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Il vient de sortir seul par la grande porte sans que tes factionnaires prêtent attention à cette silhouette débonnaire commune de domestique.

L’un des souliers du roi s’est défait et Louis l’a remis sans hâte. Dans la voiture il trouve ses deux enfants, le dauphin Louis, âgé de six ans, et Madame Royale – Marie-Thérèse – qui a treize ans. Is sont accompagnés de leur gouvernante, Madame de Tourzel.

Il y a aussi la jeune sœur du roi, Madame Élisabeth, d’à peine vingt-sept ans.

Le comte Fersen, qui a préparé la fuite de la famille royale, « jouait parfaitement le rôle de cocher de fiacre, sifflant, causant avec un soi-disant camarade qui se trouvait là par hasard, et prenant du tabac dans sa tabatière ».

Il faut attendre la reine qui, comme Louis, a fait mine de se coucher selon le rituel habituel.

Puis elle a revêtu une robe austère de gouvernante, et elle rejoint la citadine vers minuit trente. Elle a croisé la voiture de La Fayette sans que celui-ci la reconnaisse sous son déguisement.

« Dès que la reine fut montée dans la voiture, raconte Madame de Tourzel, Louis la serre dans ses bras, l’embrassant et répète “que je suis content de vous voir arrivée”. »

La citadine peut alors rouler jusqu’à la barrière Saint-Martin, à l’entrée de la route de Metz, où l’attend une grosse berline vert foncé, aux immenses roues jaunes, aux nombreux coffres et que surveillent trois fidèles gardes du corps.

La famille royale et Madame de Tourzel prennent place à son bord.

La berline a été construite en vue de cette fuite. Elle est confortable, capitonnée de velours blanc, munie de « vases de nécessité » prévus pour les longs voyages.

Fersen va la conduire jusqu’au premier relais à l’orée de la forêt de Bondy. Là, à la demande de Louis, il est entendu qu’il quittera les fugitifs, qui sont déjà en retard d’une heure et demie sur l’horaire établi entre Fersen et le marquis de Bouillé, l’homme qui a maté la révolte de la garnison de Nancy.

La route est longue.

On va se diriger vers Montmirail, Châlons-sur-Marne, Sainte-Menehould, Clermont-en-Argonne, Varennes, un petit village sur la rivière l’Aire.

De là on gagnera Montmédy, but du voyage, non loin de la frontière avec la Belgique, territoire impérial. Et là, attendent dix mille soldats autrichiens qui, si nécessaire, pourront prêter main-forte à Louis XVI. Mais le roi compte que la menace suffira.

D’ailleurs, il disposera des troupes du marquis de Bouillé qui a placé des hussards, des dragons, des cavaliers du Royal-Allemand, en plusieurs points, après Châlons-sur-Marne. Ils sont chargés de protéger la famille royale, et de couper les communications avec Paris.

Les soldats ignorent qu’ils devront escorter le roi et famille. On leur a expliqué qu’ils attendent un « trésor » destiné au paiement de la solde des régiments de la frontière.

Le marquis de Bouillé et ses officiers – le comte de Choiseul, le colonel de Damas – ne sont pas sûrs de l’état d’esprit de ces sept cent vingt-trois hommes qui pourraient refuser d’obéir, si la population, les municipalités manifestaient leur opposition au roi.

La seule manière d’éviter cette « fermentation », cette rébellion, c’est de faire vite.

Or, à Montmirail, la berline qui a été rejointe par un cabriolet où ont pris place les deux femmes de chambre de la reine a déjà trois heures de retard sur l’horaire prévu.

Il est onze heures, ce mardi 21 juin.

On sait à Paris, depuis plus de trois heures, que le roi s’est enfui.

C’est à sept heures que Lemoine, le valet de chambre du roi, a constaté que Louis n’était plus dans son lit et que la famille royale avait disparu. Il a donné l’alerte et dès huit heures la nouvelle est connue dans tout Paris.

