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On ne peut régner innocemment : la folie en est trop évidente. Tout roi est un rebelle et un usurpateur. »

Saint-Just

Discours sur le jugement de Louis XVI

prononcé à la Convention nationale

le 13 novembre 1792

34

Cette prison qui « reste à vider », c’est le donjon du Temple.

À plusieurs reprises durant ce mois de septembre, des groupes de sans-culottes sont venus hurler leur haine du « gros cochon », de la « putain ».

Ils ont tenté de forcer les portes percées dans le nouveau mur d’enceinte que la Commune a fait construire autour du donjon.

Souvent aussi des geôliers, qui surveillent chaque geste de Louis, de sa sœur Élisabeth, de Marie-Antoinette et de ses deux enfants, Madame Royale âgée de quatorze ans, et le dauphin Louis qui a à peine sept ans, ont couvert le roi d’injures, l’ont menacé. Ils lui ont rappelé le sort de l’amie de la reine, la princesse de Lamballe, dont les assassins ont promené la tête tranchée autour du donjon, et abandonné le corps mutilé au pied des murs.

« Le roi de Prusse marche sur Châlons, a-t-on crié à Louis. Vous répondrez à tout le mal qui peut en résulter. Nous savons que nous, nos femmes, nos enfants périrons, mais le peuple sera vengé, vous mourrez avant nous. »

Le roi fait face, interrompt le sans-culotte.

« J’ai tout fait pour le peuple, je n’ai rien à me reprocher. »

Il parle d’une voix calme et forte. Il dit à Cléry, le valet de chambre qui, dévoué, a voulu rester au Temple et continue de servir la famille royale :

« J’exige de votre zèle de ne rien me cacher. Vous ne pouvez me donner une plus grande preuve d’attachement. Je m’attends à tout. »

Des travaux ont été entrepris dans la grande tour du Temple, sans doute va-t-on y installer les prisonniers, isoler Louis de sa famille.

« Tâchez de savoir le jour de cette pénible séparation, dit-il à Cléry, et de m’en instruire. »

Sa seule consolation pourtant, dans cette prison, consiste à voir les siens, à enseigner à ses enfants, à jouer au tric-trac avec Marie-Antoinette.

Elle l’émeut.

Il imagine ses souffrances. Elle a trente-sept ans, un an de moins que lui, mais l’angoisse, la détention, l’ont marquée. Ses cheveux ont blanchi, ses traits se sont affaissés. Elle ressemble à une vieille femme, et souvent elle pleure, ou défaille, serrant ses enfants contre elle, ou bien priant avec sa belle-sœur, qui paraît bien plus âgée que ses vingt-huit ans.

Louis sent la mort qui rôde au-dessus d’eux, et d’abord de lui-même et du dauphin, souffreteux et apeuré.

Et un garde municipal a lancé, un jour, que cet enfant était le seul à lui faire pitié mais « qu’étant né d’un tyran, le fils Capet devait mourir ».

Louis sait que la seule manière de contenir l’angoisse et de lutter contre la peur, c’est de s’arrimer à ses habitudes.

Il se lève à sept heures. Il prie Dieu jusqu’à huit, s’habille en même temps que le dauphin, monte déjeuner chez Marie-Antoinette en famille. Puis leçons pour les enfants jusqu’à onze heures. Promenade si les gardiens l’autorisent, « dîner », jeu de tric-trac et de piquet. Louis après se retire, pour dormir, attendre six heures, où il reprend son enseignement, jusqu’à l’heure du souper à neuf heures du soir.

Louis se couche vers onze heures.

Il se refuse à commenter les événements, parce qu’il veut conserver son impassibilité, ne pas s’épancher et ne pas montrer ses faiblesses, tenter ainsi de rassurer Marie-Antoinette, digne, mais succombant à des accès de désespoir.

Quand, le 21 septembre, Louis entend des sonneries de trompette, des roulements de tambour, des cris de « Vive la nation ! », il ne lève même pas la tête.

