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Il a eu la certitude que le destin inexorablement venait une nouvelle fois de les entraîner tous vers leur perte. Et qu’il ne lui restait plus qu’à être fidèle à ses engagements sacrés de souverain, choisi par Dieu.

Dieu déciderait.

Et Louis s’est tu.

Il n’a pas été surpris, quand, dès le samedi 3 octobre, puis le dimanche 4, on lui a rapporté qu’au Palais-Royal, dans les districts parisiens des Corde-ers, du faubourg Saint-Antoine, la tempête s’était levée, pour répondre aux défis du banquet.

On siégeait en permanence. Un jeune avocat, Danton, aux Cordeliers, faisait voter que tout citoyen sous peine d’être accusé de trahison envers la patrie devait porter la cocarde tricolore.

Il affirmait que « la patrie est dans la plus forte crise », puisque Paris est affamé, que la Cour prépare la fuite du roi, que le monarque refuse de sanctionner les arrêtés du 4 août, la Constitution et la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Le journal de Loustalot, Les Révolutions de Paris, celui de Desmoulins, Les Révolutions de France et de Brabant, et surtout L’Ami du peuple de Marat, « qui a fait autant de bruit que les trompettes du jugement dernier », appellent à la riposte.

Il faut marcher sur Versailles, exiger du roi qu’il approuve les décrets, la Constitution, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Il faut désarmer le régiment de Flandre, les gardes du corps, contraindre la famille royale à vivre sous la surveillance du peuple de Paris.

« Tous les citoyens doivent s’assembler en armes », écrit Marat.

« Ô Français ! Peuple libre et frivole, ne pressentirez-vous donc jamais les malheurs qui vous menacent ? Vous endormirez-vous donc toujours sur le bord de l’abîme ? »

« Portons enfin la cognée à la racine ! » lance encore Marat.

« Il faut, précise Loustalot, un second accès de révolution. »

On dit que de l’argent est distribué, pour attiser la révolte, organiser une manifestation de femmes, qui marcheraient sur Versailles en réclamant du pain, et cela s’est fait déjà aux temps anciens en 1775, pendant la guerre des Farines.

On envoie des filles, pour « travailler » à Versailles les soldats du régiment de Flandre.

Et sans même avoir besoin d’y être invitées, les femmes se rassemblent.

Elles veulent du pain. Elles s’indignent de ces banquets offerts par cette Autrichienne, de la cocarde noire, celle de cette drôlesse couronnée, qui a été arborée.

Et autour de ces portières, de ces couturières, de ces poissardes, de ces femmes sans souliers et de ces autres bien mises, révoltées aussi, s’agglomèrent des mendiantes, des vagabondes, des filles, et aussi, dit-on, des hommes grimés en femmes, qui crient le plus fort : « Du pain et à Versailles ! »

Maillard, l’un des « vainqueurs de la Bastille », bat le tambour. On se met en route et peu importe s’il pleut.

Et on cherche à entraîner, après des heures de palabres, le général La Fayette réticent.

On dit qu’il faut amener à Paris « toute la sacrée boutique ».

Le tocsin sonne. On presse La Fayette, « plus mort que vif », de choisir « Versailles ou la lanterne ».

Il se met enfin en route avec quinze mille gardes nationaux, suivis de quinze mille volontaires armés de fusils et surtout de piques.

Il pleut sur la route, mais le lundi 5 octobre 1789, en fin d’après-midi, ces femmes, ces volontaires, ces gardes nationaux approchent de Versailles.

Louis chasse du côté de Châtillon.

Il pleut à verse mais il abat bête sur bête, quatre-vingts pièces. Un cavalier surgit, crotté, fourbu, annonce que le peuple de Paris marche sur Versailles.

Il faut arrêter la chasse, rentrer au château, écrire dans son Journal : « Lundi 5 octobre : interrompu par les événements. »

C’est le destin qui roule, entraîne.

