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Le roi s’avance mais ne va pas jusqu’à l’autel. Il dit :

« Moi, Roi de France, je jure à la nation d’employer tout le pouvoir qui m’est délégué par la loi constitutionnelle de l’État, à maintenir la Constitution et à faire exécuter ses lois. »

On l’acclame. La reine soulève son fils, le montre au peuple.

Et celui-ci crie : « Vive la reine ! », « Vive le dauphin ! ».

22

Louis, au château de Saint-Cloud, où la famille royale est rentrée au soir de ce 14 juillet 1790, s’interroge.

Que valent ces acclamations du peuple qui ont accompagné le carrosse du roi, tout au long de la traversée de Paris, alors que sous les averses, la foule continuait de festoyer ?

Louis est perplexe, exténué, comme si ce serment qu’il a prêté, et auquel le peuple a répondu en lui jurant fidélité, avait été une épreuve aux limites de ses forces. Et de même, Marie-Antoinette a paru épuisée, ne recommençant à parler et à sourire au dauphin que lorsque le carrosse est arrivé dans la cour du château.

Ici, à Saint-Cloud, on échappe à la foule, à la surveillance qu’elle exerce aux Tuileries, aux questions, aux injures et aux assauts qu’elle peut lancer.

Mais c’est le même peuple qui a crié : « Vive le roi ! », « Vive la reine ! », « Vive le dauphin ! ».

Comment se fier à lui, comment l’apaiser ? Est-ce possible ?

Ou bien faut-il fuir ?

Les questions lancinantes reviennent.

Fersen continue de les poser.

Il a assisté à la fête de la Fédération.

« Il n’y a eu que de l’ivresse et du bruit, dit-il, orgies et bacchanales, la cérémonie a été ridicule, indécente, et par conséquent pas imposante. »

Louis ne répond pas. Il songe que demain dès l’aube il chassera, et il espère qu’il débusquera du gros gibier, qu’il rentrera épuisé après plusieurs heures de course, ayant oublié ces questions dont on le harcèle.

Et dans les jours qui suivent, il chasse furieusement, mais à peine descend-il de cheval que son frère le comte de Provence, la reine, ou tel de ses ministres, Saint-Priest ou la Tour du Pin, l’interpellent, évoquant ces articles de Marat, lui tendent ce journal, L’Ami du peuple, dont l’audience, dit-on, s’accroît.

Chaque phrase de Marat est comme un coup de hache.

Il critique la fête de la Fédération, ce piège, cette illusion qu’on a offerte au peuple.

« Vous avoir fait jurer fidélité au roi, dit-il, c’est vous avoir rendu sacrés les ennemis qui ne cessent de conspirer sous son nom contre votre liberté, votre repos, votre bonheur. »

Louis a l’impression que Marat trempe sa plume dans le sang.

Il brandit chaque article comme une tête au bout d’une pique.

« La fuite de la famille royale est concertée de nouveau, écrit-il… Cessez de perdre votre temps à imaginer les moyens de défense. Il ne vous en reste qu’un seul : une insurrection générale et des exécutions populaires.

Commencez donc par vous assurer du roi, du dauphin et de la famille royale : mettez-les sous forte garde et que leurs têtes vous répondent de tous les événements… Passez au fil de l’épée tout l’état-major parisien de la garde nationale, tous les “noirs” et les ministériels de l’Assemblée nationale. Je vous le répète, il ne vous reste que ce moyen de sauver la patrie. Il y a six mois que cinq ou six cents têtes eussent suffi pour vous retirer de l’abîme… Aujourd’hui peut-être faudra-t-il en abattre cinq à six mille, mais fallût-il en abattre vingt mille il n’y a pas à balancer un instant… »

Et quelques semaines plus tard, dans un nouvel article il se reprend :

« Il y a dix mois que cinq cents têtes abattues auraient assuré votre bonheur, dit-il ; pour vous empêcher de périr vous serez peut-être forcés d’en abattre cent mille après avoir vu massacrer vos frères, vos femmes et enfants… »

Louis se tasse. Il laisse tomber sa tête sur sa poitrine. Comment ne pas fuir un pays où de tels articles peuvent être publiés impunément ?

