Il accepte la proposition de Necker, de se rendre à l’Assemblée, d’y prononcer un discours que son ministre lui prépare.
Les députés s’empressent autour de lui, le 4 février 1790.
« Je défendrai, je maintiendrai la liberté constitutionnelle dont le vœu général d’accord avec le mien a consacré les principes », dit-il.
On doit en finir avec les violences.
« Éclairer sur ses véritables intérêts le peuple qu’on égare, ce bon peuple qui m’est si cher et dont on m’assure que je suis aimé quand on vient me consoler de mes peines. »
On l’acclame. Il poursuit.
« Ne professons tous à compter de ce jour, je vous en donne l’exemple, qu’une seule opinion, qu’un seul intérêt, qu’une seule volonté, l’attachement à la Constitution et le désir ardent de la paix, du bonheur et de la prospérité de la nation. »
Les députés prêtent serment à la loi, à la nation, au roi. Ils scandent « Vive le roi ! », le raccompagnent au palais, où Marie-Antoinette leur présente le dauphin.
Seuls, les aristocrates sont stupéfaits et hostiles.
Le roi, pensent-ils, a brisé son sceptre, en acceptant cette Constitution.
Mais Louis a le sentiment d’avoir réussi à convaincre.
« Vive Dieu, mon cher ami, écrit le libraire Ruault à son frère, et Vive le bon roi Louis XVI, qui vient de se placer hier au rang des princes justes. Sa visite à l’Assemblée nationale étouffe ou doit étouffer tous les germes de la division, des opinions et des intérêts. Il s’est mis volontairement à la tête de la Constitution. Taisez-vous maintenant petits et grands aristocrates, brûlez vos brochures et vos plans de contre-révolution. Revenez, fugitifs, vous serez en sûreté par toute la France. Nous compterons trois bons rois dans notre histoire, Louis XII, Henri IV et Louis XVI. Il faudra célébrer chaque année cette rare épiphanie, pour moi je ne révère plus que celle-là. »
Peut-être le regard du peuple a-t-il changé. Louis veut le croire.
Il se montre chaleureux avec les gardes nationaux, qui assurent « trente heures de service au château des Tuileries ».
L’un d’eux écrit : « J’y ai vu Marie-Antoinette de très près. J’ai assisté même à son dîner. Elle se porte bien et j’ai été émerveillé de sa bonne contenance. Le roi se promène à grands pas dans le jardin ; il fatigue aisément les plus lestes et les fait suer de tout leur corps, car il fait très chaud. Le petit dauphin est beau comme un ange ; il a une figure très gracieuse, franche et ouverte ; il saute et gambade le long des terrasses et joue avec tous les enfants qu’il rencontre. »
Mais l’illusion qu’entre la famille royale et le peuple, de nouveaux liens apaisés se sont tissés dure peu. Et Louis comme la reine n’en sont pas dupes.
Pourtant il faut donner le change, quitte à troubler les monarchistes fidèles. Il faut apparaître comme « le roi de la Révolution », apporter sa sanction à la Constitution, à la Constitution civile du clergé.
Mais écrire au nouvel empereur d’Autriche – Léopold II (un frère de Marie-Antoinette qui a succédé à Joseph II, autre frère de la reine) – pour lui demander d’envisager une intervention armée en France. Précaution nécessaire, puisque le pouvoir sacré du roi n’est pas rétabli, que les « enragés du Palais-Royal » continuent d’attaquer la famille royale, et d’abord la reine.
On la soupçonne de préparer avec les « noirs » et les aristocrates émigrés, et le comte Fersen, que les gardes françaises ont aperçu entrant au château de Saint-Cloud et en sortant au milieu de la nuit, l’« enlèvement » du roi.
Car on n’ose pas, pour l’instant, accuser le roi. Seul Marat s’y risque, mais le soupçon affleure partout.
Alors Louis joue toutes les cartes. Y compris celle que représente Mirabeau.
