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« Nous ne demandons à aucune puissance, écrit la reine (à moins d’un événement pressant) de faire entrer leurs troupes dans ce pays-ci. Nous désirons seulement qu’au moment où nous serions dans le cas de les réclamer, nous pourrions être assurés que les puissances voudront bien avoir des troupes sur leurs frontières bordant la France en assez grand nombre pour servir de soutien et de ralliement aux gens bien intentionnés qui voudraient nous rejoindre… »

La guerre.

C’est un mot que Louis retrouve aussi dans les propos de Mirabeau que le comte de La Marck rapporte.

Le comte, député de la noblesse, voit dans la guerre civile le seul moyen de rétablir l’autorité du roi et d’éviter que « la foule ne devienne l’instrument aveugle des factieux ».

Et comme La Marck lui rappelait que le roi ne dispose pas d’argent pour attirer des partisans, Mirabeau a répondu :

« La guerre civile se fait toujours sans argent et d’ailleurs dans les circonstances présentes, elle ne serait pas de longue durée. Tous les Français veulent des places et de l’argent ; on leur ferait des promesses et vous verriez bientôt le parti du roi prédominant partout. »

Louis se lève, marche lourdement.

Même lors des chevauchées matinales, et même quand il traque un cerf, il reste préoccupé.

Il se persuade chaque jour davantage que loin de s’apaiser, la révolution s’approfondit, que les jours les plus sombres sont à venir.

Et que la haine se répand partout, comme une peste sociale qui n’épargne personne. Les royalistes haïssent les Jacobins.

« Le Jacobin participe de la nature du tigre et de l’ours blanc, écrit le journaliste Suleau. Il a l’air taciturne, l’encolure hideuse, le poil ras ; féroce et carnassier, il égorge pour le plaisir d’égorger, aime passionnément la chair humaine et vit dans un état de guerre perpétuelle avec tout ce qui n’est pas de son espèce à l’exception des démocrates… »

Suleau cite les noms de Robespierre, Danton, Brissot, Marat, Laclos.

Camille Desmoulins et Fabre d’Églantine seraient moins « carnassiers », plus démocrates…

Quant aux « patriotes » après avoir fait voter les décrets sur la Constitution civile du clergé, exigé le serment des prêtres, la fermeture des couvents, ils ridiculisent et pourchassent les « calotins ».

Les dames de la Halle fouettent les religieuses qui s’obstinent à rester fidèles à leurs vœux.

On les voit, dénudées, représentées sur une gravure portant pour légende : « D’après un relevé exact il s’est trouvé 621 fesses de fouettées, total 310 culs et demi attendu que la trésorière des Miramines n’avait qu’une seule fesse… »

Et les révolutionnaires suspendent des verges à la porte d’une église située sur les quais, entre la rue du Bac et la rue des Saints-Pères, où des « prêtres réfractaires » refusant le serment ont obtenu l’autorisation de célébrer la messe : « Avis aux dévotes aristocrates, médecine purgative distribuée gratis le dimanche 17 avril », préviennent-ils. Et la police ne peut les empêcher de fouetter quelques femmes.

Au Palais-Royal, on brûle l’effigie du pape Pie VI qui a condamné la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et, surtout, la Constitution civile du clergé.

Nombre de prêtres qui avaient prêté serment – les prêtres jureurs – se rétractent, deviennent eux aussi réfractaires. Et la « guerre » entre les deux Églises, la haine entre les croyants qui suivent l’une ou l’autre, devient un des ressorts majeurs des affrontements entre citoyens. Louis le pressent d’abord puis le constate.

Et il est déchiré, comme fidèle catholique, d’avoir accepté de sanctionner les décrets sur le serment des prêtres.

« J’aimerais mieux être roi de Metz que de demeurer roi de France dans une position pareille, dit-il, mais cela finira bientôt. »

Car il semble à Louis que ni lui ni le royaume ne pourront supporter longtemps ce désordre, ces violences, cette remise en question de tout ce qui a été bâti au cours des siècles, et même de l’Église de Dieu.

