Alors la guerre, vite.
Le 20 avril 1792, Louis XVI se présente à l’Assemblée nationale législative et annonce devant les députés enthousiastes que « la France déclare la guerre au roi de Hongrie et de Bohême ». Car François II n’a pas encore été couronné empereur et on veut essayer de laisser l’Allemagne et la Prusse en dehors du conflit.
Seuls sept députés – fidèles aux Lameth et aux Montagnards – refusent de voter le décret. « Le peuple veut la guerre », a lancé un député « girondin » et un autre s’est écrié : « Il faut déclarer la guerre aux rois et la paix aux peuples. »
Dans les tribunes de l’Assemblée, dans les rues voisines de la salle du Manège, la foule acclame les députés. Louis entend les cris de joie.
Cette déclaration de guerre est pourtant pleine d’arrière-pensées.
Les brissotins veulent, avec la guerre, briser la monarchie.
Et la guerre peut permettre de relancer la Révolution.
Et la guerre peut permettre au roi de retrouver tous ses pouvoirs.
L’enjeu est pour chaque camp immense.
Louis y pense sans cesse : c’est une question de vie ou de mort.
Il se doute que la reine informe les souverains étrangers de la situation française et même des mouvements des troupes. Louis l’accepte.
Trahison ? Ce mot n’a pas grand sens pour elle, pour lui.
Ils sont fidèles à la monarchie.
« Voici ce que la reine vient de me faire parvenir, en chiffre, écrit Mercy-Argenteau au chancelier d’Autriche Kaunitz. Monsieur Dumouriez a le projet de commencer le premier par une attaque en Savoie et une autre par le pays de Liège. C’est l’armée de Monsieur de La Fayette qui doit servir à cette dernière attaque. Voilà le résultat du Conseil d’hier. Il est bon de connaître ce projet pour se tenir sur ses gardes ; selon les apparences cela s’effectuera promptement. »
Louis cependant doute.
Il lui suffit de croiser les gardes nationaux dans les couloirs et les salons des Tuileries pour mesurer que l’enthousiasme patriotique et la volonté de se battre ont chassé le doute et la peur. Le peuple est résolu.
Dans les rues voisines du palais, la foule défile et chante.
Le 25 avril 1792 à Strasbourg, un jeune officier du génie, Rouget de L’Isle, né à Lons-le-Saunier, entonne, dans le salon du maire de la ville, Dietrich, un « Chant de guerre pour l’armée du Rhin » qu’il vient de composer.
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Louis ferme les yeux.
Il voudrait qu’en cessant de lire ces rapports, ces lettres qu’on lui adresse, ces journaux et ces copies de discours qu’on dépose sur sa table, la réalité de ce mois de mai 1792 s’efface. Qu’il ne reste que ce ciel d’un bleu soyeux, que ces pousses d’un vert léger, que cette brise matinale, si fraîche. Et que ce printemps radieux l’entraîne d’un pas allègre. Mais Louis ne quitte plus le palais des Tuileries.
L’Assemblée a décidé de licencier six mille hommes de la garde du roi, comme si on voulait le livrer à ces bandes de sans-culottes des faubourgs qui, presque chaque jour, depuis que roulent les dés de la guerre, viennent défiler, rue Saint-Honoré, place Louis-XV, et hurlent leur haine.
Ce n’est pas la peur qui étreint Louis et le fait se calfeutrer dans les appartements royaux, mais la souffrance qu’il éprouve à entendre ces cris, à voir son peuple brandir des piques, des scies, des coutelas, des poignards, des bâtons, à constater que le pire qu’il avait imaginé est survenu, plus vite qu’il ne l’avait cru.
Il a suffi de quelques jours, moins de dix après la déclaration de guerre, pour que l’armée du Nord, qui avait pénétré en Belgique, se défasse, que la panique et la déroute la transforment en une cohue indisciplinée, accusant les officiers aristocrates de trahison, massacrant le général Dillon à Lille. Et peu après, le régiment du Royal-Allemand passait à l’ennemi.
Mais qui est l’ennemi ?
