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C’est comme si le fleuve de la Révolution se divisait en deux courants.

L’un veut fixer la Révolution.

L’autre veut se laisser porter par le fleuve, et au bout il y a, en effet, les « partageux », qui veulent – et leurs voix se sont déjà fait entendre –, au-delà du roi, s’en prendre aux riches, aux propriétés.

Et Louis mesure qu’il est aux yeux d’un Barnave, d’un La Fayette, d’un Duport et d’un Sieyès, un rempart.

Et un obstacle pour les autres, Marat, Maréchal, Hanriot, et ce Gracchus Babeuf, un Picard qui rêve au partage des terres, comme ce jeune Saint-Just.

Et les Cordeliers, avec l’imprimeur Momoro, le poète Fabre d’Églantine, maintiennent, en dépit des décisions de l’Assemblée, leur décision de déposer leur pétition sur l’autel de la Patrie, au Champ-de-Mars, le 17 juillet.

Tension au club des Jacobins.

Maximilien Robespierre, prudemment, se tait.

Il craint l’« illégalité », les mesures de force que l’Assemblée peut décider.

Il met en garde contre les dangers d’une pétition, mais il dit aussi :

« Le moment du danger n’est pas celui de la pusillanimité… Je suis prêt à mourir pour le salut du peuple sensible et généreux. »

Et une partie des Jacobins se rallie à la pétition.

C’en est trop pour Barnave, La Fayette, Duport, Lameth.

Ils quittent la séance, le club des Jacobins. Ils décident de créer non loin de là, dans le couvent des Feuillants, toujours rue Saint-Honoré, un autre club, « modéré », celui des Feuillants.

Le parti des patriotes s’est bien déchiré.

Le 16 juillet, les Cordeliers, les Jacobins, s’en vont déposer une pétition sur l’autel de la Patrie.

Elle déclare le décret de l’Assemblée « contraire au vœu du peuple souverain », demande le « jugement d’un roi coupable » et le « remplacement et l’organisation d’un nouveau pouvoir exécutif ». Et ils appellent le peuple à venir signer la pétition, demain 17 juillet, un dimanche.

On devait se réunir place de la Bastille et se rendre en cortège au Champ-de-Mars.

Mais les gardes nationaux sont là, qui empêchent le rassemblement. On dit que Bailly et la municipalité ont décidé d’empêcher tout rassemblement et de faire appliquer la loi martiale.

Les bataillons de la garde nationale, soldés et volontaires bourgeois, sont sous les armes, avec leurs drapeaux rouges, qu’on arbore aussi aux fenêtres de l’Hôtel de Ville.

Mais les dix mille pétitionnaires, parmi lesquels de nombreuses femmes avec enfants, qui se retrouvent au Champ-de-Mars où ils se sont rendus par petits groupes ne peuvent imaginer que la garde nationale tirera sur eux, même quand ils la voient arriver, avec ses fusils, ses baïonnettes et des canons.

La tension monte cependant.

On découvre, sous l’estrade de l’autel de la Patrie, deux hommes qui assurent qu’ils voulaient percer des trous dans les planches pour voir les jambes et les culs des femmes.

On ne les écoute pas. Ils sont à la solde des aristocrates, assure-t-on. Ils veulent placer une machine infernale. On les frappe. On les pend. On tranche leurs cous. On plante leurs têtes au bout des piques. Maillard, le commandant des « vainqueurs de la Bastille », et le peintre David sont là, parmi la foule qui peu à peu se réduit à quelque quatre ou cinq mille personnes.

Elles narguent les bataillons de La Fayette qui avancent, malgré une grêle de cailloux lancés par la foule qui crie : « À bas le drapeau rouge ! », « À bas les baïonnettes ! ».

Les drapeaux rouges sont déployés.

Les soldats tirent une première salve en l’air, puis font feu sur la foule que chargent les cavaliers.

La fusillade continue de crépiter.

