La reine, réveillée, fuit affolée avec ses enfants.
Le roi la cherche, la trouve enfin.
Ils s’enlacent. Ils entendent les hurlements, ces aboiements comme lorsque les chiens traquent le gibier blessé. Ils sont des proies, pour la première fois de leur vie.
« Mes amis, mes chers amis, sauvez-moi », répète la reine.
Les gardes du corps se battent, sont désarmés. On lève la hache sur eux, mais des grenadiers des gardes françaises les arrachent aux femmes, aux hommes sauvages.
Le bruit se répand : « Le duc d’Orléans, en frac gris, chapeau rond, une badine à la main, se promenait d’un air gai au milieu des groupes qui couvrent la place d’Armes et la cour du château. »
Qui l’a vu ? On entend des cris : « Notre père est avec nous, Vive le duc d’Orléans ! »
Deux gardes du corps sont jetés à terre. On tranche leurs têtes, on trempe ses mains dans le sang des victimes, puis on plante les têtes au bout des piques.
On a réveillé La Fayette, il accourt. On entend la foule qui crie « À Paris, à Paris ».
Il faut céder au peuple, dit-il, accepter de se rendre à Paris, d’y demeurer.
Les gardes nationaux fraternisent avec les gardes du roi, les protègent.
Le roi apparaît au balcon, puis la reine avec ses enfants, et la foule crie : « Pas d’enfant. »
Un homme met la reine en joue mais ne tire pas. Des insultes fusent. Elle rentre, reparaît avec La Fayette. La foule s’apaise.
Le roi promet : « Mes amis, j’irai à Paris avec ma femme et mes enfants. »
On crie : « Vive le roi ! », « Vive le général ! » et même « Vive la reine ! ».
Les députés décident que l’Assemblée suivra le roi à Paris.
À une heure, ce mardi 6 octobre 1789, le cortège de plus de trente mille hommes et femmes s’ébranle vers Paris.
Les gardes nationaux, chacun portant un pain au ut de sa baïonnette, ouvrent la marche, devant des chariots de blé et de farine entourés de femmes et de forts des halles.
On porte des piques, des branches de peuplier. Puis viennent des femmes à califourchon sur les chevaux des gardes nationaux, et les gardes du corps désarmés encadrés de gardes nationaux, et enfin, le régiment de Flandre, les Suisses.
Puis le roi, la reine, le dauphin, leur fille, Madame Royale, la sœur cadette de Louis XVI, Madame Élisabeth, et la gouvernante, Madame de Tourzel.
Et cent députés de l’Assemblée, et la foule et la garde nationale.
Il pleut et on patauge dans la boue qui gicle.
On chante : « Nous ramenons le boulanger, la boulangère, et le petit mitron. »
Des femmes s’approchent du carrosse royal, veulent voir « la sacrée boutique » et surtout « la sacrée coquine », cette reine qui est « la cause de tous les maux que nous souffrons », et qu’il « aurait fallu écarteler », et dont on avait promis « qu’elle serait égorgée et qu’on ferait des cocardes avec ses boyaux ».
Mais, puisqu’elle sera à Paris, on l’empêchera de nuire. Et qu’elle regarde ces têtes coupées, celles de deux gardes du corps, brandies au bout des piques, comme un emblème.
On les incline. On rit.
On s’est arrêté chez un perruquier de Sèvres pour les faire poudrer et friser.
La famille royale s’installe aux Tuileries. L’Assemblée siégera dans le bâtiment du Manège, tout proche de là.
Le 10 octobre, elle décrétera que Louis XVI ne s’appellera plus « roi de France et de Navarre », mais « par la grâce de Dieu et la loi constitutionnelle de l’État, roi des Français ».
Et un député du tiers état de Paris, le docteur Guillotin, propose un nouveau mode d’exécution de la peine capitale, une machine efficace, qui tranchera le cou des condamnés, selon le principe d’égalité.
Louis subit avec le double sentiment de ne pouvoir arrêter la marche inexorable vers l’abîme, et la certitude qu’il ne faillira pas à ses principes sacrés.
