Et ces rivalités conduisent à la guerre civile.
Il y a ce décret que l’Assemblée a voté qui autorise la déportation des prêtres réfractaires, dès lors qu’elle est demandée par vingt citoyens actifs.
Louis ne peut l’accepter. Il utilisera son droit de veto. De même, il refuse que l’on rassemble à Paris vingt mille fédérés au moment même où l’on dissout la garde royale. Et il usera aussi de son droit de veto contre ce projet. Déjà, on manifeste contre ses décisions. Et puisqu’une pétition de huit mille noms se déclare hostile à ce projet de rassemblement des fédérés, on lui oppose une pétition de vingt mille sans-culottes, qui se disent heureux et fiers d’accueillir les citoyens fédérés venus des départements.
Louis ne veut pas céder.
Il a la certitude que dès lors que la guerre a commencé, l’affrontement violent à l’intérieur de la nation est inéluctable. Et c’est pourquoi il a hésité à choisir, comme les Girondins mais pour des raisons contraires, la politique du pire, c’est-à-dire la guerre.
Il sait que Marie-Antoinette est tout entière engagée dans cette voie. Mais elle refuse les propositions de La Fayette, qui prétend vouloir défendre les prérogatives royales, et veut être le champion du retour à l’ordre, d’abord dans l’armée puis dans le royaume. Marie-Antoinette hait La Fayette, et Louis se méfie des ambitions de ce « Gilles César ».
Et parmi tous ces patriotes bavards et retors, il lui semble que le plus lucide et l’un des plus dangereux pour la monarchie est ce Maximilien Robespierre qui, attaquant La Fayette aux Jacobins, déclare : « Le pire des despotismes c’est le gouvernement militaire et depuis longtemps nous marchons à grands pas vers ce gouvernement. »
Mais Louis ne s’illusionne pas.
Il est persuadé que, quel que soit celui des « patriotes » qui l’emportera, Robespierre ou Brissot, les Montagnards ou les Girondins, et même La Fayette ou les frères Lameth, les plus modérés, et pour le pire Marat, aucun de ceux-là ne voudra rendre au souverain les pouvoirs légitimes qui sont les siens, par la volonté de Dieu.
Ils persisteront les uns et les autres à enchaîner le pouvoir royal, afin de le soumettre à leurs désirs.
Et c’est ce que Louis ne peut, ne veut pas accepter.
Il est roi de droit divin.
Il approuve ce qu’écrit un journaliste royaliste, Du Rosoi, dans la Gazette de Paris, et en même temps il s’en inquiète, car que gagne-t-on à dévoiler sa pensée à ses ennemis ?
Du Rosoi n’hésite pas, en appelle aux souverains d’Europe : « Connaissez vos devoirs par les maux qui nous accablent, par les attentats qui nous épouvantent, écrit-il.
« Un peuple déjà rassasié de crimes est appelé à des crimes nouveaux : il ne sait ni ce qu’il veut, ni ce qu’on lui dit de vouloir. Mais ce peuple, ce n’est pas le PEUPLE FRANÇAIS, c’est ce qu’on appelle la NATION. Telle une excroissance spongieuse et visqueuse naît sur le corps humain : elle n’est point ce corps, et cependant elle en fait partie… Ne l’extirpez point, sa grosseur deviendra bientôt démesurée, sa masse parasite fera courber le corps qu’elle défigure et dessèche à la fois… »
C’est bien cela ! Et Louis répète la conclusion de l’une des lettres qu’il a reçues :
« Nous sommes sur un volcan prêt à jeter des flammes. »
Mais il ne cédera pas. Il n’est plus temps.
Il entend les cris que poussent, aux abords des Tuileries, les sans-culottes. Ils exigent que le roi renonce à ses deux veto sur les décrets de l’Assemblée nationale. La foule dénonce ceux qui le soutiennent et qui ne sont qu’une « horde d’esclaves, des traîtres, des parricides, des complices de Bouillé ».