Tout à coup, le silence, et une voix qui déclame :

« La Convention nationale réunie vient de décréter que la royauté est abolie en France. »

Ce 21 septembre 1792 est un vendredi, jour maigre, mais au nom de l’égalité, on refuse à la famille royale de lui servir du poisson ou des légumes.

Vers midi, douze commissaires envoyés par les députés de la Convention réunis aux Tuileries sont venus informer l’Assemblée législative, qui tient séance salle du Manège, qu’il s’agit là de la dernière et que les conventionnels vont s’installer, à la place des légistes, dans cette même salle.

Et sous les acclamations, avec des roulements de tambour, les députés à la Convention s’installent.

Et déjà Marat, qui a été élu à Paris, par quatre cent vingt voix sur sept cent cinquante-huit votants, proteste.

Les tribunes de la salle du Manège réservées au « peuple » ne comptent que trois cents places ! Il faut, déclare Marat, absolument assurer la place à quatre mille spectateurs.

« La Convention nationale doit être sans cesse sous les yeux du peuple, afin qu’il puisse la lapider si elle oublie ses devoirs », ajoute Marat.

Les députés s’écartent de lui.

Le maire de Paris Pétion, qui a été désigné comme président de la Convention, et les membres de son bureau qui sont tous girondins, s’insurgent, condamnent Marat.

Des placards signés de « l’Ami du peuple » sont affichés aux carrefours, réclament un « gouvernement de main forte », un triumvirat, dont Marat ferait partie en compagnie de Danton et de Robespierre. Et certains de ces appels vont jusqu’à proposer la dictature à Danton.

Les Girondins du bureau de la Convention s’indignent, dénoncent Marat, ses « placards désorganisateurs qui ne cessent point depuis plusieurs jours d’appeler une forme de gouvernement qui inspire de justes alarmes ».

Les Girondins affirment même qu’il existe un « dangereux complot tramé par la députation de Paris ».

Ainsi la Convention s’est-elle à peine réunie qu’on s’y déchire, qu’on s’y suspecte, qu’on s’y accuse.

Les Girondins – peut-être soixante-cinq députés, dont Brissot, Vergniaud, Condorcet, Barbaroux – sont décidés à en finir avec cette Commune de Paris, son Comité de surveillance. Dans les salons de Manon Roland ou de Madame Condorcet, on répète que Paris est une « ville nourrie de sang et de mensonges ».

Marat, y dit-on, n’est qu’un « fou atrabilaire », un « criminel », l’un des responsables majeurs des massacres de début septembre. Et qui a même signé des ordres de visite domiciliaire d’une centaine de Girondins, parmi lesquels Brissot.

Mais le grand adversaire de la Gironde, c’est la Montagne.

Ces Montagnards – Danton, Robespierre, Fabre d’Églantine, Camille Desmoulins, Collot d’Herbois, Billaud-Varenne, David, Camot, Saint-Just qui, élu de l’Aisne, est à vingt-cinq ans le plus jeune des députés de la Convention, et même ce Philippe Égalité ci-devant duc d’Orléans ! –, tous ceux-là pour les Girondins ne rêvent que de dictature, au nom du salut public.

Et en outre, s’ils ne soutiennent pas Marat, ils le protègent.

Entre Girondins et Montagnards, il y a ces centaines de députés – peut-être six cents sur sept cent quarante-neuf, dont Sieyès, Cambacérès, Boissy d’Anglas – qui composent ce qu’avec mépris, les Montagnards ou même les Girondins appellent la Plaine, le Marais, qui se tassent, se terrent, « restent immobiles » au moment des grands affrontements, mais qui composent la majorité de la Convention, et peuvent faire et défaire les pouvoirs de ceux qui, Girondins ou Montagnards, veulent gouverner la Convention et le pays.

Les députés à la Convention en ce premier jour s’observent, se regroupent, là autour de Brissot, ici autour de Danton. Et il y a tous ceux qui errent, qui arrivent de leurs départements, qui suspectent la députation de Paris de vouloir imposer tous ses projets.