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Un jeune homme est interpellé dans les Petits-Champs, on l’entoure, on le menace. Il est habillé comme un « monsieur ». On l’oblige à crier « Vive la Nation ! ». Il a un accent étranger.

Il se souviendra qu’il a vu, ce vendredi 10 août, « des groupes d’hommes hideux, que le château a été attaqué par la plus vile canaille ».

Il se nomme Napoléon Bonaparte.

Le « patriote Palloy », l’un des vainqueurs de la Bastille, entrepreneur devenu riche en organisant la démolition – fructueuse – de la citadelle, écrit de ce « peuple » en armes du 10 août :

« Ce sont les sans-culottes, c’est la crapule et la canaille de Paris, et je me fais gloire d’être de cette classe qui a vaincu les soi-disant “honnêtes gens”. »

Ils marchent vers le château. Ils s’emparent des postes qui protègent les bâtiments. Ils approchent des portes. Il faut se réfugier à l’Assemblée, répète Rœderer.

Louis hésite. Il veut passer en revue la garde nationale. Il descend seul au Carrousel. Et à chaque pas qu’il fait devant les compagnies alignées, il est pénétré par une profonde, insurmontable lassitude.

Il répète :

« J’aime la garde nationale. »

Il a l’impression qu’il n’a même plus assez de force pour avancer.

Un groupe de canonniers, les mêmes sans doute que ceux qui l’ont déjà insulté, se met à le suivre en criant :

« À bas le roi ! À bas le gros cochon ! »

Toujours l’insulte.

Il rentre.

Rœderer insiste pour qu’on se place sous la protection de l’Assemblée.

« Sire, le temps presse, dit-il. Votre Majesté n’a pas d’autre parti à prendre. »

Marie-Antoinette s’approche.

« Nous avons des forces, martèle-t-elle. Personne ne peut agir ? Quoi, nous sommes seuls ? »

« Oui, Madame, seuls, répond Rœderer, l’action est inutile, la résistance, impossible, tout dans Paris marche ! »

« Marchons », dit Louis.

On se dirige vers la salle du Manège.

Rœderer guide ce petit cortège, le roi et sa famille. Des feuilles mortes s’amoncellent dans les allées.

Le dauphin joue avec elles.

« Elles tombent de bonne heure cette année », murmure Louis.

On passe au milieu de la foule qui forme deux haies hostiles. Un citoyen lance, en se portant au premier rang :

« Sacredieu, je n’entends pas que ce bougre de roi aille souiller la salle de l’Assemblée ! »

Il faut parlementer. L’officier de la garde nationale qui protège le roi prend le citoyen par la main, le présente à Louis XVI :

« Sire, voilà un galant homme qui ne vous fera pas de mal. »

« Je n’en ai pas peur », répond Louis.

Le citoyen tend la main :

« Touchez là, vous aurez pris la main d’un brave homme, mais je n’entends pas que votre garce de femme aille avec vous à l’Assemblée, nous n’avons pas besoin de cette putain. »

Il est trop tard pour répondre, pour résister.

Louis titube sous l’injure, s’assied près de Vergniaud à la tribune de l’Assemblée.

Les mots du Girondin – « Fermeté de l’Assemblée, ses membres ont juré de mourir en soutenant les droits du peuple et les autorités constituées » – sont comme une rumeur lointaine.

C’est une station du calvaire.

Il dit : « Je suis venu ici pour éviter un grand crime. »

On l’installe avec sa famille dans la loge du logo-graphe, qui prend en note les discours. On y étouffe dans une chaleur moite. Et l’on entend, tout proches, des détonations d’abord isolées, puis des feux de salve, des cris.

Il est à peine passé dix heures et demie.

Les portes du château sont forcées.