Le député est reçu par la reine, lui parle avec ferveur, est séduit par elle.
« Le roi n’a qu’un homme, dira-t-il, c’est sa femme. »
Mirabeau affirme qu’il est capable de sauver la monarchie.
Il n’est plus temps de le rejeter.
Il faut au contraire se l’attacher. Mirabeau est un noble aux abois, avec les créanciers aux trousses. Louis décide de lui verser une pension mensuelle, de quoi permettre à Mirabeau de quitter sa chambre d’hôtel misérable et d’emménager Chaussée d’Antin, dans un grand appartement.
Mais il faut garder le secret, rassurer, consentir, accepter que la noblesse héréditaire, les ordres de chevalerie, les armoiries, les livrées, soient supprimés par l’Assemblée.
Et feindre l’indifférence quand le Comité des pensions de l’Assemblée publie un cahier de trente-neuf pages, vite appelé Livre rouge, qui contient la liste des pensions, des dépenses extraordinaires versées entre 1774 et le 16 août 1789 !
Deux mille exemplaires sont vendus en une seule journée dans les jardins des Tuileries, et c’est un déluge de commentaires, une éruption d’indignations, devant les vingt-huit millions de livres touchés par les frères du roi, les sommes versées aux Polignac, à tous les proches courtisans, pour un total de deux cent vingt-huit millions !
Louis craint que son regain de popularité, gagné au cours des premiers mois de 1790, ne soit perdu.
Necker, porté aux nues par le peuple, est désormais rejeté car il était hostile à la publication du Livre rouge, et on l’accuse de n’être qu’un complice des « aristocrates », un valet de la reine… Les journaux patriotes demandent la diffusion du livre dans toute la France.
« Voilà le catéchisme des amis de la Révolution », commentent-ils.
Il faut tenter de faire oublier ce Livre rouge, toucher le peuple, participer avec la reine et le dauphin à cette fête grandiose que l’Assemblée, La Fayette, Bailly organisent au Champ-de-Mars le 14 juillet 1790, jour anniversaire de la prise de la Bastille.
Ce fut une journée sombre pour la monarchie. Il faut la transmuter en journée de gloire pour le roi.
Louis sait que depuis des mois, dans toutes les provinces, on se rassemble en « fédérations ». On y crie, comme en Bretagne : « Vivre libre ou mourir. »
Et l’idée est née, de faire une fête de la Fédération, à Paris, rassemblant des délégués de tous les départements, des gardes nationaux représentant leurs régiments.
C’est l’enthousiasme.
On construit un arc de triomphe.
Des femmes, des hommes, de toutes conditions travaillent à aplanir le Champ-de-Mars, à dresser des gradins en terre, à préparer le rassemblement d’au moins 300 000 personnes.
La foule chante en travaillant avec ferveur.
Elle entonne :
Les aristocrates à la lanterne
Les aristocrates on les pendra.
mais aussi un Ça ira allègre :
Celui qui s’élève on l’abaissera
Et qui s’abaisse on l’élèvera
Ah ! ça ira ! ça ira ! ça ira !
Temps sombre le 14 juillet. Il pleut souvent par fortes averses et le cortège, parti à sept heures du matin de la Bastille, arrive à trois heures au Champ-de-Mars. Un pont de bateaux a été installé pour lui permettre de traverser la Seine.
Sur une plate-forme de six mètres de haut se trouve l’autel de la Patrie, entouré de deux cents prêtres portant des rubans tricolores. Le roi, la reine et la Cour pénètrent par l’École militaire dans une galerie couverte ornée de draperies bleu et or.
L’évêque d’Autun, Talleyrand-Périgord, entouré de quatre cents enfante de chœur en blanc, célèbre la messe.
La Fayette prête serment de rester fidèle à la nation, à la loi, au roi.
Les canons tonnent, les tambours roulent. « Vive La Fayette ! »