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Le roi doit être ferme et ne jamais se laisser aller à la faiblesse. Il doit aussi connaître les hommes afin de ne pas être dupe… Le roi tient de Dieu l’autorité souveraine, dont il ne doit compte qu’à Lui, mais s’il asservit son peuple, il est coupable devant Dieu ».

Et les conseils qu’il reçoit d’un abbé qui fut le confesseur de son père – l’abbé Soldani – achèvent de lui représenter le « métier de roi » comme le plus exigeant, le plus austère, le plus difficile aussi qui soit.

Il faut, lui a dit Soldani, « connaître sa religion, lutter contre les écrits des philosophes, sans ménager les auteurs, protéger l’Église sans épargner les mauvais prêtres ni les abbés avides… Évitez les favoris, tenez-vous près du peuple, évitez le vain luxe, les dépenses, les plaisirs auxquels on sait que vous tenez peu, du reste. Vous qui aimez le travail, sachez vous reposer ; vous qui êtes frugal, ne vous laissez pas séduire ; soyez bon avec tous, mais rappelez-vous que vous êtes l’héritier. Et puissiez-vous régner le plus tard possible ».

Mais ce 10 mai 1774, il n’a pas vingt ans, quand il entend tout à coup rouler vers lui, comme un bruit de tonnerre, le piétinement impatient des courtisans qui ont abandonné l’antichambre du souverain décédé pour venir saluer « la nouvelle puissance ».

Le roi est mort ! Vive le roi !

2

Louis est comme écrasé, étouffé.

« Quel fardeau, s’exclame-t-il, et on ne m’a rien appris ! Il me semble que l’univers entier va tomber sur moi. »

Cette charge royale que Dieu lui confie, il craint depuis plus de dix ans de ne pouvoir la supporter.

Longtemps, il a espéré ne pas monter sur le trône.

Il n’était que le deuxième fils du dauphin Louis-Ferdinand et de la dauphine Marie-Josèphe de Saxe.

Le fils aîné, le duc de Bourgogne, était le successeur désigné de Louis-Ferdinand, qui lui-même n’accéderait à la royauté qu’après la mort de son père Louis XV.

Louis, duc de Berry, né le 23 août 1754, se sentait ainsi protégé par ces trois vies qui le tenaient écarté du trône.

D’ailleurs, qui prêtait attention à cet enfant joufflu, puis à ce garçon maigre, au regard vague des myopes, qui semblait incapable de prendre une décision et dont la démarche même était hésitante ?

Son frère aîné, le duc de Bourgogne, attirait tous les regards, toutes les attentions, et il traitait son cadet avec morgue, mépris, cependant que ses précepteurs, le gouverneur des enfants de France, le duc de La Vauguyon, le donnaient en modèle. Les frères cadets de Louis, duc de Berry, les comtes de Provence et d’Artois, étaient, bien que plus encore éloignés du trône, moins effacés. Le comte de Provence avait l’intelligence subtile, et le comte d’Artois, le charme d’un séducteur.

Les sœurs, Clotilde et Élisabeth, comptaient peu, face à ces quatre fils.

« Nos princes sont beaux et bien portants… Monseigneur le duc de Bourgogne est beau comme le jour, et le duc de Berry ne lui cède en rien », disait-on.

Mais c’est le duc de Bourgogne qu’on fête !

À sa naissance, en 1751, Louis XV ordonne trois jours de chômage et d’illuminations à Paris. Rien de tel pour le duc de Berry, trois ans plus tard. À peine quelques volées de cloches.

A-t-on craint, comme ce fut le cas pour le duc de Bourgogne, que des émeutiers, pauvres que la misère étrangle, que le prix du grain affame, ne déposent dans le berceau de l’enfant un paquet de farine et un paquet de poudre, avec ce placet : « Si l’un nous manque, l’autre ne nous manquera pas » ?

On avait envoyé l’une des nourrices à la Bastille, sans pour autant démonter les rouages du complot et mettre au jour les complicités.

Le duc de Berry reste dans l’ombre de son frère aîné. On se soucie si peu de lui, que la nourrice qu’on lui choisit n’a pas de lait, mais est la maîtresse d’un ministre du Roi, le duc de La Vrillière.

