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« Que répondre à un peuple armé qui vous dit : “Je suis le maître” ?

« Quand on a déplacé les pouvoirs ils tombent nécessairement dans les dernières classes de la société puisque, au fond, c’est là que réside dans toute sa plénitude la puissance exécutive. Tel est aujourd’hui l’état de la France… »

D’autres s’indignent de ces commentaires. Et Barnave, le député du Dauphiné, lance :

« On veut nous attendrir, Messieurs, en faveur du sang répandu à Paris, ce sang était-il donc si pur ? »

Un journaliste patriote, Loustalot, va dans le même sens, quand il écrit dans Les Révolutions de Paris :

« Je sens ô mes concitoyens combien ces scènes révoltantes affligent votre âme. Comme vous j’en suis pénétré, mais songez combien il est ignominieux de vivre et d’être esclave. »

Et Gracchus Babeuf, qui est commissaire à terriers et qui a pu ainsi connaître l’état des privilèges, fait porter dans une lettre qu’il écrit à sa femme, à la fin de juillet, la responsabilité de cette justice cruelle rendue par le peuple aux « Maîtres ».

Ils ont usé des « supplices de tous genres : l’écartèlement, la roue, les bûchers, le fouet, les gibets, les bourreaux multipliés partout nous ont fait de si mauvaises mœurs !

« Les maîtres au lieu de nous policer nous ont rendus barbares parce qu’ils le sont eux-mêmes.

« Ils récoltent et récolteront ce qu’ils ont semé car tout cela, ma pauvre petite femme, aura des suites terribles : nous ne sommes qu’au début. »

18

Louis lit ces journaux, ces pamphlets qui appellent au châtiment des « aristocrates ».

On y dresse des listes de proscription, sous le titre La Chasse aux bêtes puantes. On édite des estampes hideuses, Les Têtes coupées et à couper pour en finir avec l’hydre aux 19 têtes.

Certains de ces pamphlets retranscrivent les prêches de l’abbé Fauchet qui, en l’église Saint-Jacques de la Boucherie, a été jusqu’à dire : « C’est l’aristocratie qui a crucifié le fils de Dieu. » Et l’abbé a prononcé l’oraison funèbre des citoyens morts à la prise de la Bastille pour la défense de la patrie.

Louis est fasciné, mais il n’éprouve du dégoût, et un sentiment profond de mépris et d’humiliation aussi, qu’en parcourant les quatre-vingt-onze pages, in-octavo, intitulées Essais historiques sur la vie de Marie-Antoinette.

Propos graveleux qui, en ces jours de la fin juillet et du début août 1789, où Louis se sent si proche de la reine, où il la côtoie, comme un mari, où il la voit, mère aimante et courageuse, le révulsent.

Marie-Antoinette a su faire bonne figure à Necker, qui est enfin arrivé à Versailles, le 29 juillet.

Il a refusé de devenir le ministre principal, se contentant du poste de ministre des Finances.

« Il me semble que je vais entrer dans un gouffre », a-t-il dit, ajoutant : « Tout est relâché, tout est en proie aux passions individuelles. »

Peut-on lui faire confiance ? Il a répondu à la reine qui soulignait qu’il devait au roi son rappel, que « rien ne l’obligeait à la reconnaissance, mais que son zèle pour le roi était un devoir de sa place ».

Il est populaire. La foule l’a acclamé, tout au long de son voyage de retour.

Il a été courageux, lorsque, reçu à l’Hôtel de Ville de Paris, il a plaidé en faveur de la libération du général baron de Besenval, et demandé qu’on déclare l’amnistie.

Le comité des électeurs de Paris l’a approuvé, mais la foule a protesté avec une telle violence, que le comité s’est rétracté. Cependant Louis voit, dans la prise de position de Necker, dans l’approbation que les électeurs lui ont manifestée, le signe que quelque chose change dans le pays.

Peut-être ceux qui lancent les appels au meurtre, qui calomnient, qui exaltent la violence et la révolte, le refus des lois, qui approuvent la jacquerie et entretiennent la Grande Peur, sont-ils allés trop loin.

