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Mais Louis est inquiet. Il craint l’un de ces sursauts du peuple qui l’ont tant surpris depuis trois ans.

Ce Robespierre a été élu accusateur public à Paris. Pétion a été, lui, élu maire de Paris. Il est vrai par six mille sept cent vingt-huit voix pour un corps électoral de quatre-vingt-deux mille citoyens actifs et une population parisienne de plus de six cent mille habitants !

De quoi est capable ce peuple immense, et dont les citoyens les plus éclairés, les plus aisés, au lieu de choisir des Feuillants élisent des Jacobins ?

Louis lit avec attention ces prophéties de Robespierre :

« Malheur à ceux qui n’immoleront pas au salut public l’esprit de parti, leurs passions et leurs préjugés même… Car nous touchons à une crise décisive pour notre révolution. »

Louis partage ce sentiment.

Il a choisi – mais y avait-il une autre route ? – de soutenir la marche à la guerre, mais l’affrontement n’existait-il pas déjà à l’intérieur des frontières ?

« Guerre politique au lieu de guerre civile », a-t-il écrit. C’était le seul parti possible à moins d’être lâchement soumis à l’Assemblée ; aux enragés du Palais-Royal.

Et cela il ne le peut pas.

Il reste à espérer.

Il a pris connaissance de la lettre que Marie-Antoinette vient, ce 9 décembre 1791, de faire parvenir à Fersen : « Je crois, écrit la reine, que nous allons déclarer la guerre non pas à une puissance qui aurait les moyens contre nous, nous sommes trop lâches pour cela, mais aux électeurs et à quelques princes d’Allemagne, dans l’espoir qu’ils ne pourront pas se défendre. Les imbéciles ne voient pas que, s’ils font une telle chose, c’est nous servir, parce que enfin il faudra bien, si nous commençons, que toutes les puissances s’en mêlent pour défendre les droits de chacun. »

27

Louis s’est affaissé dans son fauteuil, face à la cheminée de ce petit salon des Tuileries où il a l’habitude de se tenir en fin de journée.

Il ferme les yeux. Il somnole. Il voudrait s’endormir mais l’angoisse le tenaille. Et il en est ainsi depuis le début de cette année 1792.

Chaque jour, un événement, ou bien un discours, un article, une lettre, le propos d’un proche ou d’un visiteur, a rendu plus aigu, plus insoutenable le pressentiment que les mois à venir seraient ceux de l’affrontement décisif entre lui et ces « patriotes » enragés pour qui il n’est plus que Monsieur Veto.

On le dit prêt « à faire égorger les citoyens, leurs femmes et leurs enfants par tous les ministres d’outre-Rhin ».

Ils accusent Marie-Antoinette, Madame Veto, d’avoir créé un « cabinet autrichien » aux Tuileries, afin de transmettre des informations à son frère l’empereur Léopold II, et, après le décès de celui-ci, à François II son neveu.

On assure que la reine fait passer à Vienne le plus d’argent qu’il est possible. Et c’est, à en croire les journaux patriotes, un ouvrier ayant confectionné les cassettes, puis aménagé des cachettes dans les berlines, qui l’a révélé secrètement.

Louis a ainsi le sentiment que le piège autour de lui se referme.

On dit que quatre-vingt mille nobles ont quitté le royaume ces derniers mois ! Et l’on apprend que dans le faubourg Saint-Antoine, on fabrique jour et nuit des piques que l’on distribue en grande quantité aux citoyens, et qu’on dénombre déjà plus de 100 000 de « ces armes simples et faciles à manier ».

Que peut faire la garde du roi, dont la création était prévue par la Constitution ?

Le colonel de Brissac qui la commande ne réussit même pas à s’en faire obéir.

Il a voulu séparer par une cloison, dans la salle des gardes, ses hommes des grenadiers de la garde nationale. Ceux-ci l’ont saisi au collet, et quand Brissac a crié « Aux armes ! », faisant appel à ses soldats, ceux-ci ont déclaré qu’ils sont citoyens comme les gardes nationaux et qu’ils ne s’en sépareraient point ! Et la cloison a été abattue, le poste d’honneur attribué à la garde parisienne, qui monte à droite à la porte du roi, la garde royale montant à gauche.

