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« Mais, inconséquents et légers que nous sommes, nous passons notre colère sur des bronzes, des marbres inanimés. »

Ce n’est point les statues que l’on doit briser, mais des têtes que l’on doit trancher.

C’est l’avis de la Commune insurrectionnelle dont Danton est le maître. Il exige.

Les députés doivent prêter un nouveau serment. Il n’est plus question de fidélité au roi. La Constitution de 1791 est abolie. Des élections vont être organisées au suffrage universel aux fins d’élire une Convention nationale qui, comme aux États-Unis, qui servent de modèle, rédigera une nouvelle Constitution.

Et d’ici là, les municipalités pourront emprisonner les « suspects », effectuer des « visites domiciliaires ». On ne fait plus d’abord référence à la liberté.

C’est l’an I de l’égalité qui commence.

Et il faut prêter serment à la nation, à l’égalité sainte.

Les prêtres qui s’y refusent, les réfractaires pourront être aussitôt déportés en Guyane.

Il faut traquer et réduire à l’impuissance les aristocrates et leurs complices.

À Paris, la Commune fait arrêter six cents suspects qui rejoignent dans les prisons deux mille personnes qui déjà s’y entassent.

Les femmes et les enfants d’émigrés sont considérés comme des otages, et leurs biens placés sous séquestre.

Il faut se défendre.

On dit que les armées austro-prussiennes ont pris l’offensive, appuyées par vingt mille émigrés. Ce même 19 août, La Fayette et vingt-deux officiers de son état-major, après avoir tenté d’entraîner leurs troupes à marcher sur Paris, sont passés à l’ennemi.

En Vendée, en Bretagne, en Dauphiné, dans la région du Nord, dans le Centre, dans le Sud-Ouest, et malgré l’envoi par la Commune insurrectionnelle et le Comité exécutif de commissaires, on se dresse contre la révolution du 10 août.

On proclame son attachement au roi, on refuse de s’enrôler, pour partir aux frontières. Dans le Maine et la Normandie, Jean Cottereau, dit Jean Chouan, qui avec ses trois frères se livrait à la contrebande du sel, gagne la forêt. On se rassemble autour de lui, on se reconnaît en poussant le cri du chat-huant. On s’apprête à attaquer les gendarmes, à défendre les prêtres réfractaires.

Et les nouvelles de ces résistances accroissent la peur et la mobilisation dans ces quartiers de Paris – les faubourgs, le centre, le Théâtre-Français, les portes Saint-Denis et Saint-Martin – où fermente l’esprit sans-culotte, autour des sections des Quinze-Vingts, des Piques, du Théâtre-Français.

On s’arme.

Les fers des grilles des Tuileries sont transformés en « piques citoyennes ». On croit que huit cents hommes de la « ci-devant » garde royale sont prêts à fondre sur Paris, pour y massacrer les patriotes.

On crie à la trahison quand on apprend, le 23 août, que Longwy est tombé aux mains des Prussiens. On s’insurge contre ces députés, ces Girondins, ce ministre Roland, ces militaires qui envisagent de quitter Paris, qui s’affolent à l’idée que les Prussiens ne sont qu’à quelques jours de marche de la capitale, et qu’ils mettront à exécution les menaces annoncées dans le Manifeste de Brunswick.

Et puis dans Paris, il y a ceux – la plus grande partie de la population – qui continuent de vivre en subissant les événements sans y participer.

Ceux-là ne se sont mêlés ni au cortège du 10 août, ni aux combats des Tuileries, ni aux tueries.

« Le massacre ne s’étendit guère hors du Carrousel et ne franchit pas la Seine, écrit un témoin. Partout ailleurs je trouvai la population aussi tranquille que si rien ne s’était passé. Dans l’intérieur de la ville, le peuple montrait à peine quelque étonnement ; on dansait dans les guinguettes. Au Marais où je demeurais alors, on n’en était qu’à soupçonner le fait, comme à Saint-Germain. On disait qu’il y avait quelque chose à Paris, et l’on attendait impatiemment que le journal du soir dît ce que c’était. »

Mais d’autres sont stupéfaits.

« La journée du 10 août change toutes les idées, toutes les opinions des patriotes », écrit un membre du club des Jacobins, garde national, acteur des événements mais comme un citoyen anonyme qui n’intervient pas dans les débats, qui observe, à la fois emporté par le souffle révolutionnaire et inquiet.

« Nous voilà à recommencer, dit-il, c’est une nouvelle Révolution qui annule celle de 1789. Il paraît décidé que la royauté sera abolie, qu’on créera un régime républicain démocratique. Ce sera encore un enchaînement de maux et de malheurs dont nous sortirons quand il plaira à Dieu… Quel changement, Seigneur ! Qu’eût répondu Louis XIV, le 10 août 1715, peu de jours avant sa mort, si on lui avait dit : “Sire, dans soixante-dix-sept ans, la monarchie française sera détruite, le règne des Bourbons sera fini en France ; vous êtes l’antépénultième roi de cette antique dynastie.” »

Ce citoyen-là est incertain.

On arrête des « suspects ». On encercle le Palais-Bourbon, où sont prisonniers cent cinquante Suisses. Et des sans-culottes exigent qu’on les leur livre.

« La Commune du 10 août, écrit ce Jacobin, commence à faire trembler une partie des habitants de Paris… Les partisans de la Révolution se divisent en deux classes, ceux de 89 jusqu’au 10 août exclusivement, et ceux qui datent du 10 août, qui se disent des patriotes par excellence ; ces derniers font un bruit terrible dans les sections, aux Jacobins même où l’on commence à se regarder jusqu’au fond de l’âme. Cette société prend une autre face depuis le 10août… Elle dégénère en tripot démocratique. Quoique j’y signifie rien et que je veuille y rien signifier, je balance, je ne sais si je dois y rester ou m’en retirer. »

Mais il y a la menace étrangère, les Prussiens, les Autrichiens qui approchent, les émigrés qui marchent à leurs côtés.

La patrie est en danger. « Un Français doit vivre pour elle, pour elle un Français doit mourir », chante-t-on.

Et les tambours battent la générale. On s’enrôle. On entonne « Aux armes, citoyens, formez vos bataillons ». Les volontaires de 1792 rejoignent les volontaires de 1791

« Ô sublime élan ! » « On est dans une atmosphère lumineuse. »

Les, volontaires élisent les chefs de bataillon, les officiers. Marceau, Oudinot, Championnet, Lefebvre, Jourdan, Victor, Bemadotte, Ney, Murat, Soult, Pichegru, Hoche, Gouvion, Brune, Joubert sont élus.

Le général Dumouriez a remplacé le « traître » La Fayette.

Kellermann, ce vieil officier de cinquante-sept ans, maréchal de camp en 1788, est promu général en 1792.

Quand, le 27 août, il arrive à Metz, il est accueilli par les volontaires, au cri de « Ça ira ».

Ces soldats-là, brûlant d’une ferveur patriotique, n’ont besoin que d’être commandés par des chefs décidés à se battre. Et les officiers qu’ils viennent d’élire, et ceux qui, d’ancien régime, n’ont pas déserté, sont résolus à le faire.

Et tous les régiments chantent :

Aux armes, citoyens,

Formez vos bataillons