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Et cependant, Louis hésite à approuver cette Constitution dont il sait bien qu’elle tourne le dos aux lois fondamentales et sacrées du royaume.

Le roi n’est plus de droit divin. Il est le roi des Français. Et Louis partage les sentiments de Marie-Antoinette qui déteste cette Constitution dont elle dit qu’elle n’est qu’un « tissu d’absurdités impraticables ».

Mais Louis veut agir avec prudence.

Il s’inquiète de la correspondance secrète que la reine entretient avec son frère, l’empereur Léopold II, et dont il connaît la teneur.

Marie-Antoinette est au diapason des émigrés, les deux frères de Louis, le comte d’Artois et le comte de Provence, ou le baron de Breteuil, qui tous invitent les souverains à se soucier de cet « esprit d’insubordination et de révolte » qui à partir de la France peut gagner toute l’Europe.

Et Louis a reçu une lettre d’Edmund Burke qui l’invite à ne pas reconnaître cette Constitution, à ne pas suivre les conseils de Barnave et de Lameth, de ces gens qui, comme dit Rivarol, « après avoir été incendiaires viennent s’offrir pour être pompiers ».

« Votre situation intéresse le genre humain, écrit Burke. Votre salut consiste dans le silence, la patience, le refus. »

Mais Marie-Antoinette s’impatiente, anxieuse, humiliée.

Louis sait qu’elle juge sévèrement ses hésitations.

Elle a écrit à Mercy-Argenteau, le 29 juillet :

« Vous connaissez la personne à laquelle j’ai affaire. Au moment où on la croit persuadée, un mot, un raisonnement la fait changer sans qu’elle s’en doute, c’est aussi pour cela que mille choses ne sont point à entreprendre. »

Louis tente de se justifier auprès de la reine.

Elle est imprudente. Les émigrés, en appelant les souverains étrangers à intervenir, mettent en danger la famille royale.

Marie-Antoinette s’obstine.

« La force armée a tout détruit, il n’y a que la force armée qui puisse tout réparer », a-t-elle écrit à l’empereur Léopold II.

Elle est encore plus précise lorsqu’elle ajoute :

« En tout état de cause, les puissances étrangères peuvent seules nous sauver ; l’armée est perdue, l’argent n’existe plus ; aucun lien, aucun frein ne peut retenir la populace armée de toute part. »

Et Louis dénonce l’inconscience de l’abbé Royou qui, dans L’Ami du roi, reprend mot à mot les propos de la reine.

Il ne la cite pas, mais chacun comprend qu’il exprime la pensée de la famille royale.

« Nous n’avons plus de ressources que dans les puissances étrangères, écrit-il. Il faut à tout prix qu’elles viennent à notre secours, mais c’est à l’empereur de se mettre à la tête de tous et à régler tout. »

Comment s’étonner qu’autour des Tuileries, on crie avec une sorte de fureur : « Vive la nation ! », « À bas l’Autrichienne ! ».

Et que l’opinion se persuade, quand, le 27 août 1791 au château de Pillnitz, en Saxe, Léopold II et le roi de Prusse Frédéric-Guillaume II se réunissent et déclarent qu’ils considèrent « la situation du roi de France comme un objet d’intérêt commun », que les armées autrichiennes et prussiennes vont franchir les frontières.

On sait que le marquis de Bouillé a conçu, fort de sa connaissance des forteresses françaises, un plan d’invasion.

La vérité, au contraire, est que l’empereur d’Autriche et le roi de Prusse ont bien pris garde de ne s’engager que s’il y a unanimité de toutes les puissances.

« Alors et dans ce cas »… écrivent-ils, renvoyant à une date indéterminée une invasion… improbable dans ces conditions.

Mais Louis sait que ce jeu est dangereux pour la famille royale. Que les émigrés, les royalistes, en saluant l’empereur et le roi de Prusse comme des sauveurs, excitent la haine des « enragés du Palais-Royal ». Qu’Artois et Provence se conduisent en Caïn.

