On traverse Paris.
Le peuple en armes ne crie pas « Vive le Roi ! ».
Louis voit tous ces visages, ces piques, ces fusils.
Il entre dans l’Hôtel de Ville sous une voûte d’épées entrelacées.
On lui remet la nouvelle cocarde où le blanc de la monarchie est serré entre le bleu et le rouge de Paris.
On l’accroche à son chapeau.
« Vous venez promettre à vos sujets, lui dit le représentant des électeurs de Paris, que les auteurs de ces conseils désastreux ne vous entoureront plus, que la vertu, trop longtemps exilée, restera votre appui. »
Louis murmure : « Mon peuple peut toujours compter sur mon amour. »
Au même moment, à Saint-Germain-en-Laye, un meunier soupçonné d’accaparement de grains est conduit sur la place, jugé, condamné à mort. Et un garçon boucher lui tranche le cou, au milieu des hurlements de satisfaction !
Et dans la salle de l’Hôtel de Ville de Paris, Louis XVI sourit vaguement, écoutant les discours qu’on lui adresse. Le maire Bailly, d’un coup de pied, a écarté le petit carreau de velours sur lequel il devrait selon l’étiquette s’agenouiller. Et il parle au roi debout.
Un témoin, Lindet, pourtant adversaire de la Cour, se sent humilié par l’atmosphère de cette réception : « La contenance niaise et stupide du roi faisait pitié », se souviendra-t-il.
Mais Louis est rassuré.
Une voix au fond de la salle a lancé « Notre roi, notre père », et les applaudissements ont crépité, puis les cris de « Vive le roi ! ».
Louis peut rentrer à Versailles, bercé par le balancement du carrosse.
Il est dix heures du soir.
La reine, en larmes, l’accueille. On l’entoure, on se laisse aller, après la peur, à la joie des retrouvailles.
Le roi est vivant, rien n’est perdu.
Mais l’ambassadeur des États-Unis à Paris, Thomas Jefferson, qui a assisté à la réception de Louis XVI à l’Hôtel de Ville, écrit :
« C’était une scène plus dangereuse que toutes celles que j’ai vues en Amérique et que celles qu’a présentées Paris pendant les cinq derniers jours. Elle place les États généraux hors de toute attaque et on peut considérer qu’ils ont carte blanche…
« Ainsi finit une amende honorable telle qu’aucun souverain n’en avait jamais fait, ni aucun peuple jamais reçu. »
Un autre Américain, Gouverneur Morris, précise crûment :
« L’autorité du roi et de la noblesse est entièrement détruite. »
Louis, dans ses appartements de Versailles, s’est endormi.
TROISIÈME PARTIE
18 juillet 1789-octobre 1789
« Mes amis, j’irai à Paris
avec ma femme et mes enfants »
« Voilà le peuple : quand lassé de ses maux il lève la tête avec ferveur contre les despotes, il ne lui suffit pas de secouer le joug, il le leur fait porter et devient despote lui-même. »
Loustalot
Les Révolutions de Paris, août 1789
17
Louis se réveille dans la chaleur stagnante et accablante qui écrase cette deuxième quinzaine de juillet 1789.
Une vapeur grise recouvre les bassins et les bosquets du parc de Versailles.
Tout est silence comme dans un tombeau.
Les valets sont absents, et quand ils s’approchent, leur désinvolture ironique frôle le mépris et l’arrogance. Les courtisans ont déserté le château. Les princes ont choisi d’émigrer.
Louis se lève, se rend chez la reine.
Dans l’hostilité et la haine, ou l’abandon qui les entourent, et dont il craint qu’ils n’engloutissent sa famille, Louis se sent proche de Marie-Antoinette et de leurs deux enfants.
Et dans la tourmente c’est en leur compagnie qu’il trouve un peu de paix. Il doit rassurer et instruire ses enfants.
Et il ne souhaite pas que le dauphin connaisse un jour le malheur de régner.
C’est un cauchemar que la vie de roi, quand brusquement le peuple change de visage, et ne manifeste plus ni amour ni reconnaissance, mais une fureur sauvage.
On rapporte à Louis, que dès le 15 juillet à l’aube, six cents maçons ont commencé à démolir la Bastille.
Et de belles dames « achètent la livre de pierres de la Bastille aussi cher que la meilleure livre de viande ».
Louis a dû accepter de décorer de la croix de Saint-Louis « les vainqueurs de la Bastille », et de montrer sa gratitude quand on lui a annoncé que sur les ruines du « château diabolique » on allait élever sa statue.
Un député du Dauphiné, Mounier, a dit : « Il n’y a plus de roi, plus de parlement, plus d’armée, plus de police. »
Le maire de Paris, Bailly, a murmuré : « Tout le monde savait commander et personne obéir. »
« Ce qu’on appelle la Cour, constate un témoin, ce reste d’hommes du château de Versailles est dans un état pitoyable. Le roi a le teint couleur de terre ; Monsieur – son frère comte de Provence – est pâle comme du linge sale. La reine, depuis que le cardinal de Rohan a pris place à l’Assemblée nationale, éprouve de fréquents tremblements dans tous ses membres ; vendredi elle est tombée sur sa face dans la grande galerie. »
Et chaque jour, à Paris, des violences, des pillages, des assassinats, la hantise du « complot aristocratique », et de l’arrivée d’une armée conduite par le comte d’Artois.
Les bourgeois se terrent, et les plus courageux d’entre eux patrouillent dans la milice-Garde nationale, mais le plus souvent sont impuissants à protéger ceux que le peuple veut châtier, sans jugement.
Et cette « fièvre chaude agite toute la France, écrit le libraire Ruault. Cela ne doit point étonner, mais doit effrayer. Quand une nation se retourne de gauche à droite pour être mieux, ce grand mouvement ne peut se faire sans douleur et sans les cris les plus aigus ».
Et c’est dans tout le pays la « Grande Peur ».
La disette serre toujours l’estomac, excite comme une ivresse, et la colère et la rage se mêlent à la panique.
Comme des traînées de poudre qui enflammeraient tous les villages et les villes de la plupart des provinces, les rumeurs se répandent.
Un nuage de poussière dû au passage d’un troupeau de moutons, qui envahit l’horizon, et aussitôt les paysans se rassemblent. On fait sonner le tocsin. On se persuade que des bandes de brigands sont en marche, qu’ils vont ravager les récoltes, brûler les greniers, piller, violer, tuer.
Ou bien on décrète que les meuniers, les fermiers, les nobles accaparent les grains pour en faire monter es cours, affamer le peuple, mettre en œuvre ce « pacte de famine » qui permettra aux princes de prendre leur revanche.
Il faut donc se dresser contre ce « complot aristocratique ». Et la rumeur enfle ! Le comte d’Artois et son armée sont en marche, répète-t-on.
La panique – et la réaction de fureur préventive et défensive qu’elle suscite – contamine la Franche-Comté, la Champagne, le Maine, les régions de Beaujolais et de Nantes.
Limoges, Brive, Cahors, Montauban, sont touchés. On s’arme de faux dont la lame emmanchée verticalement fait office de pique. On s’empare de fusils. On menace – on tue souvent – tous ceux qui ont détenu l’autorité municipale.
On force les portes des prisons. On libère les prisonniers. On exige la taxation du grain.
Personne ne résiste, ni les soldats, qui souvent incitent les émeutiers à donner l’assaut.