Выбрать главу

Et demain s’ouvre le scrutin pour élire les députés à la Convention !

Élisons des Montagnards, chassons les Girondins ! Vive la nation !

On patrouille toute la nuit. On contrôle les passants. On arrête les « suspects ». On boit. On écoute ceux qui disent – et l’Anglais Moore rapporte leurs propos :

« C’est bien terrible que les aristocrates veuillent tuer tout le peuple en faisant sauter la ville. »

Un autre ajoute : « Il y a des chefs et des troupes royalistes cachés dans Paris et aux environs. Ils vont ouvrir les prisons, armer les prisonniers, délivrer le roi et sa famille, mettre à mort les patriotes de Paris, les femmes et les enfants de ceux qui sont à l’armée. »

On brandit les piques. Les femmes hurlent.

« N’est-il pas naturel à des hommes de pourvoir à la sûreté de leurs enfants et de leurs femmes et d’employer le seul moyen efficace pour arrêter le poignard des assassins ? »

Les tuer ?

L’aube se lève le 2 septembre, et dès les premières heures de la matinée on se rassemble.

Tout à coup le canon, puis le tocsin, puis les tambours. On ferme les barrières. On affiche, on lit une proclamation de la Commune :

« Citoyens, l’ennemi est aux portes de Paris ; Verdun qui l’arrête ne peut tenir que huit jours… Qu’une armée de soixante mille hommes se forme sans délai. »

Vers cinq heures, des gardes municipaux à cheval portant un drapeau parcourent les rues en criant : « Aux armes ! »

« L’ennemi approche, disent-ils. Vous êtes tous perdus. La ville sera livrée aux flammes et au pillage. Enrôlez-vous. N’ayez rien à craindre des traîtres et des conspirateurs que vous laissez derrière vous. Ils sont sous la main des patriotes et la justice nationale avant votre départ va les frapper de sa foudre. »

Les tuer ?

On dit que la Commune et son Comité de surveillance ont libéré la nuit les prisonniers coupables de petits larcins, vols ou tricherie, et qu’il ne reste plus dans les prisons que la lie du crime, et les ennemis des patriotes, les prêtres réfractaires, les traîtres !

Il faut que la justice passe.

Et qui peut compter sur ce Tribunal criminel extraordinaire créé par les « gangrenés » de l’Assemblée et qui n’a prononcé que trois condamnations depuis le 17 août ?

On répète les paroles de Danton, ministre de la Justice, âme de la Commune.

Il a, avec sa « voix de stentor, ses gestes d’athlète, ses menaces », montré sa résolution :

« Le tocsin qu’on sonne n’est point un signal d’alarme, c’est la charge sur les ennemis de la patrie… Pour les vaincre, que faut-il ? De l’audace, et encore de l’audace et toujours de l’audace. »

« J’ai fait venir ma mère qui a soixante et dix ans, j’ai fait venir mes deux enfants. Ils sont arrivés hier soir. Avant que les Prussiens entrent dans Paris je veux que ma famille périsse avec moi… »

Danton lève ses deux poings à hauteur de son visage.

« C’est dans Paris qu’il faut se maintenir, par tous les moyens. Les républicains sont une minorité infime et pour combattre nous ne pouvons compter que sur eux. Le reste de la France est attaché à la royauté, il faut faire peur aux royalistes. »

On l’acclame, on lève les piques.

« Oui, nous sommes de la canaille, nous sortons du ruisseau. »

Mais la Bastille est tombée, elle est rasée.

Mais les Tuileries ont été emportées et Capet et sa famille sont prisonniers au Temple.

« On veut nous replonger dans le ruisseau ! »

Danton secoue ses poings.

« Nous ne pouvons gouverner qu’en faisant peur… Les Parisiens sont des jean-foutre ; il faut mettre une rivière de sang entre eux et les émigrés. »

On commence à se rassembler devant les prisons, aux Carmes, à l’Abbaye. On invoque l’autorité de la Commune, on cite Marat, on dit qu’on veut juger séance tenante les prisonniers. Les sans-culottes, sabres et piques brandis, forcent les portes. On bouscule les gardiens.

