La chaleur de cette journée du mercredi 22 juin 1791 est torride. Un peu avant Châlons, un homme à cheval apparaît, tente de s’approcher de la berline. Vite désarçonné, il est piétiné, poussé dans un fossé.
C’est le comte de Dampierre qui voulait saluer le roi mais que les paysans détestent pour son âpreté dans la perception des droits féodaux.
« Qu’est-ce ? » demande Louis XVI qui a vu le tumulte.
« Ce n’est rien, c’est un homme que l’on tue. »
On arrive à Châlons-sur-Marne à onze heures du soir.
On en repartira le jeudi 23 juin à neuf heures.
Chaleur et outrages.
On crache au visage du roi. On malmène la reine dont la robe est déchirée.
« Allez ma petite belle, on vous en fera voir bien d’autres », lance une femme.
« La reine baisse la tête, presque sur ses genoux. »
Entre Épernay et Dormans, vers sept heures du soir, les trois commissaires que l’Assemblée nationale a désignés pour ramener le Roi rejoignent la berline.
Barnave et Pétion montent avec la famille royale, La Tour Maubourg s’installe dans l’autre voiture, en compagnie du colonel Mathieu Dumas.
La foule accueille les commissaires avec ferveur.
« Je ne puis peindre le respect dont nous fûmes environnés, dit Pétion. Quel ascendant puissant, me disais-je, a cette Assemblée ! »
Barnave s’est installé entre le roi et la reine. Pétion entre Madame de Tourzel et Madame Élisabeth.
Il semble à Pétion que la sœur du roi s’abandonne contre lui.
« Madame Élisabeth serait-elle convenue de sacrifier son honneur pour me faire perdre le mien ? » se demande-t-il tout en observant Barnave qui chuchote avec la reine.
La chaleur est étouffante.
« Le roi n’a pas voulu sortir de France », répète Madame Élisabeth.
« Non, Messieurs, dit le roi en parlant avec volubilité, je ne sortais pas, je l’ai déclaré, cela est vrai. »
On arrive à Meaux le vendredi 24 juin.
On repartira pour Paris vers sept heures du matin, le samedi 25 juin.
Louis feuillette son Journal, relit ce qu’il a écrit, jour après jour, au fil de ces heures qui, et il s’en étonne, ne lui laissent aucun regret pour lui-même.
Il souffre pour la reine et les enfants, pour sa sœur et ses trois gardes du corps, insultés, et pour Madame de Tourzel.
Il songe à cet homme, sans doute un noble fidèle, égorgé dans un fossé.
Il a appris que le comte de Provence a atteint la Belgique sans encombre.
Dieu décide du sort qu’il réserve à chacun.
Louis a noté :
« Jeudi 21 juin : départ à minuit de Paris, arrivé et arrêté à Varennes-en-Argonne, à onze heures du soir.
22 : Départ de Varennes à cinq ou six heures du’matin, déjeuner à Sainte-Menehould, arrivé à dix heures à Châlons, y souper et coucher à l’ancienne Intendance.
23 : À onze heures et demie on a interrompu la messe pour presser le départ, déjeuner à Châlons, dîner à Épernay, trouvé les commissaires de l’Assemblée auprès du port à Buisson, arrivé à onze heures à Dormans, y souper, dormi trois heures dans un fauteuil.
24 : Départ de Dormans, à sept heures et demie, dîner à la Ferté-sous-Jouarre, arrivé à onze heures, à Meaux, souper et coucher à l’Évêché.
Samedi 25 : Départ de Meaux à six heures et demie… »
Il ajoutera à cette journée du samedi 25 juin : « … arrivé à Paris sans s’arrêter. »
Il ne dit rien de la foule immense dans la chaleur, des cris, du tour de Paris par les « nouveaux boulevards », pour éviter les manifestations violentes.
Puis les Champs-Elysées, la place Louis-XV.
