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Il est cependant si préoccupé, qu’il n’a pas chassé. Et il a écrit à la date du 14 juillet, sur le carnet où il note ses exploits cynégétiques, le mot « Rien ».

Au même instant à Paris, le libraire Ruault écrit :

« La journée de mardi a tué le pouvoir du roi. Le voilà à la merci du peuple pour avoir suivi les perfides conseils de sa femme et de son frère Charles d’Artois. Ce début de grande révolution annonce des suites incalculables pour les plus prévoyants. »

Louis veut croire qu’il ne s’agit que de l’une de ces émeutes parisiennes, de ces frondes que les rois ont toujours su écraser, ou désarmer.

Et cependant l’inquiétude le ronge, et il la fuit, en se contentant de répondre à une délégation de l’Assemblée qui veut lui faire part de ce qu’elle vient d’apprendre des événements parisiens :

« J’ai donné l’ordre que mes troupes qui sont au Champ-de-Mars se retirassent. »

Puis il bâille, s’enfonce dans ce sommeil où tout se dissout.

Mais à l’aube du mercredi 15 juillet, le grand maître de la Garde-Robe le réveille, et chaque mot que prononce le duc de La Rochefoucauld-Liancourt arrache douloureusement Louis XVI à la somnolence protectrice.

La Bastille est tombée. On a promené des têtes au bout des piques en poussant des cris de cannibales.

« C’est une révolte », balbutie Louis XVI d’une voix sourde.

« Non, Sire, c’est une révolution. »

Louis a l’impression qu’il ne pourra jamais soulever son corps.

Il se redresse lentement.

Il doit bouger, agir.

Il faut se rendre à l’Assemblée, répéter qu’on a pris la décision d’éloigner les troupes de Paris et de Versailles.

« Je compte sur l’amour et la fidélité de mes sujets, dit Louis. Je ne suis qu’un avec ma nation, c’est moi qui me fie à vous. Aidez-moi dans cette circonstance à assurer le salut de l’État… Je ne me refuserai jamais à vous entendre et la communication entre l’Assemblée et moi sera toujours libre… »

Il se retire en compagnie de ses frères, rentre à pied au château, accompagné par les députés des trois ordres.

La foule accourt, crie : « Vive le roi ! »

Louis se rassure, malgré les avertissements de la reine, du comte d’Artois. Il faut, disent-ils, effacer par une victoire et un châtiment exemplaire la révolte de Paris, la prise de la Bastille, la tuerie sauvage qui a suivi.

Il faut imposer partout dans le royaume l’autorité du roi.

Le soir de ce mercredi 15 juillet, Louis écoute le récit de la réception faite par Paris à la députation de l’Assemblée nationale qui s’y est rendue dans l’après-midi.

Plus de cent mille Parisiens, souvent armés, l’ont accueillie. On a crié « Vive la nation ! Vive les députés ! » mais aussi « Vive le roi ! ». Le marquis de La Fayette, président de la députation, a déclaré : « Le roi était trompé, il ne l’est plus. Il est venu aujourd’hui au milieu de nous, sans troupes, sans armes, sans cet appareil inutile aux bons rois. »

Le comte de Lally-Tollendal a ajouté :

« Ce bon, ce vertueux roi, on l’avait environné de terreurs. Mais il a dit qu’il se fiait à nous, c’est-à-dire à vous… »

« Tout doit être oublié, a conclu le comte de Clermont-Tonnerre. Il n’y a pas de pardon à demander où il n’y a pas de coupable… Le peuple français hait les agents du despotisme mais il adore son roi… »

Les acclamations ont déferlé en hautes vagues.

On a proclamé le marquis de La Fayette commandant la milice parisienne, cette « garde nationale », et Bailly, désigné prévôt des marchands, a préféré le titre de maire qui lui a été accordé par acclamation.

L’archevêque de Paris a conduit la députation à Notre-Dame, où l’on a chanté un Te Deum.

La cathédrale était pleine.

À la sortie, le peuple a crié qu’il voulait le rappel de Necker. Les députés ont approuvé, affirmé que le vœu du peuple serait exaucé.