On tire les prisonniers hors de la prison, on les tue, à coups de pique et de sabre.

Danton qui siège au Conseil exécutif est averti de ces premiers assassinats.

« Je me fous bien des prisonniers, hurle-t-il, qu’ils deviennent ce qu’ils pourront. »

Le soir du 2 septembre, devant les Jacobins, alors que le massacre a commencé Maximilien Robespierre lance :

« Personne n’ose donc nommer les traîtres, eh bien moi, pour le salut du peuple, je les nomme. Je dénonce le liberticide Brissot, la faction de la Gironde… Je les dénonce pour avoir vendu la France à Brunswick et pour avoir reçu d’avance le prix de leur trahison. »

Et plus tard, lorsqu’il prend la parole devant la Commune, il évoque :

« Un parti puissant qui veut porter au trône des Français le duc de Brunswick. »

Et chacun sait qu’en ces heures de chasse aux traîtres, il vise les Girondins.

Pour qu’on les tue ?

Il n’oublie pas que vont s’ouvrir les assemblées électorales, et ces accusations, dans le climat de peur qui s’installe heure après heure dans Paris, rendront impossible l’élection d’un Girondin, d’un modéré, à Paris, surtout si les sans-culottes présents lors du vote exigent des électeurs qu’ils annoncent leur choix.

Le 3 septembre, on apprend que Verdun est tombé, que plus rien, aucune place forte ne défend Paris. Que le commandant de la garnison de Verdun, Beaurepaire, qui refusait de capituler, aurait été mis en minorité par la municipalité hostile à toute résistance. Certains affirment que Beaurepaire s’est suicidé comme un héros antique, puis on assure qu’il a été assassiné, par des traîtres.

Mort aux traîtres !

« Il faut purger quatre années de trahison », murmure Manon Roland, en apprenant les massacres, et son mari le ministre de l’intérieur dit qu’il faut « laisser un voile sur ces événements. Je sais que le peuple terrible dans sa vengeance y porte encore une sorte de justice. »

En effet, dans le vestibule des prisons, Maillard, un ancien soldat qui fut de toutes les journées révolutionnaires, depuis le 14 juillet 1789 jusqu’au 10 août 1792, s’est installé derrière une table, et procède, en quelques minutes, à l’interrogatoire des prisonniers. Le verdict tombe, « Vive la nation ! », et le prisonnier sortant un chapeau sur la tête est épargné par les massacreurs qui ont du sang sur les avant-bras et jusqu’aux épaules.

Si Maillard lance le nom d’une prison, alors le prisonnier est poussé dehors tête nue, voué à la mort.

On tue à coups de pique et à coups de sabre, et peu à peu, les « bourreaux » prennent le temps de faire souffrir, jouissant de voir ces hommes et ces femmes qui se traînent, ensanglantés, frappés d’abord du plat du sabre avant d’être percés.

Et parfois on enfonce son poing dans la poitrine du cadavre et on en retire le cœur qu’on porte à ses lèvres, dans un simulacre de dévoration cannibale.

Et les prostituées sont violées avant d’être tuées.

« Le peuple s’est levé, la fureur martiale qui a saisi tous les Parisiens est un prodige, écrit à son mari, député de la Drôme, Madame Julien. Je jette un voile sur les crimes qu’on a forcé le peuple à commettre par tous ceux dont il est depuis deux ans la triste victime… Quand on veut la fin il faut vouloir les moyens. Point d’humanité barbare ! »

Mais ce « peuple » qui tue, dont on dit qu’il rend la justice, n’est composé que de quelques centaines d’hommes – peut-être moins de deux cents – qui vont de prison en prison, des Carmes à l’Abbaye, de Bicêtre à la Grande Force.

Ils sont déterminés, et le vin comme le sang versé les rend ivres.