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Voici Danton qui monte à la tribune.

Il annonce qu’il veut « résigner les fonctions qui m’avaient été déléguées par l’Assemblée législative. Je les ai reçues au bruit du canon dont les citoyens de la capitale foudroyèrent le despotisme. Maintenant que la jonction des années est faite, que la jonction des représentants est opérée, je ne suis plus que le mandataire du peuple ».

C’est le brouhaha.

Danton tente ainsi de se dégager de ces projets de dictature, de triumvirat qu’on lui prête, et que semblent confirmer les « placards » de Marat.

Danton lève la main, réclame le silence.

Il faut des lois répressives, dit-il, pour que le « peuple » ne châtie pas lui-même.

Il faut que toutes les propriétés soient « éternellement maintenues ».

Il faut une nouvelle Constitution, ratifiée par le peuple dans ses assemblées électorales.

Et cette Constitution doit décréter que « les personnes et les propriétés sont sous la sauvegarde du peuple français ».

On applaudit.

Le Marais approuve : on veut dans les départements que les propriétés soient protégées !

Et à l’unanimité, sur proposition de Collot d’Herbois et de l’abbé Grégoire, on décide que « la royauté est abolie en France ».

Et le lendemain, le samedi 22 septembre 1792, Billaud-Varenne fait voter la proposition selon laquelle tous les actes publics seront, à partir de ce même jour, datés de « l’An I de la République ».

Robespierre murmure que la République s’est « glissée furtivement, de biais, dans nos résolutions ».

Et le libraire Ruault, qui date sa lettre de « l’an Ier de la République », exalte ce régime nouveau et écrit :

« Le vote a été l’affaire d’un quart d’heure, elle a passé d’emblée sans discussion ni amendements. De sorte que la chose du monde la plus importante a été la plus facile à faire. Si tous les membres au nombre de sept cent cinquante eussent été réunis, il y aurait eu probablement quelque contradiction. Il semble qu’on ait voulu faire un coup fourré. On y a réussi jusqu’à présent.

« J’aime assez le système républicain, poursuit-il, il bannit la haute morgue de la société, il rend les hommes plus égaux, plus fiers, le mérite y obtient la récompense qui lui est due… »

Mais on entend peu dans les heures qui suivent crier « Vive la République ! ».

Et Gouverneur Morris écrit :

« Rien de nouveau aujourd’hui, sinon que la Convention s’est réunie et a déclaré qu’il n’y aurait plus de roi. »

En fait Louis XVI n’est plus, depuis le 10 août

1792, que Louis Capet, ci-devant roi de France, ou des Français.

La victoire de Valmy, connue à Paris à la veille de l’institution discrète de la République, a donné un élan originel au nouveau régime.

« Ce jour de Valmy a été décisif pour le salut de la patrie, écrit le Journal des hommes libres. Il a procuré le double avantage de ralentir l’ardeur des Prussiens et d’augmenter celle de nos braves défenseurs. Et c’est aussi ce jour même que sous de si heureux auspices, se sont réunis les citoyens élus par le peuple pour le représenter et lui proposer un pacte social et une forme de gouvernement. »

Mais déjà, après seulement quatre jours, les déchirures s’élargissent, les oppositions – les haines –, les suspicions s’expriment.

Le mardi 25 septembre, Marat dénonce un complot fomenté contre lui, contre la députation de Paris.

Il accuse les Girondins :

« Le 25 de ce mois, dit-il, est le jour fixé pour décrier la députation de Paris, écraser Robespierre, Panis – un avocat jacobin, proche de Danton –, Danton, et faire égorger Marat par le glaive de la tyrannie… »

Il dénonce « la clique brissotine », qui veut le faire « égorger par des brigands apostés »… ces deux huissiers chargés de l’arrêter si on vote contre lui un acte d’accusation. Lui-même a fait asseoir dans les travées, à la place de députés, des citoyens chargés de l’applaudir.

Et le président de séance a dû les inviter à quitter « l’enceinte de la salle ».

La tension est vive.

Un député, Lasource, déclare qu’il y a un parti qui veut « despotiser la France » après avoir « despotisé la Convention nationale ».

On proteste, on s’exclame.

Lasource poursuit : « Il faut, dit-il, réduire Paris à un quatre-vingt-troisième d’influence », qu’il ne pèse pas plus qu’un quelconque des quatre-vingt-trois départements !

Danton s’insurge.

« Je n’appartiens pas à Paris, aucun de nous n’appartient à tel ou tel département. Il appartient à la

France entière… Je déclare la peine de mort contre quiconque voudrait détruire l’unité en France. »

On vote. On proclame que la « République est une et indivisible ».

Mais les haines et les soupçons demeurent.

Danton répète qu’il n’est en rien « l’instigateur des placards et des écrits de Marat ».

Cet homme-là, martèle-t-il, est « un être nuisible à la société ».

Les premiers cris « Marat à la guillotine ! » se font entendre.

Robespierre monte à son tour à la tribune.

Lui aussi prend ses distances avec Marat.

Il n’a à aucun moment l’intention de faire partie d’un « triumvirat ».

« Loin d’être ambitieux, j’ai toujours combattu les ambitieux », assure-t-il.

On l’interrompt. On murmure. On lui lance : « Abrégez ! »

Sa voix devient plus aiguë :

« Je sens qu’il est fâcheux pour moi d’être toujours interrompu… Je n’abdiquerai point. »

Il n’est pas applaudi quand il descend de la tribune.

On attend Marat.

Le voici, bousculé, entouré de députés qui crient : « À la guillotine ! À la guillotine ! »

Il empoigne la tribune. Il disculpe Danton et Robespierre « qui ont constamment repoussé la dictature ».

Il est seul coupable d’avoir voulu, pour déjouer les complots d’une Cour corrompue, « placer la hache vengeresse du peuple entre les mains d’un dictateur… Et si c’est un crime j’appelle sur ma tête la vengeance nationale ».

Il sort de sa ceinture un pistolet et l’appuie sur son front :

« Je suis prêt à me brûler la cervelle sous vos yeux. »

L’Assemblée est comme paralysée. Elle ne votera pas la mise en accusation de Marat, se contentera de ses explications et « passera à l’ordre du jour ».

Mais on n’oubliera rien de ce premier débat de la Convention.

Rancœurs, rancunes, humiliations, haines : ces députés qui, unanimes, ont « aboli la royauté pour la France » et proclamé « la République une et indivisible », s’infligent des blessures d’amour-propre qui enveniment, exacerbent les oppositions politiques.

Maximilien Robespierre, vexé par l’accueil presque méprisant de la Convention, s’est réfugié dans la maison des Duplay.

Il est, comme chaque fois qu’il est soumis à une tension trop forte, malade, la tête percée de migraines. Madame Duplay et ses filles Élisabeth et Éléonore, mais aussi Charlotte, la sœur cadette de Maximilien qui s’est installée chez les Duplay, « l’entourent de mille soins délicats. Il est excessivement sensible à toutes ces sortes de choses dont les femmes seules sont capables ».

Et Charlotte, qui le note, s’en irrite. « Je résolus de tirer mon frère de ces mains et pour y parvenir je cherchai à lui faire comprendre que, dans sa position et occupant un rang aussi élevé dans la politique, il devait avoir un chez-lui. »

Augustin Robespierre qui, à vingt-quatre ans, vient d’être élu à la Convention grâce à l’influence et à la notoriété de Maximilien, s’est lui aussi installé chez les Duplay, dans un appartement non meublé sur la rue du Faubourg-Saint-Honoré.

Maximilien, ainsi, a perdu le havre de tranquillité que lui offraient les Duplay.