L’Assemblée se réunit, présidée par Alexandre de Beauhamais.

On découvre une Déclaration adressée à tous les Français, que le roi a laissée en évidence dans sa chambre.

Louis s’y plaint de tous les outrages subis. Seule récompense de ses sacrifices : « la destruction de la royauté, tous les pouvoirs méconnus, les propriétés violées, la sûreté des personnes mise partout en danger, une anarchie complète ».

Il dénonce ces « Sociétés des Amis de la Constitution, une immense corporation plus dangereuse qu’aucune de celles qui existaient auparavant… Le roi ne pense pas qu’il soit possible de gouverner un royaume d’une aussi grande étendue et d’une aussi grande importance que la France par les moyens établis par l’Assemblée nationale ».

Et Louis XVI invite les habitants de sa « bonne ville » de Paris, tous les Français, à se méfier des « suggestions et des mensonges de faux amis ; revenez à votre roi, il sera toujours votre père, votre meilleur ami ; quel plaisir n’aura-t-il pas à oublier toutes ses injures personnelles et de se revoir au milieu de vous, lorsqu’une Constitution qu’il aura acceptée librement fera que notre sainte religion sera respectée, que le gouvernement sera établi sur un pied stable… et qu’enfin la liberté sera posée sur des bases fermes et inébranlables ».

« Tout Paris est en l’air. »

On s’indigne. L’Assemblée siège en permanence. Le club des Cordeliers lance une pétition en faveur de la République.

On brise les bustes du roi, on macule son nom, tout ce qui rappelle la royauté.

Louis a donc menti.

On se souvient de ce qu’écrivait Marat, dans L’Ami du peuple. On se rappelle qu’un nouveau journal, Le Père Duchesne, avait affirmé dès février que « la femme Capet veut se faire enlever avec le gros Louis par La Fayette et les chevaliers du poignard ».

On se scandalise, que ce même La Fayette, suivi par la majorité des députés, évoque « les ennemis du roi enlevant le roi ».

Robespierre s’insurge contre ce conte de l’enlèvement de Louis XVI. Et aux Jacobins, il attaque les députés, les Barnave, les Duport, les La Fayette, les Lameth.

« Ils ont dans vingt décrets appelé la fuite du roi un enlèvement. Voulez-vous d’autres preuves que l’Assemblée nationale trahit les intérêts de la nation ? »

II rappelle qu’il a fait voter, le 16 mai, une loi selon laquelle aucun des députés de l’Assemblée constituante ne pourra être élu dans la future Assemblée législative.

Il avait voulu ainsi exclure ces députés modérés qui ne sont que « modérément patriotes ».

« Je soulève contre moi tous les amours-propres, dit-il. J’aiguise mille poignards et je me dévoue à toutes les haines. Je sais le sort qu’on me garde… Je recevrai presque comme un bienfait une mort qui m’empêchera d’être témoin des maux que je vois inévitables. »

Les Jacobins se dressent : « Nous mourrons tous avec toi ! », « Nous jurons de vivre libres ou mourir ! » crient-ils.

Mais Barnave intervient, et c’est sa motion qu’on vote :

« Le roi égaré par des suggestions criminelles s’est éloigné de l’Assemblée nationale. »

Cependant dans les rues, aux carrefours, au Palais-Royal, des orateurs clament les propos de Robespierre. Camille Desmoulins les diffuse. Ils enflamment le jeune Saint-Just. Certains veulent que Robespierre soit proclamé « dictateur ».

L’opinion s’embrase.

« On peut se passer de roi », crie-t-on.

Dans les faubourgs, on dit qu’il faut saigner « le gros cochon », « Louis le faux ».

On efface, on arrache les effigies du roi, de la reine, des princes !

On apprend que le comte de Provence, frère du roi, s’est lui aussi enfui, mais que Philippe duc d’Orléans s’est inscrit au club des Jacobins.