Les gardes nationaux poursuivent les fuyards, hors du Champ-de-Mars, « dans les jardins, les gazons, les prairies alentour, la baïonnette dans les reins, et tuent bon nombre de femmes, d’enfants, de vieillards ».

« On compte douze à quinze cents morts par la balle et la baïonnette », dit la rumeur.

Ils ne seront pas cent.

Mais la Seine coule comme un flot de sang.

Elle sépare modérés et républicains.

La Fayette et Bailly ne sont plus pour le peuple que des « massacreurs ».

Et les gardes nationaux qui ont tué ont exprimé leur volonté d’en finir avec les désordres, les émeutes, les pillages, les assassinats, les têtes au bout des piques.

Chez les « patriotes », on craint la répression. Danton se réfugie chez sa mère à Arcis-sur-Aube puis passe en Angleterre, Desmoulins et Marat se cachent. On brise les presses de L’Ami du peuple. Les Révolutions de France et de Brabant cessent de paraître.

Robespierre ne rentre pas chez lui rue de Saintonge, mais couche plusieurs nuits chez son ami le menuisier Duplay qui possède une maison rue Saint-Honoré.

Il craint une « Saint-Barthélemy des patriotes ».

Car le drapeau rouge de la loi martiale restera suspendu sur la façade de l’Hôtel de Ville jusqu’au 25 juillet.

« J’ai le cœur navré de chagrin de voir les choses tournées ainsi, écrit le 26 juillet le libraire Ruault… Ainsi nous allons voir, et nous avons déjà, deux opinions politiques entre lesquelles les Français vont se partager… Je perçois le malheur sans fin si la division commencée la semaine dernière continue plus longtemps… »

25

Qui l’emportera de ces « deux opinions politiques entre lesquelles les Français se partagent », en cet été brûlant de 1791 ?

Louis, qui supporte de plus en plus mal son enfermement – son « emprisonnement », disent les royalistes -dans les appartements royaux des Tuileries, observe, écoute, lit.

Il est prudent, incertain.

Il n’ose croire que le silence auquel sont contraints les « patriotes exaltés », Marat, Hébert, Desmoulins, Danton, dont les journaux ne paraissent plus, puisse durer et que l’Assemblée nationale persiste, aggrave les mesures, les décrets qu’elle a pris.

Au lendemain de la fusillade du Champ-de-Mars, elle a décidé que tous ceux qui tenteraient de renouveler un pareil rassemblement et de faire de nouvelles pétitions contre le roi seraient condamnés aux fers !

Elle a fait placarder dans les rues et aux carrefours le texte du discours de Charles Lameth, président de l’Assemblée, qui annonçait que tous ceux qui critiqueraient La Fayette, parce qu’il avait appliqué la loi martiale, seraient poursuivis.

Louis s’étonne de la rapidité avec laquelle la majorité du parti patriote a changé d’attitude.

Qui aurait pu croire, le mois dernier, que Lameth, Duport, Barnave, tous ces fauteurs de révolution, en soient à se rapprocher de Malouet, des royalistes, et même de l’abbé Maury ou de l’abbé Royou et de son Ami du roi ?

Il sait que Marie-Antoinette écrit à Lameth et à Barnave, qu’ils lui conseillent d’approuver la Constitution, telle que l’Assemblée va la réviser.

Le texte confiera au roi des pouvoirs importants. Il marquera que la révolution est achevée. La France reste un royaume, changé de fond en comble, certes, et c’est l’œuvre gigantesque accomplie en deux ans par l’Assemblée nationale « constituante », mais la nation va retrouver l’ordre, la paix, la sûreté des personnes et des propriétés.

Les électeurs et les élus devront être des citoyens actifs, et les élus seront choisis parmi les plus riches d’entre eux, parce qu’on est d’autant plus soucieux de la chose publique, que les intérêts personnels, particuliers, vous lient à elle.