Les insurgés se précipitent dans les Tuileries. Les gardes nationaux crient : « Vive la nation ! », rallient les sans-culottes et les fédérés. On interpelle les Suisses. Le patriote Westermann, ancien hussard alsacien, proche de Danton, leur lance en allemand :

« Rendez-vous à la nation. »

Quelques-uns hésitent, sautent par les fenêtres, d’autres répondent qu’ils ne veulent pas se déshonorer. Leurs officiers s’inquiètent. Les insurgés au bas de l’escalier s’impatientent, commencent à insulter ces « gilets rouges ». Des débardeurs armés de crocs en harponnent certains par leur fourniment, les tirent à eux.

Puis un coup de feu, et les salves de part et d’autre. Les Suisses qui s’élancent chassent les insurgés des cours, s’emparent des canons.

« J’ai vu les Suisses, dit un grenadier de la section du Théâtre-Français, François Marie Neveu, peintre, ami de David, tant qu’ils ont été maîtres de la Cour royale, faire jusqu’à six décharges à bout portant sur mes frères d’armes amoncelés derrière un tombereau, ils faisaient sauter la cervelle de mes concitoyens à bout portant. »

Il y a déjà une centaine de morts.

Les fédérés marseillais et brestois contre-attaquent, refoulent les Suisses, dont certains se regroupent près de l’Assemblée.

« Les portes sont forcées, crie un officier de la garde nationale. Il y a des citoyens qui sont près d’être égorgés. À quoi sert ce sang versé ? »

Louis écrit au colonel suisse :

« Le roi ordonne aux Suisses de poser à l’instant leurs armes et de se retirer dans leurs casernes. »

Tous ne peuvent être prévenus. Ils se battront jusqu’à épuisement de leurs munitions. Et ceux-là comme ceux qui cessent le feu sont égorgés.

Point de quartier.

De la fenêtre d’un immeuble du Carrousel, Napoléon Bonaparte a assisté à l’assaut. Puis il parcourt le champ de bataille, où les corps s’entassent. On les brûle par monceaux.

« On tue les blessés, raconte-t-il. On tue les deux chirurgiens suisses qui les pansaient. J’ai vu des femmes bien mises se porter aux dernières indécences sur les cadavres des Suisses. Elles mutilaient les soldats morts puis brandissaient ces sexes sanglants. Vile canaille ! »

Et « coglione » de Louis XVI.

« Si le Roi se fût montré à cheval, la victoire lui fût restée. »

Pillage des Tuileries, saccage. Vols, et on tue les voleurs à coups de sabre et de pique, dans les rues et places proches du château.

« Quelle atroce barbarie ! » s’indigne le libraire patriote Ruault. Il a vu passer au fil de l’épée soixante Suisses qui s’étaient rendus et qu’on avait conduits à l’Hôtel de Ville.

« Et depuis quand égorge-t-on de sang-froid, en Europe, des prisonniers de guerre ? » interroge-t-il.

« Je fus forcé de voir le massacre dans la petite cour intérieure de l’Hôtel de Ville aux pieds mêmes de l’effigie de Louis XVI.

« On les dépouillait nus, on les perçait puis on les tirait par les pieds, et on chargeait leurs corps morts dans des tombereaux… Mais, ô comble de l’horreur ! J’ai vu des cannibales qui chargeaient ces cadavres les mutiler dans leurs parties secrètes et leur donner en ricanant des petits soufflets sur les joues et sur les fesses.

« Il faut dire tout ce que l’on a vu et tout ce que l’on sait de cette abominable journée. »

SIXIÈME PARTIE

11 août 1792-30 septembre 1792

« Libre sous les poignards »

 

« Donnons dans la personne des Bourbons et de leurs complices un exemple éclatant qui fasse pâlir les autres rois : qu’ils aient toujours devant eux et présent à leur pensée le fer de la guillotine tombant sur la tête ignoble de Louis XVI, sur le chef altier et insolent de sa complice… »

Article dans Les Révolutions de Paris,

numéro du 4 au 11 août 1792