Ils lancent : « Périssent les tyrans, un seul maître la loi. »
Et Roland de La Platière, le ministre de l’intérieur, cet homme en habit noir, aux cheveux plats très peu poudrés, ses souliers sans boucle, une sorte de « quaker endimanché », adresse à Louis une lettre arrogante, exigeant, au nom des autres ministres, que le roi accepte les deux arrêtés, renonce à son droit de veto.
La lettre a sans doute été écrite par Manon Roland, après avoir consulté Vergniaud et Brissot, et les habitués de son salon de la rue Guénégaud.
Ils imaginent sans doute tous que Louis va céder. Et au contraire, il s’arc-boute, démet Roland et les ministres girondins, et les remplace par des membres du club des Feuillants, modérés et inconnus.
Il sait que le « volcan va jeter des flammes », que l’épreuve de force est engagée.
Dès le 13 juin, l’Assemblée décrète que les ministres renvoyés « emportent la confiance de la nation ».
Dans les tribunes de l’Assemblée on crie : « À bas l’Autrichienne, À bas Monsieur Veto ! »
« Déchéance ! »
Et on entend même quelques « Vive la République ! » et « Aux armes ! ».
Louis n’est pas surpris par la violence des propos qu’on lui rapporte.
Les députés girondins ont eux aussi, comme les sans-culottes présents à l’Assemblée, réclamé la déchéance du roi. Ils décident même de créer une Commission des Douze, composée de députés Feuillants et Jacobins, et destinée à veiller aux dangers qui menacent la patrie.
Et on accuse la reine d’être l’alliée et la complice des souverains étrangers, de livrer les plans des armées françaises, aux émigrés, au marquis de Bouillé, au duc de Brunswick qui commande les troupes prussiennes.
Quant à Monsieur Veto, il fait cause commune avec les prêtres réfractaires, ces « chambardeurs » qui dressent les paysans contre les prêtres constitutionnels et qui incitent les citoyens à la rébellion. Et cela se produit chaque jour dans les départements de l’Ouest, en Provence.
Et l’indignation et la crainte sont à leur comble quand les députés lisent la lettre qu’adresse à l’Assemblée le général La Fayette. Il exige des mesures d’ordre, le respect de la Constitution et donc de la personne du roi.
L’armée des frontières va-t-elle marcher contre les patriotes de Paris ?
Il faut appeler le peuple à se dresser, afin de contraindre le roi à reconstituer un gouvernement patriote. Seul, au club des Jacobins, Maximilien Robespierre tente d’empêcher le déferlement de la violence.
Il dénonce « ces insurrections partielles qui ne font qu’énerver la chose publique ».
Mais les sans-culottes des faubourgs Saint-Antoine et Saint-Marcel se rassemblent déjà, armés de leurs piques et de leurs coutelas, de leurs poignards et de leurs fusils.
Santerre, le brasseur du faubourg Saint-Antoine qui a pris part à l’attaque de la Bastille et qui était au Champ-de-Mars le 17 juillet 1791, ordonne aux tambours de battre, aux sections de se mettre en marche.
Alexandre, ancien agent de change, lui aussi présent au Champ-de-Mars le 17 juillet 1791, commandant des canonniers de la garde nationale, rejoint le cortège avec sa vingtaine de canons.
Le cortège grossit. Les citoyens « passifs » se mêlent aux gardes nationaux. On crie « À bas Monsieur Veto ! » et « Vive la République ! ». On décide de se rendre en armes à l’Assemblée puis aux Tuileries afin d’y présenter des pétitions exigeant le retrait des veto royaux qui empêchent la déportation des prêtres réfractaires et l’arrivée des fédérés, venus des départements, au nombre de cinq par canton.
Louis ne répond pas à ceux qui, dans son entourage, l’invitent à invoquer la Constitution qui autorise le droit de veto.
Il sait que les Girondins, les sans-culottes, la plupart des Jacobins et sans doute les agents du duc d’Orléans se soucient peu de la légalité ! Ils veulent cette insurrection, afin de faire plier le roi.