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Marchons, marchons

Qu’un sang impur

Abreuve nos sillons.

Mais, pour l’heure, les Austro-Prussiens de Brunswick après avoir pris Longwy marchent sur Verdun.

Et les émigrés se moquent de ces « faïences bleues »

— la couleur des uniformes des volontaires français -qu’ils briseront d’un coup de sabre !

Et au Conseil exécutif, le ministre de l’intérieur Roland répète que le gouvernement, l’Assemblée doivent quitter Paris pour Blois.

Danton se lève, brandit ses poings, lance de sa voix qui vibre comme un tambour :

« Avant que les Prussiens entrent dans Paris, je veux que vingt mille flambeaux fassent de Paris un monceau de cendres ! »

À la Commune, à l’Assemblée, il attaque les Girondins, ces ministres « rolandistes » qui sont saisis par la peur.

Il faut sauver la patrie.

« Quand un vaisseau fait naufrage, s’écrie Danton, l’équipage jette à la mer ce qui l’exposerait à périr, de même tout ce qui peut nuire à la nation doit être rejeté de son sein. »

Danton incite les commissaires, dans les départements, à user de leurs pleins pouvoirs.

À Paris, les visites domiciliaires, les perquisitions, les arrestations se multiplient. Trois mille suspects sont jetés en prison, et même si la plupart d’entre eux seront libérés, la peur se répand. Mais personne ne proteste.

On n’entend plus qu’une seule voix puisque la presse royaliste a été interdite. Et les journaux demandent aux citoyens de jurer comme les Jacobins de purger la terre du fléau de la royauté. Et ils incitent les Parisiens à participer aux travaux de défense entrepris de Clichy à Montmartre.

On creuse des tranchées, on chante :

Veto-femelle avait promis

De faire égorger tout Paris

Ses projets ont manqué

Grâce à nos canonniers

 

Dansons la carmagnole

Vive le son, vive le son

Dansons la carmagnole

Vive le son du canon !

 

Veto-le-mâle avait promis

D’être fidèle à son pays

Mais il y a manqué

Le fourbe est encagé.

Mais les Prussiens sont aux portes de Verdun, et l’inquiétude nourrit l’exaltation patriotique.

Le 27 août, un long cortège parti de la place de l’Hôtel-de-Ville traverse Paris, jusqu’aux Tuileries où sur le grand bassin on a construit une pyramide granitique.

Il faut célébrer, à la manière antique a proclamé la Commune, les funérailles des morts du 10 août. On lit sur les bannières :

Pleurez, épouses, mères et sœurs

La perte des victimes immolées par les traîtres

Nous jurons, nous, de les venger !

Se venger, se défendre, c’est l’obsession de Marat.

Il hante l’Hôtel de Ville, interpelle les délégués des quarante-huit sections de Paris qui constituent la Commune insurrectionnelle.

Il s’adresse à Barbaroux, l’avocat secrétaire de la Commune de Marseille, qui a accompagné les fédérés marseillais dont le rôle a été décisif dans la prise des Tuileries le 10 août. Ce sont eux qui ont contre-attaqué, après l’assaut victorieux des Suisses.

« Donnez-moi, lui dit Marat, deux cents Napolitains armés de poignards et portant à leur bras gauche un manchon en guise de bouclier : avec eux je parcourrai la France et je ferai la révolution. »

Il faudrait, ajoute-t-il, supprimer deux cent soixante mille hommes, mesure d’humanité qui permettrait de sauver la patrie et des millions de citoyens.

« L’Assemblée nationale peut encore sauver la France, continue-t-il ; il lui suffira de décréter que tous les aristocrates porteront un ruban bleu et qu’on les pendra dès qu’on en trouvera trois ensemble. »

Il parle d’une voix posée, les yeux fixes, comme ceux d’un prophète qui voit, qui sait, qui dit : « On peut aussi tendre des embuscades, et les égorger. Si sur cent hommes tués il y a dix patriotes, qu’importe ? C’est quatre-vingt-dix hommes pour dix et puis on ne peut pas se tromper : tombez sur ceux qui ont des voitures, des valets, des habits de soie, ou qui sortent des spectacles, vous êtes sûrs que ce sont des aristocrates. »

Ces propos terrorisent les Girondins. Car Marat dénonce aussi les députés : des hypocrites, des traîtres qui n’ont accepté la révolution du 10 août que par peur. Mais « ils sont des suppôts du despotisme et ces traîtres à la patrie machineront éternellement sa perte »…

Roland, ministre de l’intérieur, intervient à l’Assemblée, déclare la Commune insurrectionnelle illégale. Et les députés votent la dissolution de la Commune le 31 août. Mais la Commune refuse de plier. Elle est le pouvoir de fait. C’est elle qui est la voix du patriotisme qui enflamme les sans-culottes, car la patrie est en danger. Alors que Roland, et les ministres girondins – Clavière, Servan – veulent toujours fuir à Blois, Danton s’écrie :

« Une partie du peuple va se porter aux frontières, une autre va creuser des retranchements et la troisième avec des piques défendra l’intérieur des villes… »

Et c’est au son du canon et des tambours, que les jeunes gens s’enrôlent en chantant :

Mourir pour la patrie

Est le sort le plus beau

Le plus digne d’envie.

32

Ce 1er septembre 1792, et alors que les volontaires parisiens marchent vers les frontières, on dit à Paris que les Prussiens ont investi la ville de Verdun.

Si elle tombe entre leurs mains, la route de Paris sera ouverte, et le duc de Brunswick a répété que la ville sera soumise à « une exécution militaire » et qu’on égorgera tous les patriotes, que ce sera « la Saint-Barthélemy des sans-culottes ».

Ils se sont rassemblés aux carrefours.

Les femmes entourent les porteurs de sabres et de piques.

Un homme monté sur la borne brandit une brochure, qu’on distribue : « Grande trahison de Louis Capet. Complot découvert pour assassiner dans la nuit du 2 au 3 de ce mois tous les bons citoyens. »

On assure que dans les prisons, celle des Carmes, rue de Vaugirard, à l’Abbaye, près de Saint-Germain-des-Prés, au séminaire Saint-François, rue Saint-Victor, où l’on entasse des suspects, à la Conciergerie, à la Salpêtrière, à la Grande et à la Petite Force, rue Saint-Antoine, à Bicêtre, au sud de Paris, les prêtres réfractaires, les aristocrates, les Suisses et les assassins détenus sont armés, vont se répandre dans Paris, empêcher toute défense contre les Prussiens.

On écoute les crieurs de journaux patriotes, L’Ami du peuple, Les Révolutions de Paris, L’Orateur du peuple de Fréron. Ce dernier, plus sans-culotte même que le journal de Marat, comme si Stanislas Fréron, fils de l’ennemi de Voltaire, voulait faire oublier son ascendance et être le plus pur des patriotes, l’égal de Robespierre et de Camille Desmoulins, dont il fut le condisciple au collège Louis-le-Grand.

Et les crieurs répètent qu’il faut se porter en armes à l’Abbaye, en arracher les traîtres et les passer au fil de l’épée. Et quelle folie de vouloir faire leur procès ! Il est tout fait.

« Vous avez massacré les soldats suisses aux Tuileries, pourquoi épargnerions-nous leurs officiers, infiniment plus coupables ! Ils méritent d’être écartelés, comme Louis Capet et sa putain d’Autrichienne. » Et le même sort doit être réservé aux députés, ces « gangrenés de l’Assemblée ». Il ne faut faire confiance qu’à la Commune insurrectionnelle et au Comité de surveillance qu’elle a créé et dans lequel siège Marat !