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Le royaume est ainsi bouleversé de fond en comble en quelques mois.

Les parlements, les provinces disparaissent. On crée les départements, administrés par un Conseil général élu, et de même, chaque ville, bourg, paroisse, soit quarante mille communautés d’habitants, aura une municipalité.

Louis a l’impression que le sol de son royaume se dérobe sous ses pas.

Une nation surgit, différente, violente, rétive, enthousiaste aussi, faite d’assemblées multiples qui débattent, discutent, contestent, s’attroupent, et la loi martiale n’y fait rien.

Il observe, écoute. Il s’enferme en lui-même devant ces bouleversements, désorienté, comme si tout le paysage en place depuis des siècles bougeait.

Il préfère se taire, muet face à ceux qui l’interrogent, espérant des réponses qu’il ne sait pas, ne veut pas, ne peut pas donner.

« Quand on parle d’affaires à cet être inerte, dit l’un de ses ministres, il semble qu’on lui parle de choses relatives à l’empereur de Chine. »

Et ce qui arrive en effet, lui paraît étrange, incompréhensible et – de là naît l’angoisse – inéluctable.

Qui sont, que pensent ces députés qui se réunissent rue Saint-Honoré, non loin des Tuileries, dans l’ancien couvent des Jacobins ? Ils se regroupent sous le nom de Société des Amis de la Constitution, qu’on appelle bientôt club des Jacobins, qui a de nombreuses filiales en province et où l’on rencontre aussi bien Sieyès que Mirabeau, La Fayette, Barnave que Robespierre, et c’est ce dernier qui, le 31 mars 1791, en sera élu président.

Mais il existe aussi dans le quartier des Écoles, place du Théâtre-Français, autour de l’avocat Danton, le club des Cordeliers.

Louis a le sentiment que dans cette « machinerie » nouvelle, ni lui ni ses partisans ne peuvent trouver leur place.

On lui rapporte que dans l’Assemblée, les monarchistes « n’écoutent pas, rient, parlent haut », interviennent peu souvent, et maladroitement, s’inquiètent des menaces que depuis les tribunes on leur lance.

« Nous vous recommanderons dans vos départements », leur crie-t-on. Et en effet l’on s’attaque à leurs châteaux et leurs propriétés.

L’Américain Morris écrit de ces « aristocrates » : « Ils sortent de la salle, lorsque le président pose la question, et invitent les députés de leur parti à les suivre, ou leur crient de ne point délibérer, par cet abandon, les clubistes devenus la majorité décrètent tout ce qu’ils veulent. »

« Impossible, confie Mounier, qui a été élu président de l’Assemblée, avant de se retirer en Dauphiné puis d’émigrer, que ces députés de la noblesse et du clergé retardassent l’heure de leur repas. »

Ils quittent l’Assemblée vers cinq heures, et les députés « patriotes » font passer aux « chandelles » les motions qu’ils désirent, assurés d’avoir la majorité.

Louis ne sait ainsi comment agir. Tout change si vite. Il ne se confie pas. Il ne donne pas sa confiance, sinon à la reine, dont il mesure l’amour qu’elle porte à ses deux enfants, l’attachement qu’elle lui manifeste, la résolution qu’elle montre.

« Quand elle lui parle, raconte le général Besenval, dans les yeux et le maintien du roi il se manifeste une action, un empressement que rarement la maîtresse la plus chérie fait naître. »

À qui d’autre pourrait-il se fier ?

Son frère, le comte d’Artois, a émigré à Turin, et rassemble autour de lui les nobles qui veulent détruire ce nouveau régime, et rétablir la monarchie dans tous ses droits sacrés.

Son cousin le duc d’Orléans a lui aussi émigré, mais à Londres, et il mène sa politique, continue d’entretenir des liens avec La Fayette. Quant au comte de Provence, Louis sait que ce frère est dévoré d’ambition.