La garde nationale forme la haie, crosse en l’air. Et la foule crie, quand la reine descend de voiture dans la cour des Tuileries : « À bas l’Autrichienne. »
On se précipite pour tenter de s’emparer des trois gardes du corps habillés en courriers. Les commissaires les arrachent à ces « tigres » – comme les nomme Barnave – qui déjà, dans la forêt de Bondy, puis à Pantin, ont voulu prendre la berline d’assaut. Les femmes étaient les plus haineuses, « tigresses », qui menaçaient de dépecer la reine, de l’écarteler.
On a crié : « La bougresse, la putain, elle a beau nous montrer son enfant, on sait bien qu’il n’est pas de lui. »
C’est la garde nationale qui les a repoussées, et le fait encore devant les Tuileries. Mais les soldats n’appliquent pas l’ordre qui a été donné par l’Assemblée :
« Quiconque applaudira le roi sera bâtonné, quiconque l’insultera sera pendu. »
Mais le roi reste le roi : il n’a été que suspendu.
Dans les appartements royaux, les valets en livrée s’affairent autour de Louis, font sa toilette.
« En voyant le roi, écrit Pétion, en le contemplant, jamais on n’aurait pu deviner tout ce qui venait de se passer ; il était tout aussi flegme, tout aussi tranquille que si rien n’eût été. Il se mit sur-le-champ en représentation. »
À La Fayette qui vient prendre ses ordres, Louis répond en riant : « Il me semble que je suis plus à vos ordres que vous n’êtes aux miens. »
Et Louis note le lendemain dans son Journal :
« Dimanche 26 : Rien du tout, la messe dans la galerie. Conférence des commissaires de l’Assemblée. »
Ce matin-là, la reine ayant ôté son bonnet de nuit devant sa femme de chambre, celle-ci constata que les cheveux de Marie-Antoinette étaient devenus tout blancs « comme ceux d’une femme de soixante-dix ans ».
Dans son Journal, le surlendemain, Louis XVI écrit : « 28 : J’ai pris du petit-lait. »
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En ces derniers jours du mois de juin 1791, Paris est écrasé par une chaleur lourde et orageuse.
Et Louis souffre d’être prisonnier dans les appartements des Tuileries, de ne pouvoir se promener dans les jardins, sur les terrasses, ni naturellement chevaucher et chasser dans les forêts.
Les gardes nationaux, soldés ou volontaires, ont dressé des tentes sur les pelouses. Des sentinelles patrouillent sans relâche. Les portes des chambres – y compris celle de la reine – doivent rester ouvertes, afin que les gardes puissent à tout instant s’assurer de la présence des souverains.
Louis a joué un tour à ces patriotes. Il s’est caché derrière une tapisserie, laissant l’inquiétude gagner ses gardiens, qui ont appelé en renfort deux sapeurs et douze grenadiers, afin qu’ils brisent les portes dont ils ne possèdent pas la clé.
— Eh bien me voilà, a lancé le roi, en soulevant le coin de la tapisserie.
Il lui plaît de constater le malaise de ces « patriotes » venus l’interroger, qu’ils soient gardes nationaux, commissaires de l’Assemblée ou même qu’il s’agisse du général La Fayette.
La Fayette et les commissaires, qui reflètent l’opinion de la majorité de l’Assemblée, n’utilisent jamais le mot de fuite mais parlent soit d’enlèvement, soit de voyage.
S’ils font mention de la Déclaration adressée aux Français qu’il avait laissée dans la chambre avant de quitter les Tuileries, c’est pour dire qu’il s’agit d’un brouillon sans valeur, qu’aucun ministre n’a signé, et qui n’engage pas le souverain.
Ils répètent que le roi est inviolable, qu’on ne peut donc le juger, et qu’il ne restera suspendu que jusqu’au moment où il aura de nouveau prêté serment à la Constitution.
Louis, peu à peu, se rassure.