Louis n’a pas voulu fuir. Il a refusé d’accepter les décrets.

Il a lu le discours de ce jeune député Maximilien Robespierre qui, à la tribune de l’Assemblée, a déclaré :

« La réponse du roi est contraire aux droits de la nation. Ce n’est pas au roi à censurer la Constitution que la nation veut se donner. Il faut donc déchirer le voile religieux dont vous avez voulu couvrir les premiers droits de la nation. »

Et les femmes de Paris, trempées, jupons boueux, arrivent, pénètrent en force dans l’Assemblée, crient : « À bas les calotins », invectivant les prêtres, interrompant les orateurs.

Elles veulent entendre Mirabeau, « notre bonne petite mère ».

Elles crient : « Assez de phrases ! Du pain ! »

Elles hurlent :

« Voyez comme nous sommes arrangées, nous sommes comme des diables, mais la bougresse nous le paiera cher. Nous l’emmènerons à Paris, morte ou vive. »

Le roi va recevoir une députation de l’Assemblée et ces Parisiennes.

Et l’une des femmes – elle a dix-sept ans – qui doit parler au souverain s’évanouit. Le roi lui donne à boire. Il est bienveillant. Les femmes ressortent conquises.

On leur crie : « Coquines, elles sont vendues à la Cour, elles ont reçu vingt-cinq louis, à la lanterne. »

Les gardes du corps les arrachent à la furie de leurs compagnes. Elles retrouvent le roi qui leur promet par écrit de faire venir des blés de Senlis et de Noyon, puis elles repartent avec Maillard dans les voitures que le roi leur a fait donner. Mais ce n’est qu’une poignée : les autres continuent d’assiéger le château, l’assemblée ne se calmant que peu à peu, quand arrivent les gardes nationaux, les volontaires et La Fayette. Le général se présente au roi. Les courtisans l’insultent, le traitent de

Cromwell, mais La Fayette assure le roi de sa fidélité, lui garantit la protection des gardes nationaux.

Il faut, dit-il, et le président de l’Assemblée, Mounier, insiste aussi, sanctionner les décrets pour calmer ce peuple de Paris. Et le roi, larmes aux yeux, écrit : « J’accepte purement et simplement les articles de la Constitution et la Déclaration des droits. »

Dehors, les femmes crient, l’une dit qu’elle veut les cuisses de Marie-Antoinette et l’autre ses tripes.

On danse, on chante : « Nous avons forcé le bougre à sanctionner. »

Elles réclament du pain. On leur en apporte avec du vin. Puis la fatigue, l’ivresse, la première victoire obtenue, l’arrivée des gardes nationaux, semblent apporter le calme.

Autour du roi, on a connu des instants de panique, discuté de projets de fuite. Mais Louis a refusé, murmurant qu’il ne pouvait pas être un « roi fugitif ». Et il a répété, comme écrasé par son destin, en secouant la te : « Un roi fugitif, un roi fugitif. »

Il ne le peut pas. Il ne le veut pas.

Il est épuisé. Le silence s’est établi autour du château, Louis dit qu’on peut aller se reposer. Et il se couche.

Et, dans Versailles, La Fayette rassuré en fait de même.

Mais à six heures du matin, les tambours du peuple réveillent les femmes. Elles se rassemblent sur la place, face au château, avec des hommes armés. Puis la foule se divise en colonnes, insulte les gardes du corps. Les grilles sont fermées, et tout à coup, l’une de ces colonnes trouve les grilles de la chapelle ouvertes, non gardées.

Elle s’y engouffre.

Elle court dans les escaliers, brise les portes, tue les gardes du corps, s’enfonce dans les corridors, saccage, cherche et trouve les appartements de la reine.

« Nous voulons couper sa tête, arracher son cœur, fricasser ses foies, et cela ne finira pas là. »

« Sauvez la reine », crie un garde du corps, abattu à coups de crosse, laissé pour mort.