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La parole de Robespierre est de plus en plus entendue. Mais le désir de voir le pays s’apaiser est immense. On rêve d’une entente entre l’ancien et le nouveau régime, entre le roi et les députés. On souhaite que l’ordre se rétablisse. Et les intérêts de la Cour et des modérés sont complémentaires. Le roi accepte donc de prêter serment à la Constitution de 1791.

Le 3 septembre 1791, soixante députés précédés de porteurs de torches sont venus à pied, depuis la salle du Manège, jusqu’au château des Tuileries pour présenter au roi la Constitution révisée. Et dès le lendemain, le roi et la famille royale sont autorisés à sortir de leurs appartements.

Louis et Marie-Antoinette peuvent enfin se rendre à la chapelle du château pour y entendre la messe.

L’émotion étreint Louis qui ne peut retenir ses larmes, cependant que la foule toujours hostile martèle : « Vive la nation ! Vive la Constitution ! »

Louis, qui au fond de lui ne peut admettre ce texte, va l’approuver. Mais est-ce mentir ? Il est le roi. Ses devoirs relèvent d’autres lois que celles des hommes.

Le 13 septembre, il donne son accord, et les députés manifestent leur enthousiasme, décident de mettre en liberté tous ceux qui avaient participé, aidé à sa fuite, à son « enlèvement », le 20 juin.

Louis répond à la députation venue le saluer que sa femme et ses enfants partagent ses sentiments.

Mais le lendemain, à l’Assemblée, il pâlit d’humiliation quand il constate que les députés se sont assis, alors qu’il est debout, et qu’ils sont restés couverts.

« Ces gens-là, murmure la reine, ne veulent pas de souverains.

« Nous succomberons à leur tactique perfide et très bien suivie. Ils démolissent la monarchie pierre par pierre. »

Louis pense à la Bastille dont il ne reste plus rien, qu’un tracé sur le sol.

Le dimanche 18 septembre, à l’Hôtel de Ville, la Constitution est proclamée. Et, « peuple mobile et frivole », Paris danse et chante.

Louis apaisé va des Tuileries à Maillot, et on l’applaudit, on crie « Vive le roi ! ». On reprend en chœur des couplets de Richard Cœur de Lion, où l’on a changé le prénom du roi :

Ô Louis, ô mon roi

Tes amis t’environnent

Notre amour t’environne.

La reine elle-même est applaudie.

Mais quand les souverains repartent en carrosse, un homme du peuple bondit, s’accroche à la portière, et tout en gesticulant hurle à ceux qui crient « Vive le roi ! » : « Non, ne les croyez pas ! Vive la nation ! »

Le 30 septembre, c’est la dernière séance de l’Assemblée nationale constituante.

Le roi s’y rend.

Les députés sont découverts et debout puisque le roi a prêté serment, et qu’il est donc roi des Français, monarque constitutionnel.

Ils scandent « Vive le roi ! », « Vive la nation ! ».

Louis répond qu’il a « besoin d’être aimé de ses sujets ».

Il a écrit sur une pancarte placée près de son siège, qui n’est qu’un fauteuil et non un trône :

« Le terme de la révolution est arrivé ; que la nation reprenne son heureux caractère ! »

Lorsque les députés sortent de la salle, une foule de citoyens entoure et acclame Pétion et Maximilien Robespierre.

On dit qu’ils sont les deux « députés-vierges », les « législateurs incorruptibles ».

On les coiffe d’une « couronne de chêne civique On veut dételer leur fiacre et le tirer.

Ils s’y opposent.

« Quand je vois… » commence Robespierre.

Il s’interrompt puis reprend :

« Je ne crois pas que la Révolution soit finie. »

CINQUIÈME PARTIE

1er octobre 1791-10 août 1792

« La Patrie en danger »

« Je leur avais bien dit, foutre, que ça irait. Quand le faubourg Saint-Antoine, quand les braves sans-culottes, quand Le Père Duchesne veulent quelque chose, y a-t-il quelque puissance au monde qui puisse l’empêcher ?

Ainsi donc, foutre, Madame Veto a eu beau remuer de cul et de tête tous les mouchards de Blondinet [La Fayette] et Blondinet lui-même ont été impuissants. »

Hébert, Le Père Duchesne, avril 1792

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Louis hausse les épaules, puis se voûte et reste ainsi les yeux mi-clos, comme écrasé.

Il avait pensé que, en acceptant la Constitution révisée, il regagnerait l’amour du peuple, et que les députés élus à l’Assemblée nationale législative, dont la première session s’est tenue le samedi 1er octobre 1791, seraient prêts à reconnaître les pouvoirs qui lui étaient concédés.

Ils étaient sept cent quarante-cinq, et seulement cent trente-six inscrits au club des Jacobins, deux cent soixante-quatre adhérents au club des Feuillants, et trois cent quarante-cinq formant à eux seuls presque une majorité indépendante qui vote au gré des événements, des acclamations des tribunes du public, de ses sentiments.

Et dès le 5 octobre, après avoir entendu un discours de Couthon, un député inconnu, homme de loi à Clermont-Ferrand, paralytique, qu’on dit Jacobin et affilié au club des Cordeliers, un « exagéré » donc, l’Assemblée décrète que le roi ne sera plus appelé « Sire » et « Majesté », qu’il disposera non d’un trône mais d’un siège quelconque, et que les députés pourront être assis en sa présence.

Peu importe que, le lendemain, la même Assemblée ait annulé sa décision de la veille, et que des députés aient crié : « Vive le roi ! »

Louis ne s’en satisfait pas.

Ces votes contradictoires montrent que l’Assemblée est à l’image du pays, divisée, et que la Révolution que Louis avait voulu croire parvenue à son terme continue.

Louis a lu ce qu’écrit Mallet du Pan, dans le Mercure de France, et que confirment les courriers que Louis reçoit de toutes les provinces – il bute sur le mot de département – du royaume.

« Où la Constitution est-elle appliquée ? s’interroge Mallet du Pan.

« Est-ce à Toulon au milieu des morts et des blessés qui se sont fusillés à la face de la municipalité ébahie ? Est-ce à Marseille où deux particuliers ont été assommés et massacrés comme aristocrates, sous prétexte qu’ils vendaient aux petits enfants des dragées empoisonnées pour commencer la contre-révolution ?… Est-ce à Arles, à Toulouse, à Nîmes, en Dauphiné, où rixes et émeutes sont fréquentes ? Ou à Avignon ? Là, à la nouvelle du décret d’annexion à la France, les “aristocrates”, dans l’église des Cordeliers, en présence d’une foule immense, persuadée qu’un miracle s’accomplit, que la Madone pleure, massacrent sur l’autel le maire patriote après l’avoir mutilé. En représailles, les “patriotes” remplirent d’aristocrates le Palais des Papes, et en tueront au moins une soixantaine. »

Et partout en France les émeutes dans les marchés n’ont pas cessé. Les fermes sont envahies par des bandes de vagabonds.

À Rochefort, à Lille, violences, refus de changer son argent en assignats, cette monnaie de fait qui chaque jour perd de sa valeur.

Impossibilité pour les municipalités de déployer le drapeau rouge de la loi martiale.

À Paris, sur six cent mille habitants, on compte cent mille pauvres, des dizaines de milliers d’indigents, qu’on a renvoyés des ateliers nationaux.

Partout l’on désobéit. On pille. On demande la taxation des denrées.

Louis n’a pas répondu à Marie-Antoinette quand elle a dit :