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Il mesure combien cette majorité de députés est inquiète à l’idée que le peuple, et les membres du club des Cordeliers – Danton, Desmoulins –, et la partie des Jacobins qui suit Robespierre pourraient imposer la République, ou une régence de Philippe d’Orléans.

Le duc s’est choisi le nom de Philippe Égalité. Il fait mine d’avoir renoncé à toute ambition personnelle, mais ses partisans – l’écrivain Choderlos de Laclos, Danton -continuent de mener campagne pour la déchéance du roi, qui permettrait de faire de Philippe d’Orléans le successeur, le régent ou le lieutenant général du royaume.

Sinon, un César imposerait sa dictature. Ce pourrait être La Fayette, ou bien un marquis de Bouillé, qui, depuis le Luxembourg, a écrit à l’Assemblée pour menacer Paris d’une destruction « pierre après pierre », si le roi ou les membres de la famille royale étaient maltraités. Et le marquis de Bouillé a assuré qu’il était responsable de l’enlèvement du roi.

Louis s’étonne de voir la majorité de l’Assemblée accepter cette thèse et, peu à peu, il se persuade que la situation peut encore se retourner.

Il doit être patient, faire croire à ces députés qui ne veulent pas l’accabler, qui l’écoutent avec déférence, qu’il est prêt à accepter la Constitution.

« J’ai bien reconnu dans ce voyage, dit-il à La Fayette, que je m’étais trompé et que l’attachement à la révolution est l’opinion générale. »

Il encourage Marie-Antoinette à écouter Barnave, qui tout au long du trajet de retour s’est montré soucieux de protéger la reine.

Cet homme, séduit, aspire à conseiller Marie-Antoinette, à prendre la place de feu Mirabeau.

Pourquoi pas ?

Barnave a déclaré à l’Assemblée :

« Tout le monde doit sentir que l’intérêt commun est que la révolution s’arrête. Ceux qui ont perdu doivent savoir qu’il est impossible de la faire rétrograder ; qu’il ne s’agit plus que de la fixer… »

Il faut conforter Barnave. Il est avec Duport, Lameth, La Fayette et même Sieyès, de ceux qui s’opposent aux « patriotes exaltés », à ces « tigres ».

Et Louis, chaque jour depuis son retour aux Tuileries, entend ces « bêtes fauves » hurler des injures.

Ils sont derrière les grilles. Ils se rassemblent place Louis-XV. Les gardes nationaux ne peuvent, ou ne veulent pas, les repousser, les disperser, les faire taire.

Et lorsque, à la fin de la journée, Louis s’approche d’une fenêtre, pour profiter de la fraîcheur de la brise, les insultes fusent, hurlées.

« Imbécile », « Cochon », « Perfide », « Lâche ».

On menace de le saigner, de le dépecer, de lui dévorer le cœur.

Et lorsque la reine s’approche, les hurlements redoublent contre « la putain Toinon, l’Autrichienne, qu’il faudra fouetter, écorcher ».

On veut les juger. On crie que la nation n’a pas besoin d’un roi. Et parfois jaillit le mot de république.

« Le peuple est furieux, note un témoin, depuis l’Assemblée nationale même, jusque dans les derniers cafés : cela ressemble à ces vents qui frisent la terre, une heure avant l’ouragan dévastateur. »

Qui le déchaînera ? Louis lit avec attention les propos de ce Jacobin, Maximilien Robespierre, qui dès le dimanche 26 juin a réclamé qu’un tribunal soit chargé d’entendre les deux souverains :

« La reine n’est qu’une citoyenne, a-t-il dit, et le roi en qualité de premier fonctionnaire du royaume est soumis aux lois. »

Habile et prudent, ce Robespierre !

Il laisse Danton, Laclos, Camille Desmoulins évoquer la République, ou bien un « moyen constitutionnel » permettant de remplacer Louis XVI – et chacun comprend qu’ils pensent à un régent, qui serait Philippe d’Orléans –, mais Robespierre ne se prononce pas. Il dit seulement que si le roi est inviolable, le peuple l’est aussi. Qu’on doit donc interroger le roi, et la citoyenne Marie-Antoinette.

