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« Aux armes ! » reprend-on.

Camille Desmoulins arrache des feuilles de marronnier, les accroche à son chapeau.

Cette cocarde verte sera le signe de ralliement de tous ceux qui veulent empêcher le massacre des patriotes.

« Aux armes ! Aux armes ! » crie-t-on en s’élançant.

On se rend au cabinet de cire de Curtius. On lui emprunte les bustes de Necker et du duc d’Orléans. Un cortège se forme, d’hommes et de femmes qui arborent la cocarde verte et se dirigent vers les Tuileries.

Place Vendôme, ils lapident un détachement du Royal-Allemand qu’ils refoulent, et, en brandissant les deux bustes, en criant « Aux armes ! », ils arrivent place Louis-XV.

Le cortège s’arrête, face à des dragons du Royal-Allemand, commandés par le prince de Lambesc.

Les cavaliers commencent à avancer vers la foule qui hésite, reflue vers les terrasses des Tuileries, trouve là des pierres, des blocs déposés en vue de la construction d’un pont sur la Seine.

On s’abrite, on lance des cailloux sur les dragons.

Lambesc charge, blesse d’un coup de sabre un vieillard.

Fureur, rage contre « le sanguinaire Lambesc ». On résiste aux charges.

On pousse des cris de joie quand les gardes françaises arrivent place Louis-XV et tirent sur les dragons.

Un dragon est renversé, fait prisonnier, malmené.

Lambesc hésite, craint qu’on ne relève le pont tournant, l’empêchant ainsi de reculer, de passer sur la rive gauche.

Il se dégage, en chargeant, puis évacue la place.

On exulte. On crie qu’il faut se saisir du prince de Lambesc, qu’il faut « l’écarteler sur-le-champ ».

On retourne au Palais-Royal. On pille les armureries, on bouscule, frappe les passants qui n’arborent pas la cocarde verte.

On s’arrête devant les guinguettes, les estaminets, les cabarets.

On raconte « la bataille » contre le Royal-Allemand. Les victimes (un blessé !) dans les récits se multiplient, font naître l’effroi et la fureur. Et quand on voit surgir des cavaliers du Royal-Allemand qui patrouillent dans les faubourgs et le long des boulevards, les gardes françaises présents dans les cortèges les attaquent, les tuent.

À Versailles aussi le peuple est dans la rue, et les députés protestent contre le renvoi de Necker.

Il « fallait en châtier les auteurs », « de quelque état qu’ils puissent être », dit l’abbé Grégoire, et l’archevêque de Vienne lui-même, au nom de l’Assemblée, déclare au roi « que l’Assemblée ne cesserait de regretter l’ancien ministre et qu’elle n’aurait jamais confiance dans les nouveaux ».

Louis répond avec une fermeté qui surprend le prélat.

« C’est à moi seul, dit-il, à juger de la nécessité des mesures à prendre. Et je ne puis à cet égard apporter aucun changement. »

Quant à la présence de troupes dans Paris, il ajoute :

« L’étendue de la capitale ne permet pas qu’elle se garde elle-même. »

Louis a appris que, commandés par le baron de Besenval, les régiments suisses ont quitté le Champ-de-Mars, et, après un long détour par le pont de Sèvres, atteint les Champs-Elysées. Ils n’ont pas rencontré de manifestants et ont regagné leurs campements.

Louis peut s’abandonner à ce sommeil qui l’envahit.

Mais Paris ne dort pas.

« Toutes les barrières depuis le faubourg Saint-Antoine jusqu’au faubourg Saint-Honoré, outre celles des faubourgs Saint-Marcel et Saint-Jacques, sont forcées et incendiées » dans la nuit du 12 au 13 juillet. Les émeutiers espèrent que la destruction des octrois fera baisser le prix du grain et du pain, qui est à son niveau le plus élevé du siècle.

La ville est ainsi « ouverte », et « la multitude y entre » dès le début de la matinée du lundi 13 juillet.