C’est sa fatalité, de paraître se soumettre, d’y être contraint et d’être au fond de soi indestructible. Et d’ignorer la peur même quand il cède à l’angoisse. Il observe les événements comme s’il n’en était que le jouet et non l’acteur.
Il apprend que plus de cent députés donnent leur démission.
Il lit sous la plume de Mallet du Pan que « c’est le fer à la main que l’opinion dicte aujourd’hui ses arrêts. Crois ou meurs, voilà l’anathème que prononcent les esprits ardents et ils le prononcent au nom de la liberté. La modération est devenue crime ».
Il reçoit le comte de La Marck, qui propose au nom de Mirabeau un projet de fuite à Rouen, car « Paris sera bientôt un hôpital certainement et peut-être un théâtre d’horreurs ».
Mirabeau veut persuader « le roi et la reine que la France et eux sont perdus si la famille royale ne sort pas de Paris ».
« Je m’occupe d’un plan pour les en faire sortir », ajoute Mirabeau.
Mais Louis ne veut pas être « un roi fugitif ».
Il partage le sentiment du député Malouet : « La révolution depuis le 5 octobre fait horreur à tous les gens sensés de tous les partis, mais elle est consommée, irrésistible. »
Alors, comment s’y opposer ?
Louis sait que certains l’accusent de ne pas se battre. Il accepte qu’on porte sur lui ce jugement sévère.
Il connaît celui de Mirabeau qui le décrit « indécis et faible, au-delà de tout ce qu’on peut dire, son caractère ressemble à ces boules d’ivoire huilées qu’on s’efforcerait vainement de retenir ensemble ».
Ceux-là, qui le jugent, ignorent ce qu’il ressent.
L’horreur, quand il a appris que les émeutiers qui ont pénétré dans la chambre de la reine se sont acharnés sur son lit, « déchirant les draps à coups d’épée » et, ajoute un témoin, « quelques-uns pissèrent dedans, d’autres firent pis encore ».
Ce déferlement de haine accable Louis, mais ceux qui le jugent ne se fient qu’aux apparences. Ils ignorent qu’il n’est pas homme à plier.
Le 12 octobre, il confie à l’abbé de Fontbrune une lettre pour le roi d’Espagne.
Il a écrit :
« Je me dois à moi-même, je dois à mes enfants, je dois à ma famille et à toute ma maison de ne pouvoir laisser avilir entre mes mains la dignité royale qu’une longue suite de siècles a confirmée dans ma dynastie…
« J’ai choisi Votre Majesté, comme chef de la seconde branche pour déposer en vos mains la protestation solennelle que j’élève contre tous les actes contraires à l’autorité royale, qui m’ont été arrachés par la force depuis le 15 juillet de cette année, et, en même temps, pour accomplir les promesses que j’ai faites par mes déclarations du 23 juin précédent. »
Dieu et les hommes, quoi qu’il advienne, entendront un jour sa protestation, son refus.
QUATRIÈME PARTIE
Octobre 1789-30 septembre 1791
« Bougre de Capet ! »
« Sire, ne vous flattez pas de donner le change aux patriotes clairvoyants. Vous ne pouvez être à leurs yeux que ce que sont les despotes. La sottise des rois est de se croire des êtres d’une nature supérieure à celle des autres hommes, ils ont même la folie de prétendre que le ciel les a faits pour commander… »
Jean-Paul Marat
L’Ami du peuple, décembre 1790
20
Louis, en ces dernières semaines du mois d’octobre 1789, parcourt le palais des Tuileries où il doit vivre désormais. Il sort, fait quelques pas sur les terrasses qui surplombent les jardins.
Marie-Antoinette et le dauphin s’y trouvent déjà. Les femmes, des gardes nationaux, des artisans, tout peuple avide et curieux, les ont réclamés. Il s’exclame et gronde, injurie, puis les femmes demandent à la reine qu’elle leur donne les rubans et les fleurs de son chapeau. La reine s’exécute.