Et ce n’est plus seulement les privilèges que l’on conteste, mais les propriétés.

« Je n’aime pas les rois mais j’aime encore moins les riches », écrit un certain Sylvain Maréchal, auteur d’un livre intitulé L’Homme sans Dieu.

« Vous décrétez l’abolition de la noblesse, continue-t-il, mais vous conservez l’état respectif des pauvres et des riches, des maîtres et des valets ; vous défendez aux premiers les armoiries, vous déchargez les seconds de leurs livrées mais ces distinctions ne sont que des simulacres, vous ne touchez point aux réalités… »

C’est aussi ce que disent Marat et Robespierre.

Et celui-ci est de plus en plus écouté au club des Jacobins.

Un jeune homme de vingt-cinq ans, Saint-Just, lui écrit de Picardie :

« Vous qui soutenez la patrie chancelante contre le torrent du despotisme et de l’intrigue, vous que je ne connais que, comme Dieu, par des merveilles… Vous êtes un grand homme. Vous n’êtes point seulement le député d’une province, vous êtes celui de l’Humanité et de la République. »

Louis est atteint au plus profond de ses convictions par ce qu’il est contraint d’accepter.

Il s’interroge encore. Sur quelles forces peut-il compter ?

On intrigue autour de lui, il le sait.

Le duc Philippe d’Orléans, un temps exilé à Londres, vient de rentrer à Paris, dans quel but, sinon de se présenter comme un successeur possible des Bourbons ?

Les frères de Louis, les comtes d’Artois et de Provence, ont chacun leurs visées.

La Fayette, malgré ses déclarations, ne peut être un allié sûr.

L’armée est déchirée par la rébellion des soldats contre leurs officiers aristocrates.

La garde nationale est « patriote », et hésite à rétablir l’ordre parce qu’elle est ouverte aux idées des émeutiers.

À Nancy, même les mercenaires suisses, du régiment de Châteauvieux, se sont dressés contre leurs chefs.

Et c’est le marquis de Bouillé – un cousin de La Fayette – qui est venu depuis Metz, à la fin août 1790, rétablir l’ordre. La reconquête de Nancy contre les Suisses, soutenus par les gardes nationaux et les Jacobins, a fait près de quatre cents morts.

Bouillé a châtié durement : quarante et un condamnés aux galères, trente-trois exécutions capitales, pendus ou roués.

L’Assemblée d’abord le félicite. La Fayette fait voter un décret contre toute insubordination des soldats, et interdit les clubs dans les régiments. Mais sous la pression des « enragés du Palais-Royal », des journaux, du peuple des tribunes de l’Assemblée, ces mesures sont annulées ou jamais appliquées.

Faudrait-il quitter le royaume ? Et le reconquérir ?

Louis ne peut même plus se tourner vers Mirabeau, mort le 2 avril 1791, et que trois cent mille Parisiens accompagnent à l’église Sainte-Geneviève, devenue Panthéon, et où l’on se propose de déposer les cendres de Voltaire.

Ce Voltaire qui voulait « écraser l’infâme » et auquel Louis n’a jamais accordé une audience.

Et maintenant, Louis sanctionne les décrets que condamne le pape et qui réalisent le souhait de Voltaire !

Louis ne peut plus accepter cette abdication de soi.

Fuir alors comme le souhaite Marie-Antoinette, que Louis se reproche de mettre en danger, ainsi que leurs enfants.

Mais quitter les Tuileries, où la famille royale s’est réinstallée, ne sera pas aisé.

Louis a la certitude que Marat et quelques autres ont percé à jour ses intentions.

Ainsi, Marat appelle le peuple à la vigilance :

« Citoyens, armez-vous de haches et de piques ; grande illumination pendant trois jours, forte garde autour du château des Tuileries et dans les écuries. Arrêtez toutes les voitures qui voudraient sortir de Paris. Visitez les vêtements de tous les officiers supérieurs de l’armée parisienne, de tous les hommes qui ont l’air étranger, de tous les soldats… et si vous y trouvez la cocarde blanche, poignardez-les à l’instant. »