Le comte de Provence complote, finance l’un de ses proches, le marquis de Favras, qui a recruté des gardes nationaux « soldés », en les payant, pour qu’ils assassinent La Fayette, Bailly et Necker, la nuit de Noël 1789.

Favras est démasqué, arrêté, mais le comte de Provence réussit, en se présentant à l’Hôtel de Ville, à détourner les soupçons.

Mirabeau l’a conseillé, mais est aussi déçu. Le comte est d’une prudence lâche, égoïste, soucieux non de la monarchie et du royaume, mais de son destin personnel.

« La reine le cajole et le déjoue, confie Mirabeau. Elle le traite comme un petit poulet qu’on aime bien à caresser à travers les barreaux d’une mue, mais qu’on se garde d’en laisser sortir et lui se laisse traiter ainsi. »

Le comte abandonne le marquis de Favras qui, condamné à mort, ne livrera aucun secret.

On conduira Favras à Notre-Dame pour faire amende honorable. Il sera accueilli place de Grève par des insultes et des cris. Et lorsqu’on lui passe la corde au cou, la foule hurle : « Saute, marquis ! »

L’arrestation puis l’exécution de Favras, pour crime de « lèse-nation », justifient les inquiétudes et les soupçons.

Les journaux monarchistes, L’Ami du roi, Les Actes des apôtres, le talent de l’un de leurs journalistes, Rivarol, la violence de leurs propos exaspèrent les « patriotes ».

« Les aristocrates ne paraissent point battus, comme après le 14 juillet, on croit qu’il se trame encore quelque infamie », note Madame Roland, épouse patriote d’un inspecteur général du commerce et des manufactures, qui tient salon patriotique.

On a arrêté un fermier général, Augeard, proche de la reine, accusé d’avoir préparé la fuite du roi, à Metz. On s’est scandalisé de son acquittement comme de celui du général Besenval.

Dans les provinces on signale des attroupements d’« aristocrates », les protestations des membres des parlements, du haut clergé.

« La guerre civile est dans les cerveaux. Dieu veuille qu’elle n’aille pas plus loin », écrit le libraire Ruault.

Et la misère et la peur de la disette accablent toujours le « bas peuple », ces citoyens passifs qui dans les villes forment souvent soixante pour cent de la population masculine, et qui sont exclus de la vie de la cité, et ont le sentiment de n’être que des « machines de travail », ainsi que les qualifie Sieyès.

Il y a ces heurts, dans l’armée et la marine, entre les officiers « aristocrates » et les soldats de plus en plus rétifs.

À Toulon, l’amiral d’Albert de Rioms ordonne le châtiment des marins qui portent la cocarde tricolore, et les menace de faire tirer la troupe contre eux. C’est l’émeute, et l’amiral sera emprisonné.

Robespierre condamne cet amiral qui a voulu « armer les soldats contre les défenseurs de la patrie ».

Et le Conseil général de Toulon le félicite : « Continuez bon citoyen à éclairer la nation sur ses véritables droits. Bravez l’opinion de ces hommes vils et ignorants… »

Ainsi, en cette fin d’année 1789, des affrontements ont lieu chaque jour.

Le 5 décembre, les bois de Vincennes et de Boulogne sont dévastés et pillés par des paysans des villages proches de Paris qui manquent de bois.

La répression est sévère.

Mais certains crient à l’injustice, dénoncent l’inégalité des conditions, et Marat attise le feu, menace :

« Si les peuples ont brisé le joug de la noblesse, ils briseront de même celui de l’opulence. Le grand point est de les éclairer, de leur faire sentir leurs droits, de les en pénétrer et la révolution s’opérera infailliblement sans qu’aucune puissance humaine puisse s’y opposer. »

Ces propos inquiètent les patriotes, respectueux du droit de propriété, qui composent la majorité qui a séparé les citoyens actifs des citoyens passifs.

Ils sont partisans de l’égalité des droits, non des fortunes. Mais ils restent des patriotes, préoccupés des « complots aristocratiques ».