Louis n’a jamais relevé une injure dans la bouche de Robespierre. C’est Pétion qui dit que le roi est un « monstre » et un autre député, Vadier, qui lance un « brigand couronné ».

Robespierre ne signe pas la pétition des cordeliers qui réclament la « déchéance du Roi ».

Il ne participe ni à la manifestation de trente mille ouvriers qui se réunissent place Vendôme, le 24 juin, ni à ce grand rassemblement devant l’Assemblée, rue Saint-Honoré, en faveur de la déchéance du roi, mais aussi contre toute idée de remplacement du Bourbon par un Orléans, et contre l’institution d’une régence.

« Plus de monarchie », « plus de tyran », crie-t-on.

Et Robespierre ne suit pas Condorcet ou l’écrivain américain Thomas Paine qui s’affirment républicains.

Louis observe. Il médite les propos de Barnave, qui conseille la reine, répète qu’une majorité de députés va se prononcer contre la déchéance, que l’Assemblée est prête à mettre fin à la suspension du roi dès lors qu’il approuverait la Constitution.

Et cependant, Louis est inquiet. L’Assemblée décide de recruter mille volontaires nationaux, qui formeront une armée fidèle à la Constitution. Et les soldats éliront leurs sous-officiers et leurs officiers.

Il faut aussi assister à ce défilé d’un cortège qui accompagne les cendres de Voltaire qu’on transfère au Panthéon.

Et Louis est assis, jambes croisées devant sa fenêtre, pour le regarder passer sur le Pont-Royal. Puis le cortège s’immobilise devant le pavillon de Flore plus de trois quarts d’heure. Marie-Antoinette entre dans la chambre et fait fermer les stores !

Mais on entend chanter :

Peuple réveille-toi, romps les fers

Remonte à ta grandeur première

La Liberté t’appelle

Tu naquis pour elle

L’affreux esclavage

Flétrit le courage

Mais la liberté

Relève sa grandeur et nourrit sa fierté

Liberté, liberté !

Louis s’efforce d’accepter tout cela placidement.

Il faut laisser la révolution s’étendre comme un fleuve en crue, qu’il ne sert à rien de vouloir endiguer, mais qui un jour s’asséchera, rentrera dans son lit.

Et c’est la tentative de fuite, la nuit passée à Varennes-en-Argonne, qui lui donnent cette sagesse.

C’est le mouvement du fleuve lui-même qui rendra toute sa place à la monarchie. Alors, peu importe que l’Assemblée prenne des mesures contre les émigrés, triplant l’imposition sur leurs biens s’ils ne rentrent pas dans les deux mois, ou bien qu’on célèbre, au Champ-de-Mars, le deuxième anniversaire de la prise de la Bastille, en grande pompe, et par grand soleil. Et l’évêque de Paris dit la messe sur l’autel de la Patrie, et entonne un Te Deum.

Et c’est sur cet autel que les Cordeliers veulent déposer une pétition, pour la déchéance, le 17 juillet. Ils ont déjà recueilli six mille signatures.

Mais ils sont dans l’illégalité, puisque l’Assemblée souveraine a refusé de voter la déchéance du roi, et au contraire l’a innocenté.

C’est Barnave qui, le 15 juillet, a emporté la décision, dans un grand discours où l’homme qui a ouvert à

Grenoble et à Vizille, en 1788, la période révolutionnaire souligne les dangers de continuer la révolution.

« Ce que je crains, dit Barnave, c’est notre force, nos agitations, c’est le prolongement indéfini de notre fièvre révolutionnaire. Allons-nous terminer la révolution ? Allons-nous la recommencer ? Si la révolution fait un pas de plus elle ne peut le faire sans danger ; c’est que dans la ligne de la liberté, le premier acte qui pourrait suivre serait l’anéantissement de la royauté ; c’est que dans la ligne de l’égalité, le premier acte qui pourrait suivre serait l’attentat à la propriété… Pour ceux qui voudraient aller plus loin, quelle nuit du 4 août reste-t-il à faire, si ce n’est des lois contre les propriétés ? »