiments étrangers.

À Versailles, des gardes françaises et des hommes du peuple ont écharpé des hussards parlant allemand au cri de :

« Assommons ces polichinelles, qu’il n’en reste pas un ici. »

On s’indigne en apprenant que le Conseil de guerre suisse a fait pendre deux gardes suisses qui avaient manifesté leur sympathie pour les sentiments patriotiques français.

On constate des désertions parmi les troupes qui ont établi leur camp au Champ-de-Mars.

Et au Palais-Royal, on note la présence aux côtés des gardes françaises d’artilleurs eux aussi acclamés par les femmes, des ouvriers.

Un sergent a lu une « adresse au public » dans laquelle il l’assurait « qu’il n’avait rien à craindre des troupes nationales, que jamais la baïonnette et le fusil ne serviraient à répandre le sang des Français, de leurs frères et de leurs amis ».

Louis après avoir lu ces dépêches a l’impression que son corps est une masse lourde qui l’écrase.

Comme pour l’accabler, on lui a rapporté ces conclusions d’un libraire parisien qui, le 8 juillet, a écrit à son frère :

« On avait cru jusqu’ici que la révolution se ferait sans effusion de sang, mais aujourd’hui on s’attend à quelques coups de violence de la part de la Cour : ces préparatifs, tout cet appareil militaire l’indiquent. On y ripostera sans doute avec autant et encore plus de violence. »

Mais comment éviter cet affrontement, alors que Louis veut préserver l’ordre monarchique qu’on lui a transmis et dont il est le garant ?

Or cet ordre est dans tout le royaume remis en cause.

Les émeutes, les pillages continuent de se produire dans toutes les provinces, en ce début du mois de juillet d’une chaleur qui augmente jour après jour, et avec elle la nervosité, l’inquiétude, la colère contre le prix élevé du pain, sa rareté, contre les menaces que la « cabale » des aristocranes ferait peser sur le tiers état.

On a faim. On a peur.

On craint l’arrivée de nouveaux régiments étrangers. Ils prendraient position sur les collines dominant Paris, prêts à bombarder les quartiers de la capitale, le Palais-Royal, les faubourgs.

On assure que le roi est entre les mains de la « cabale », dont le comte d’Artois et la reine sont les animateurs, avec certains ministres, et Foulon qui aurait déclaré, évoquant les plaintes des Parisiens et des paysans : « Ils ne valent pas mieux que mes chevaux et s’ils n’ont pas de pain, qu’ils mangent du foin. »

Louis n’ignore pas ces rumeurs et ces peurs qui troublent le pays, et le dressent contre la monarchie. Mais le roi ne peut croire que ce peuple qui lui a si souvent manifesté son affection, et le 27 juin encore, soit profondément atteint par cette « fermentation », cette « gangrène » des esprits.

Il faut que le roi lui montre sa détermination. Et Louis approuve les propositions de ses frères et de la reine.

Il doit d’abord ressaisir le glaive, concentrer les troupes étrangères autour de la capitale, afin qu’elles puissent intervenir si nécessaire.

Et briser cette Assemblée nationale qui, le 9 juillet, s’est proclamée Assemblée constituante, et qui la veille a voté une proposition de Mirabeau, demandant au roi d’éloigner les troupes étrangères de la capitale et de Versailles.

Il faut dissimuler ses intentions, répondre que ces régiments suisses et allemands sont là pour protéger l’Assemblée, qu’on pourrait d’ailleurs transférer à Noyon ou à Soissons, où elle serait à l’abri des bandes qui troublent l’ordre à Paris et à Versailles.

Louis ment, mais, pense-t-il, il en a le droit puisqu’il s’agit du bien du royaume dont Dieu lui a confié la charge.

Le moment est proche où le roi abattra sa carte maîtresse : le renvoi de Necker qui sera remplacé par le baron de Breteuil, l’armée étant confiée au duc de Broglie, vieux maréchal de la guerre de Sept Ans, qui sera ministre de la Guerre.

Lors du Conseil des dépêches du samedi 11 juillet, Louis ne révèle rien de ses intentions.

Mais le Conseil clos, il charge le ministre de la Marine, le comte de La Luzerne, de porter à Necker l’ordre de sa démission.

Lettre tranchante demandant à Necker de quitter le royaume. Louis imagine bien en effet que la démission de celui que la foule appelle « notre père » provoquera des troubles.

Mais il ne peut pas penser avec précision au-delà de sa décision.

Il n’est pas capable de prévoir les mesures à prendre.

Ces jours d’angoisse et de choix l’ont épuisé.

L’un des ministres renvoyés avec Necker, le comte de Saint-Priest, notera :

« Le roi était dans une anxiété d’esprit qu’il déguisa en affectant plus de sommeil qu’à l’ordinaire, car il faut savoir qu’il s’endormait fréquemment pendant la tenue des Conseils, et ronflait à grand bruit. »

Le lendemain, dimanche 12 juillet 1789, Paris et la France vont réveiller brutalement le roi Louis XVI.

15

Dimanche 12 juillet-Lundi 13 juillet

Louis, à Versailles, et les députés aux États généraux sont encore ensommeillés quand ce dimanche

12 juillet 1789, la nouvelle du renvoi de Necker se répand dans Paris.

Il est autour de neuf heures.

La foule est déjà dans la rue, parce que la chaleur stagne dans les soupentes, dans les logis surpeuplés, et les vagabonds, les indigents et les paysans réfugiés dans la ville ont dormi à la belle étoile. Et puis c’est dimanche, le jour où l’on traîne, du Palais-Royal aux Tuileries, des portes de Paris au faubourg Saint-Antoine.

On a chaud. On a soif. On parle fort. On boit dans les estaminets. Et tout à coup, cette rumeur qui court : Necker, le « père du peuple », a été chassé par les aristocrates, la reine, le comte d’Artois, cette cabale qui gouverne le roi.

Ils veulent donc étouffer le peuple, le massacrer, dissoudre l’Assemblée nationale.

Ils vont donner l’ordre aux régiments étrangers qui campent au Champ-de-Mars et sur les collines de tirer sur le peuple, de bombarder la ville comme on le craint depuis près de dix jours.

On avait raison. Ils ont trahi le peuple.

À la fin de la matinée, on se presse au Palais-Royal, place Louis-XV, aux Tuileries.

Des bandes d’« infortunés », de déguenillés dont les visages et les propos attirent et effraient, parcourent les rues.

Au Palais-Royal, vers midi, un homme jeune, un avocat, un journaliste, bondit sur une chaise, lève le bras, commence à parler d’une voix enflammée.

On répète son nom, Camille Desmoulins.

Ils sont plus de dix mille à l’écouter.

Depuis plusieurs heures déjà cette foule s’échauffe, brandit les poings, des piques, ces faux dont on a redressé la lame.

On a fustigé ce comte d’Artois pour qui Necker, aurait-il dit, n’est qu’« un foutu bougre d’étranger ».

Et des agents soldés du duc d’Orléans ont répété dans la foule que ce sont les « abominables conseillers du roi qui ont obtenu le renvoi de Necker ».

Ils veulent « purger » la ville.

Et Desmoulins lance :

« Aux armes ! Pas un moment à perdre ! J’arrive de Versailles : le renvoi de Necker est le tocsin d’une Saint-Barthélemy des patriotes. Ce soir, tous les bataillons suisses et allemands sortiront du Champ-de-Mars pour nous égorger ! Il ne nous reste qu’une ressource, c’est de courir aux armes ! »