Ces Autrichiens du roi de Bohême et de Hongrie, François II, empereur d’Autriche et neveu de Marie-Antoinette ? Ces Prussiens de Frédéric-Guillaume II qui se sont alliés à François II ?
Ou bien les vrais ennemis ne sont-ils pas ces Cordeliers, ces Jacobins, ces Montagnards, ces brissotins, et tous ces sans-culottes lecteurs de Marat et de Camille Desmoulins ?
Louis rouvre les yeux, lit ce rapport sur les premières défaites et il devrait s’en réjouir, comme le font Marie-Antoinette et son entourage.
Mais il ne le peut pas.
Cette violence qui se déchaîne est une tumeur qui rongera tout le royaume, et Louis le craint, Louis le pressent, et dévorera la famille royale et la monarchie. Louis a l’impression en apprenant ces événements qu’on lui arrache des lambeaux de chair, dans la gorge, dans la poitrine.
« Ce qu’il y a de plus fâcheux est que cette défaite a produit des crimes horribles dans Lille, lit-il. Les vaincus n’ont pu croire qu’ils l’avaient été par leur faute ; ils ont attribué leur défaite à la trahison. En conséquence ils ont tué le général Dillon et M. Berthois. Le corps de M. Dillon, tué d’un coup de pistolet dans la rue par un dragon, a été mis en pièces et brûlé. M. Berthois a été pendu à un réverbère parce qu’il n’avait pas fait tirer le canon, lui qui n’avait aucun commandement dans l’artillerie. Ils ont pendu encore cinq ou six Tyroliens comme espions ou faux déserteurs et l’on assure qu’ils étaient de vrais prisonniers de guerre. Le même jour, 30 avril, on a pendu aussi l’ancien curé de la Magdeleine de Lille ; nommé Savardin, ce malheureux prêtre dissident, grand chambardeur du nouveau clergé, s’était réfugié chez les Ursulines déguisé en femme et s’y croyait bien caché. Il a été reconnu par une femme même qui l’a livré à la multitude furieuse. En un moment il a été accroché à une lanterne avec ses habits de femme, en mantelet noir et jupon blanc. »
On accuse La Fayette de trahison : Robespierre et Marat affirment que « Blondinet » prépare un coup d’État. Marat est le plus violent dans ces réquisitoires. Et, dans L’Ami du peuple, il invite les soldats à se débarrasser de tous les chefs suspects, à leur réserver le sort du général Dillon.
C’est « le désordre des opinions », dit le rapport d’une « mouche » de police qui arpente les faubourgs, surprend les conversations, se mêle aux cortèges.
« On crie partout que le roi nous trahit, que les généraux nous trahissent, qu’il ne faut se fier à personne ; que le comité autrichien de Madame Veto a été démasqué en flagrant délit ; que Paris sera pris dans six semaines par l’armée des princes et des rois. »
Les Jacobins se déchirent Brissot, Vergniaud attaquent Robespierre qui a invoqué « le Dieu tout-puissant », pour l’appeler à protéger « ces lois éternelles que tu gravas dans nos cœurs ». Il a condamné la formation d’un camp de vingt mille hommes, des fédérés venus de tous les départements, qui sera créé sous les murs de Paris. C’est la grande idée des brissotins. Ils craignent de ne pas contrôler les gardes nationaux parisiens et les sans-culottes, les uns soupçonnés d’être trop « bourgeois », les autres influencés par Marat et Hébert.
Ces divisions entre « patriotes » font tourner les têtes. On s’accuse d’être « factieux », « conspirateur ».
Et dans le journal de Brissot, Le Patriote français, on a pu lire :
« Monsieur Robespierre a entièrement levé le masque, il est un digne émule des meneurs autrichiens du côté droit de l’Assemblée nationale. »
Louis est à la fois satisfait de ces divisions au sein du camp des « patriotes » et inquiet. Il craint que Girondins et Montagnards, dans leur volonté de se montrer plus déterminés les uns que les autres aux yeux du peuple, ne prennent la famille royale pour cible.