Louis se laisse, par instants, emporter par l’espoir que le pire ait eu lieu, contrairement à ce que craignent ou espèrent ces journalistes, ces orateurs du Palais-Royal, qui critiquent même l’Assemblée nationale.

L’un de ces journalistes, Marat, ancien médecin dans les écuries du comte d’Artois, après avoir publié en Angleterre, et s’être présenté comme physicien et philosophe, va jusqu’à écrire dans le journal qu’il vient de lancer, L’Ami du peuple : « La faction des aristocrates a toujours dominé dans l’Assemblée nationale et les députés du peuple ont toujours suivi aveuglément les impulsions qu’elle leur donne. »

Mais ces violences, physiques et verbales, rencontrent pour la première fois depuis des semaines une opposition.

Les villes se sont donné des milices bourgeoises.

En Bourgogne, la garde bourgeoise est intervenue contre des bandes de paysans, près de Cluny. À Mâcon, on a condamné à mort vingt pillards.

À l’Assemblée, certains députés dénoncent à mi-voix les « canailles », les « sauvages », les « cannibales ». Et l’un d’eux, Salomon – député du tiers état d’Orléans –, au nom de la nécessité de mettre fin à la jacquerie demande une répression féroce contre les émeutiers.

Et l’Assemblée charge son comité de Constitution de lui proposer les meilleurs moyens de rétablir l’ordre.

Le 4 août à la séance du soir, le député Target, avocat, élu du tiers état de Paris, propose au nom de ce comité de voter un arrêté :

« L’Assemblée nationale considérant que, tandis qu’elle est uniquement occupée d’affermir le bonheur du peuple sur les bases d’une Constitution libre, les troubles et les violences qui affligent différentes provinces répandent l’alarme dans les esprits et portent l’atteinte la plus funeste aux droits sacrés de la propriété et de la sûreté des personnes…

« L’Assemblée déclare que les lois anciennes subsistent et doivent être exécutées jusqu’à ce que l’autorité de la nation les ait abrogées ou modifiées… Que toutes les redevances et prestations doivent être payées comme par le passé, jusqu’à ce qu’il en ait été autrement ordonné par l’Assemblée. »

Louis lit et relit ce texte.

Il lui semble que le royaume aspire au retour à l’ordre et au droit.

Et qu’il a, dans cette nouvelle période, d’élaboration de la Constitution, de l’établissement de nouvelles règles et d’une Déclaration des droits, souhaitées par les députés, une partie à jouer, des prérogatives à défendre. Et il peut le faire avec succès. La Fayette et Mirabeau répètent qu’ils sont respectueux du roi, qu’ils veulent préserver son autorité.

Ils font savoir, discrètement, qu’ils sont prêts à donner des conseils au roi.

C’est le signe que les « patriotes » se divisent, que des courants se dessinent, dans l’Assemblée.

Louis sait qu’il peut s’appuyer sur les monarchistes, fidèles à la tradition, comme l’abbé Maury, ou dans la presse l’abbé Royou qui a créé et rédigé le journal L’Ami du roi.

Il y a les monarchiens, Malouet et Mounier, ces anglomanes qui souhaitent une monarchie à l’anglaise.

Mirabeau et La Fayette voudraient une monarchie nouvelle, à inventer, qui emprunterait à l’esprit des Lumières sa philosophie, une sorte de système américain mais présidé par un roi héréditaire.

Et puis il y a ces députés du tiers, que tente la République, ce Robespierre qui commence à intervenir à l’Assemblée, et ces journalistes, Brissot et son journal Le Patriote français, l’avocat Danton, ou ce Camille Desmoulins et son journal Les Révolutions de France et de Brabant, qui avec franchise dévoile ses mobiles : « À mes principes s’est joint le plaisir de me mettre à ma place, de montrer ma force à ceux qui l’avaient méprisée, de rabaisser à mon niveau ceux que la fortune avait placés au-dessus de moi. Ma devise est celle des honnêtes gens : point de supérieur. »