Tant pis pour Louis, duc de Berry, puisqu’il ne doit pas être roi !

Mais la mort a d’autres projets.

Elle rôde dans le royaume de France, qui semble si riche, si puissant, le modèle incomparable des monarchies.

Et cependant on meurt de faim, et les impôts dépouillent les plus humbles, les laissant exsangues alors que nobles et ecclésiastiques apparaissent comme des intouchables, rapaces de surcroît, levant leurs propres impôts, avides au point de tout vouloir s’accaparer, chassant à courre, saccageant ainsi les épis mûrs, et traînant en justice, et parfois jusqu’à l’échafaud, les paysans qui braconnent.

Les « émotions », les « émeutes », les « guerres des farines », les « révoltes des va-nu-pieds », secouent donc périodiquement le royaume.

Et en 1757 – le duc de Berry a trois ans –, un serviteur, Damiens, à Versailles, porte un coup de couteau au flanc du roi bien-aimé, Louis XV. Blessure sans gravité, mais acte révélateur et châtiment à la mesure du sacrilège.

Porter la main sur le roi c’est frapper Dieu ! Et, dans ce royaume où on lit Voltaire, où la favorite, Madame de Pompadour, protège les philosophes, on va couler du plomb fondu dans les entrailles ouvertes de Damiens, puis on va atteler quatre chevaux à ses quatre membres, afin de l’écarteler, et, pour faciliter l’arrachement des jambes et des bras, on cisaillera les aisselles et l’aine.

La mort est à l’œuvre.

Le duc de Bourgogne meurt le 20 mars 1761, et Louis son cadet, âgé de sept ans, que le décès de son frère aîné a plongé dans la maladie, emménage dans la chambre du frère défunt, celle de l’enfant choyé qu’on préparait pour le trône et qui n’est plus qu’un souvenir exemplaire dont on ne cesse de vanter les mérites à Louis.

On veille de plus près sur son éducation.

« Berry fait de grands progrès dans le latin et d’étonnants dans l’histoire », écrit son père, le dauphin Louis-Ferdinand.

Mais les ambassadeurs qui le scrutent puisqu’il s’est rapproché du trône sont sans indulgence.

« Si on peut s’en rapporter aux apparences, écrit l’ambassadeur d’Autriche en 1769 – Louis a quinze ans –, la nature semble lui avoir tout refusé. Le prince par sa contenance et ses propos n’annonce qu’un sens très borné, beaucoup de disgrâce et nulle sensibilité… »

Et l’ambassadeur de Naples ajoute un trait plus sévère encore : « Il semble avoir été élevé dans les bois. »

Louis en fait est timide, d’autant plus mal à l’aise que son père, dauphin de France, est mort le vendredi 20 décembre 1765, et que désormais entre la charge royale et Louis, il n’y a plus que son grand-père Louis XV, vert encore, rajeuni par sa liaison avec la comtesse du Barry qui a succédé à la marquise de Pompadour, décédée en 1764.

Mais le roi est lucide, et il s’exclame, plein d’inquiétude et presque de désespoir :

« Pauvre France, un roi âgé de cinquante-cinq ans et un dauphin âgé de onze ans ! Pauvre France. »

À compter de ce mois de décembre 1765, Louis, duc de Berry, est donc en effet dauphin de France.

Il a onze ans.

Il n’est qu’un enfant que l’inquiétude tenaille, qui trouve souvent dans la maladie un refuge contre l’angoisse d’avoir un jour à être roi de France. Dignité, charge et fonction auxquelles on le prépare en lui enseignant l’italien, l’anglais et un peu d’allemand. Mais il aime d’abord les mathématiques, les sciences, la géographie. Il est habile à dessiner les cartes.

Les travaux manuels – et même ceux des jardiniers ou des paysans qu’il côtoie – l’attirent. Il a été malingre. Il grossit, parce qu’il dévore, engloutissant voracement, comme pour rechercher ces périodes d’engourdissement, d’indigestion, qui lui masquent la réalité.