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On se lève. Les « tape-dur » sont présents, armés de lourds bâtons décorés de la cocarde tricolore.

On lit une motion :

« Nous sommes las du régime des rois, des nobles et des prêtres : nous ne voulons plus de ces honnêtes gens-là. Brunswick et ses pareils nous traiteront s’ils veulent de factieux, de républicains, de sans-culottes, peu nous importent les mots, pourvu que le crime cesse de présider à nos affaires. Qu’ils ne comptent pas effrayer les habitants des campagnes ; qu’ils n’attendent de nous aucune espèce de composition. »

Et tous les présents prêtent serment « de ne jamais reconnaître pour roi Louis XVI ni aucun de sa famille ».

On exige du député élu qu’il réclame dès les premières séances de la Convention « la déchéance de Louis le traître et de sa race ».

Et dans plusieurs assemblées on réclame « un gouvernement républicain ».

De nombreux Girondins sont élus, mais, dispersés, ils ne peuvent s’appuyer sur aucune région, alors que les Montagnards dominent dans l’Est.

Et surtout à Paris, où dans l’assemblée électorale du département – neuf cent quatre-vingt-dix membres ! -la liste de Marat l’emporte, Robespierre ayant été désigné le premier, Danton le deuxième.

Mais Danton, parce qu’il est partisan d’une politique de conciliation entre brissotins et robespierristes, entre Girondins et Montagnards, est l’un des vaincus du scrutin, même s’il obtient plus de voix que Marat, le chantre des massacreurs. Cependant Danton a réussi à faire élire Fabre d’Églantine, Camille Desmoulins, et Robespierre a patronné avec succès la candidature de son frère Augustin.

Et des citoyens s’étonnent qu’un Fabre d’Églantine, auteur de pièces de théâtre, que le peintre David, ou le frère de Maximilien Robespierre aient été élus.

« Des succès au théâtre, lit-on dans Les Révolutions de Paris, ne sont point des titres à la Convention et le peintre David avouera lui-même que trois années d’études à Rome ne suffisent point pour former une tête législative… Le frère d’un grand homme peut très bien être un homme fort ordinaire. Le mérite ne vient pas de naissance comme feue la noblesse ! »

On s’inquiète aussi des risques de despotisme.

« Robespierre, Danton et Marat, prenez-y garde ! Déjà la calomnie vous désigne pour les triumvirs de la liberté, mais la liberté désavouerait une association contraire à ses principes et qui tendrait au despotisme si ce n’est à la guerre civile ou à l’anarchie. »

La rumeur se répand que « Marat cet homme presque toujours hors mesure » a déjà choisi Danton pour dictateur ! On désigne Robespierre et Brissot comme « chefs des partis qui ont hélas succombé aux factions détruites ».

« La liberté répugne à confier sa cause à tel ou tel autre parti ! »

« Ne vous isolez pas et allons ensemble au même but… la guerre qu’il nous faut repousser au-dehors demande du calme et la paix au-dedans. Vos agitations intestines nous livreraient à l’ennemi plus vite encore que des trahisons. »

« La présence audacieuse de l’ennemi doit suffire pour tendre le ressort du patriotisme. »

Dans l’Argonne, sur le plateau de Valmy, le 20 septembre 1792, les patriotes, volontaires ou soldats des régiments de ligne, ne rompent pas l’alignement, alors que les batteries prussiennes de von Massenbach, installées sur le plateau de Lune, les bombardent depuis que le brouillard s’est levé. Et de Valmy, les artilleurs de Kellermann leur répondent, visant juste. Kellermann est resté en selle, au milieu de cette pluie de fer.

« Ma capote a été déchirée par le bas, mon cheval a été percé de deux coups de canon au travers de la cuisse », dit Kellermann.

« Nous avons tremblé plusieurs fois pour la vie de notre général », écrit-on au Journal des 83 départements, afin que les autorités municipales et départementales informent leurs populations.

« Le général Kellermann a eu son cheval tué sous lui, et pendant huit minutes qu’il est resté à pied, quinze à dix-huit boulets sont tombés à ses côtés. »

Kellermann est remonté à cheval.

« J’ai vu les troupes, dit-il, perdre des rangs entiers par l’explosion de trois caissons par un obus, sans sourciller ni déranger leur alignement. »

Il peut compter sur ces hommes.

Il lance l’ordre de les former en colonne, afin de se précipiter à la rencontre de l’ennemi, de lui montrer la résolution française.

Il met son chapeau, surmonté du panache tricolore, au bout de son épée. Il se dresse sur ses étriers. Il crie : « Vive la nation ! »

L’armée entière lève ses fusils, répond :

« Vive la nation ! Vive la France ! Vive notre général ! »

Les trente-six mille Français commencent à chanter : « Ah ! ça ira ! ça ira ! ça ira ! », puis « Aux armes, citoyens ».

Les trente-quatre mille Prussiens restent immobiles, alors que s’ébranlent les bataillons français.

On dénombre déjà trois cents morts du côté français, et cent quatre-vingt-quatre chez les Prussiens. Les blessés sont très nombreux dans chaque camp. Les boulets continuent de tomber, mais ils ne ricochent pas sur le sol détrempé. La boue et l’ordure aspergent les hommes et les chevaux.

Et puis l’averse, furieuse, balayant de ses rafales les armées.

« Hier schlagen wir nicht. »

« Ici nous ne les battrons pas », dit Brunswick, et il donne l’ordre de la retraite.

Dans les heures qui suivent, un volontaire écrit du camp de Sainte-Menehould à sa « promise » :

« Tâche de déchiffrer ma lettre comme tu pourras. Je t’écris par terre et avec un fétu de paille. Nous couchons sur terre comme des rats, il n’y fait ni chaud ni bon, malgré cela, ça ira, ça ira, ça ira… »

À quelques lieues de là, sous une tente prussienne, Gœthe fait face à des officiers qui l’interrogent sur le sens de cette canonnade, où il n’y a pas eu de heurts entre les deux armées, mais un duel d’artillerie, et l’« armée d’avocats » ajustait bien ses coups.

« Nous avons perdu plus d’une bataille, dit l’un des officiers, nous avons perdu notre renommée. »

Il y a un long silence.

Puis Gœthe dit :

« D’ici et de ce jour, commence une ère nouvelle dans l’histoire du monde. »

Ce jeudi 20 septembre 1792, vers cinq heures et demie du soir, alors qu’à Valmy, les canons cessent de tirer, les trois cent soixante et onze députés de la Convention présents à Paris, sur les sept cent quarante-neuf élus, se réunissent pour la première fois aux Tuileries.

Ils vérifient leurs pouvoirs.

Ils nomment leur bureau, choisissent Pétion, maire de Paris, élu député à Chartres, comme président.

La séance qui n’a pas été publique est levée à une heure du matin.

Quelques sans-culottes, armés de leurs piques, les attendent rue Saint-Honoré. Ils crient : « Vive la nation ! », « À bas le gros cochon ! »

Et d’une voix forte, dominant toutes les autres, quelqu’un lance :

« Il reste une prison à vider. »

SEPTIÈME PARTIE

Octobre 1792-22 janvier 1793

« Cet homme doit régner ou mourir »

 

« On s’étonnera un jour qu’au XVIIIe siècle on ait été moins avancé que du temps de César : là le tyran fut immolé en plein Sénat, sans autres formalités que vingt-trois coups de poignard, et sans autre loi que la liberté de Rome. Et aujourd’hui on fait avec respect le procès d’un homme assassin d’un Peuple, pris en flagrant délit, la main dans le sang, la main dans le crime !…