Les hommes (des « brigands », disent les bourgeois qui se sont calfeutrés chez eux) armés de piques et de bâtons pillent les maisons, crient qu’ils veulent « des armes et du pain ».

Ils dévalisent les boulangeries, les marchands de vin, dévastent le couvent de Saint-Lazare, brisent la bibliothèque, les armoires, les tableaux, le cabinet de physique et dans les caves défoncent les tonneaux, trouvent du grain dans les réserves. Ils obligent les passants à boire.

On découvrira dans les caves du couvent une trentaine de pillards, noyés dans le vin.

Les « bourgeois » – qui furent les électeurs aux États généraux – veulent faire cesser ce pillage, craignent le désordre, la destruction de tous les biens.

Ils se réunissent, décident de créer une garde nationale, milice bourgeoise de 48 000 hommes qui défendra Paris contre les pillards, les brigands et les régiments étrangers.

Le prévôt des marchands Flesselles est désigné pour présider une Assemblée générale de la Commune.

Il faut des armes pour la milice. « Paris, dit Bailly qui sera maire de la ville, court le risque d’être pillé. » « En pleine rue, des créatures arrachaient aux femmes leurs boucles d’oreilles et de souliers. »

La milice s’organise, se donne une cocarde aux couleurs de Paris, rouge et bleu.

On achète aux « vagabonds les armes dont ils se sont emparés ». On arrête et même on pend quelques brigands. Mais au même moment, la foule brise les portes des prisons, libère ceux qui sont détenus pour « dettes, querelles, faits de police… elle y laisse les prévenus de vol, de meurtres et autres crimes ».

Et des gardes françaises livrent leurs armes au peuple, puis défilent, boivent avec lui « le vin qu’on leur verse aux portes des cabarets ».

Un témoin, le libraire Ruault, note :

« Aucun chef ne se montre dans ce mouvement tumultueux. Ce peuple paraît marcher de lui-même. Il est gai, il rit aux éclats, il chante, il crie “Vive la : nation !”. Et il engage nombre de spectateurs à devenir acteurs avec lui dans le reste de la scène. »

Mais la crainte des pillages, des brigands, de l’attaque des régiments étrangers est de plus en plus forte.

Les représentants des « électeurs parisiens », en cette fin de journée du lundi 13 juillet, s’en vont aux Invalides demander au gouverneur qu’il leur livre les armes de guerre, plusieurs dizaines de milliers de fusils, conservées dans le bâtiment. Il refuse.

Mais le peuple a déjà acquis l’habitude de prendre ce qu’on ne lui donne pas.

16

Nous voulons !

C’est le cri qui a traversé la nuit brûlante du 13 au

14 juillet 1789.

Et dans l’aube déjà étouffante, des bandes parcourent les rues. Les hommes sont armés de broches, de piques, de fusils. Certains sont « presque nus ». « Vile populace », murmurent les bourgeois.

Des groupes se forment devant les portes des maisons cossues, celles d’ennemis de la nation et donc du tiers état.

Des hommes exigent qu’on leur ouvre les portes :

« On veut à boire, à manger, de l’argent, des armes. »

Dans la nuit, ils ont pillé le garde-meuble où sont entreposées des armes et des armures de collection. Ils brandissent des sabres, des coutelas, des lances.

Mais ce sont des armes de guerre qu’ils veulent.

« Des armes, des armes, nous voulons des armes », crient-ils devant les Invalides.

Ils sont près de cinquante mille, qui ne se soucient guère des canons qui menacent mais qui sont servis par des invalides, et ceux-ci ne voudront pas tirer sur le peuple !

La foule piétine devant les fossés qui entourent les bâtiments.

Des hommes apparaissent, portant au sommet d’une pique la tête tranchée au coutelas de Flesselles, le prévôt des marchands, président de l’Assemblée des électeurs parisiens, qu’on accuse d’avoir trompé le peuple, en l’envoyant chercher des armes là où elles ne sont pas, à l’Arsenal, aux Chartreux, aux Quinze-Vingts.