Louis sait, le jeudi 16 juillet, qu’il va devoir décider. À l’Assemblée nationale, qui vient de se réunir, le comte Lally-Tollendal a dit sous les acclamations :

« Ce vœu bien prononcé nous l’avons entendu hier à Paris. Nous l’avons entendu dans les places, dans les rues, dans les carrefours. Il n’y avait qu’un cri : “Monsieur Necker, Monsieur Necker, le rappel de Monsieur

Necker.” Tout ce peuple immense nous priait de redemander Monsieur Necker au Roi. Les prières du peuple sont des ordres. Il faut donc que nous demandions le rappel de Monsieur Necker. »

Un roi doit-il obéir aux ordres du peuple et de l’Assemblée ?

Louis écoute au Conseil qu’il réunit le 16 juillet ses frères et la reine s’indigner de cette injonction, lui demander de refuser le rappel de Necker.

Et puisque les troupes ne sont plus sûres, au dire du maréchal de Broglie, et incapables de reconquérir Paris et de briser cette révolte, cette révolution, il faut quitter Versailles, gagner une place forte, proche de la frontière.

Broglie n’est pas sûr, dit-il, d’assurer la sécurité de la famille royale pendant ce voyage, puis concède qu’on peut se rendre à Metz, mais « qu’y ferons-nous ? ».

Le comte de Provence est de l’avis qu’il faut rester à Versailles.

Louis a l’impression qu’il glisse sur une pente, et qu’au bout il y a le gouffre.

Il devrait se mouvoir, s’agripper, échapper à ce destin.

Il voudrait partir avec la reine, ses enfants, ses proches.

Il sait que Marie-Antoinette attend, espère qu’il fera ce choix. Elle a déjà brûlé des lettres, placé tous ses bijoux dans un coffre qu’elle emportera avec elle.

Mais il ne peut pas.

Il consulte du regard les ministres qui participent au Conseil. Certains lui annoncent qu’ils démissionnent. Breteuil au contraire veut conserver son poste.

Louis détourne la tête, dit qu’il va rappeler Necker, renvoyer les régiments dans leurs garnisons.

Il voit, il sent le désespoir de la reine.

Mais il n’a pas la force de choisir le départ, c’est-à-dire le combat. Ce choix de rester est celui de la soumission au destin, à la volonté des autres.

Lui aussi, comme l’Assemblée, il est aux ordres du peuple.

Et, par instants, il pense même que c’est son devoir de roi.

Il transmet ses décisions à l’Assemblée qui se félicite de la sagesse du roi, du départ des troupes et du rappel attendu par toute la nation de Necker.

Mais le peuple veut voir, entendre le roi.

Louis se rendra donc à Paris, demain vendredi 17 juillet 1789.

Peut-être sera-ce le jour de sa mort ?

Il s’y prépare, donne à son frère, comte de Provence, le titre de lieutenant général du royaume.

Puis il parcourt le château de Versailles, que les courtisans ont déserté. Beaucoup, comme le comte d’Artois et sa famille, les Polignac, Breteuil, Broglie, Lambesc, le prince de Condé et les siens, tous ceux qui savent qu’ils sont inscrits sur les listes de proscription, ont choisi d’émigrer. Ils ont déjà quitté Versailles.

Les pas de Louis résonnent dans les galeries désertes.

Louis regagne ses appartements. Il va dormir.

C’est le vendredi 17 juillet. Il roule vers Paris.

Il n’est accompagné que de quelques nobles – les ducs de Villeroy et de Villequier, le comte d’Estaing -et de trente-deux députés tirés au sort.

Les gardes du corps sont sans armes.

Mais la milice bourgeoise de Versailles qui accompagne le carrosse royal jusqu’à Sèvres, comme la milice bourgeoise de Paris qui le reçoit, sont sous les armes.

Le peuple à la porte de Paris crie « Vive la nation ! ».

Et Bailly le maire, en remettant les clés à Louis, déclare :

« J’apporte à Votre Majesté les clés de sa bonne ville de Paris. Ce sont les mêmes qui ont été présentées à Henri IV. Il avait reconquis son peuple, ici c’est le peuple qui a reconquis son roi… Sire, ni votre peuple ni Votre Majesté n’oublieront jamais ce grand jour, c’est le plus beau de la monarchie, c’est l’époque d’une alliance auguste, éternelle, entre le monarque et le peuple. Ce trait est unique, il immortalise Votre Majesté… »