Ce n’est qu’un petit incident en apparence, mais qui affecte Louis. Est-il encore le roi ?

Le procureur général syndic lui a annoncé qu’il était enregistré au nombre des contribuables, comme n’importe quel citoyen. Il paiera sur les quarante millions de la liste civile qui lui est attribuée par l’Assemblée quinze millions pour l’année 1792, et il doit autant pour l’année 1791 !

Et on écrit dans les journaux : « Le roi s’amuse tantôt à rire et à claquer les fesses dartreuses de sa sœur Élisabeth, et tantôt à jurer, à briser ses porcelaines quand on le met au rang des contribuables. »

Louis s’indigne.

Ce n’est pas la ponction d’argent qui l’affecte, mais l’humiliation, la négation de son rang et du caractère sacré de la monarchie !

Et l’angoisse qui le ronge vient de ce qu’il pressent que c’est au cours de cette année 1792 que la question devra être tranchée.

Il avait cru durant quelques semaines, à l’automne 1791, que le pays s’apaisait. Les journaux « exagérés », ceux de Desmoulins et de Marat, avaient même un temps cessé de paraître faute de lecteurs.

Les modérés semblaient l’emporter. Le club des Feuillants, avec les frères Alexandre et Charles Lameth, La Fayette et Duport, dominait l’Assemblée. Et Barnave conseillait la reine, lui écrivait et la rencontrait régulièrement et secrètement.

Mais dans les premiers jours du mois de janvier 1792, Barnave, comme s’il avouait son échec devant la violence qui à nouveau s’emparait du pays, avait quitté Paris, regagné le Dauphiné où, disait-on, il écrivait une histoire de la Révolution !

Le club des Feuillants s’affaiblissait. Et les Jacobins arboraient dans leur séance ce bonnet rouge que Louis, lorsqu’il quittait les Tuileries pour une promenade dans Paris, voyait de plus en plus souvent porté par des citoyens.

Bonnet rouge, pique, galoches, pantalon rayé, cocarde tricolore : c’était la tenue de ceux qui se nommaient avec arrogance et fierté « sans-culotte ».

Comment les combattre ?

Louis s’interroge avec inquiétude.

Ce choix qu’il a fait, et Marie-Antoinette l’y a incité, de pousser la France dans la guerre, contre les princes et l’empereur, et même le roi de Prusse, afin de voir leurs armées briser cette « faction sanguinaire et furieuse », cette « Jacobinière », cette « secte pernicieuse », est-il le bon ?

L’angoisse lui tord le ventre comme une faim douloureuse et insatiable. Il sait que, le voudrait-il, il ne peut plus reculer.

Louis se souvient de cette confidence apeurée de l’évêque Le Coz, constitutionnel et député il est vrai, mais homme modéré : « La guerre ! la guerre ! la guerre ! a dit Le Coz, voilà le cri qui de toutes les parties du royaume vient frapper mes oreilles. »

Et si cette guerre à venir au lieu d’être bénéfique à la monarchie se retournait contre elle ?

Louis essaie de se convaincre qu’il ne s’agit là que d’un cauchemar qui ne peut se réaliser, que des Jacobins comme Billaud-Varenne, Camille Desmoulins et même Danton et surtout Robespierre s’opposent à la guerre parce qu’ils sont persuadés qu’elle se conclura par la défaite, et donc par la victoire du roi.

Robespierre a cinglé Brissot, le partisan le plus déterminé d’un ultimatum à adresser à l’empereur et aux princes allemands.

« Votre opinion, lui a-t-il lancé, n’est fondée que sur des hypothèses vagues et étrangères ! Que nous importent vos longues et pompeuses dissertations sur la guerre américaine !… Comme les routes du patriotisme sont devenues faciles et riantes !… Pour moi j’ai trouvé que plus on avançait dans cette carrière plus on rencontrait d’obstacles et d’ennemis… Je décourage la nation, dites-vous, non je l’éclaire. »