Et toutes les tentatives faites par Bailly, pour saisir les presses de L’Ami du peuple ou poursuivre Marat, ont échoué. Le peuple le défend.

Des députés, tel ce Maximilien Robespierre, le soutiennent et partagent ses vues.

Certes, des journalistes lui répondent, le dénoncent :

Marat, dites-vous, l’assassin,

Veille au salut de la patrie.

Le Monstre ! Il veille dans son sein

Comme un tigre affamé dans une bergerie.

Mais les membres du club des Cordeliers, que préside Danton, de nombreux Jacobins, le lisent, le suivent. Et on fait de ses articles des lectures publiques dans les jardins du Palais-Royal ou dans le faubourg Saint-Antoine.

« Les pages de sang qui chaque jour circulent dans le peuple, sous le nom du Sieur Marat, en indignant les gens éclairés, portant la terreur dans l’âme des citoyens pacifiques, alimentent sans cesse le délire forcené de la multitude, écrit un bourgeois parisien. Les faubourgs surtout sont le plus violemment saisis de cet esprit de vertige que le prétendu Ami du peuple a soufflé parmi des hommes simples et crédules. »

Louis se souvient du visage de ces hommes et femmes du peuple qui, le 6 octobre 1789, ont fait irruption à Versailles dans la chambre de la reine.

Au Châtelet, un procès leur a été intenté. Mais comment osera-t-on les condamner ? De même la loi martiale a été votée, mais dans les villes où des émeutes se produisent aucune municipalité n’ose la décréter.

À Paris, la foule a envahi et saccagé la maison du duc de Castries, dont le fils a blessé en duel régulier Charles Lameth, député et Jacobin.

« Tout a été cassé et brisé, constate un témoin. Ce Monsieur de Castries en sera pour ses meubles et pour ses glaces : quel procès peut-on faire à la multitude ?

« La même foule s’est portée chez Monsieur de Montmorency pour le forcer à ôter ses armoiries de dessus sa porte et à combler le fossé qui empiétait sur le boulevard et rétrécissait le chemin du peuple ou des piétons. Ce peuple vainqueur fait impitoyablement la guerre. »

La guerre.

Ce mot, Louis ne voudrait pas le lire, l’entendre. Mais il le rencontre à chaque instant.

Son frère le comte d’Artois a quitté Turin pour s’installer à Coblence. Il rassemble les émigrés dans l’espoir de constituer une armée.

En Ardèche vingt mille hommes armés se sont rassemblés au camp de Jalès, décidés à combattre pour le roi et les principes sacrés de la monarchie, à abolir la Constitution.

À Lyon, les royalistes s’organisent et les envoyés du comte d’Artois envisagent de soulever toute la région, de la Bourgogne à la Provence.

Et Fersen comme Marie-Antoinette pensent qu’il faut demander l’aide de l’empereur Léopold II, frère de la reine, qui vient d’écraser à Bruxelles, et à Liège, les patriotes qui avaient fondé les États belgiques unis.

L’Europe des rois fait « cause commune », s’inquiète de la « contagion » révolutionnaire.

À Londres, un parlementaire favorable pourtant à la révolution américaine, Edmund Burke, publie des Réflexions sur la révolution de France, traduites en français en novembre 1790, et qui sont un réquisitoire contre ce qui s’est accompli depuis 1789.

Pour la première fois, la voix d’un « contre-révolutionnaire » se fait entendre avec force, influence l’opinion, et d’abord celle des souverains et des aristocrates européens.

Aideront-ils par une intervention armée la cour de France à retrouver son pouvoir ?

Louis a lu la lettre que Marie-Antoinette adresse au nouveau gouverneur autrichien à Bruxelles, Mercy-Argenteau, qui fut longtemps son conseiller à Versailles :