Et Louis craint cette politique du pire, dont lui, la reine, ses enfants paieraient le prix.

Et elle n’a pour résultat que de renforcer le club des Jacobins, qui même s’ils ont perdu tous les députés ralliés au club des Feuillants, ont gardé la plupart de leurs simples adhérents, et Maximilien Robespierre est l’homme que l’on écoute, que l’on suit.

Robespierre s’est installé chez Maurice Duplay.

Cet entrepreneur de menuiserie vit dans sa maison de la rue Saint-Honoré, entouré de sa femme, de ses trois filles et de son fils.

« Nous aimons Maximilien comme notre frère », dit l’une d’elles, Élisabeth.

En fait, on l’admire, on le vénère. Un député du tiers état, La Révellière-Lépaux, qui lui rend visite, s’étonne.

« Robespierre recevait des hommages, chez les Duplay, tels ceux qu’on rend à une divinité… Lui-même, bien peigné et poudré, vêtu d’une robe de chambre des plus propres s’étalait dans un grand fauteuil devant une table chargée des plus beaux fruits, de beurre frais, de lait pur et de café embaumé. Toute la famille, père, mère et enfants cherchaient à deviner dans ses yeux tous ses désirs pour les prévenir à l’instant. »

Mais Maximilien n’est pas resté caché dans la maison des Duplay.

Alors que Danton, Camille Desmoulins, Marat, bien d’autres ont quitté Paris ou se terrent, Robespierre s’est rendu à l’Assemblée dès le 22 juillet, « le teint pâle, les yeux enfoncés, le regard incertain et farouche ».

Et au début du mois d’août il rédige une Adresse au Peuple français.

Dans les jours qui suivent, il bénéficie de la reparution des journaux – comme Le Patriote français de Brissot – qui le soutiennent.

Car après la peur et la crainte de voir l’Assemblée poursuivre avec détermination les « républicains », ceux-ci constatent qu’elle hésite.

Elle a besoin, pour obtenir du roi qu’il approuve la Constitution révisée, des « patriotes exaltés » qui menacent le souverain.

Le ciment de l’alliance Barnave – La Fayette -Louis XVI, c’est la crainte de la « populace », des partageux », des « enragés, du Palais-Royal », peu respectueux des lois.

Mais Robespierre est prudent comme un chat, et l’on commence à le comparer à ce félin.

« Nous ne sommes pas des facétieux, dit-il. Si quelqu’un a osé soutenir qu’il m’a entendu conseiller réellement la désobéissance aux lois, même les plus contraires à mes principes, je le déclare le plus impudent et le plus lâche de tous les calomniateurs. »

Mais il est implacable lorsqu’il intervient à la tribune de l’Assemblée pour dénoncer ceux – Duport, Barnave – qui, pour obtenir l’accord du roi, acceptent de réviser la Constitution de manière à satisfaire, en partie, le souverain.

Les mots de Robespierre cinglent ces Feuillants qui, il y a quelques semaines seulement, étaient encore membres des Jacobins.

« Je ne présume pas, commence Maximilien, qu’il existe dans cette Assemblée un homme assez lâche pour transiger avec la Cour, un homme assez perfide, assez ennemi de la patrie, assez imprudent pour oser avouer aux yeux de la nation qu’il n’a cherché dans la révolution qu’un moyen de s’agrandir lui-même. »

Le « peuple » des tribunes l’acclame, bravant les règlements qui, depuis quelques jours, interdisent toute manifestation dans l’enceinte de l’Assemblée.

Et les approbations redoublent quand, pointant son doigt, Robespierre ajoute :

« Si, pour avoir le droit de se faire entendre dans cette Assemblée, il faut attaquer les individus, je déclare, moi, que j’attaque personnellement Monsieur Barnave et Monsieur Lameth. »

Il les accuse de refuser l’abolition de l’esclavage. Alors qu’à Saint-Domingue, les esclaves se révoltent. Ces députés qui ont rédigé, imposé la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, refusent ces mêmes droits à des hommes voués à la servitude.