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Pour ces volontaires, en octobre 1792, « le jour de gloire est arrivé ».

C’est comme si la proclamation de la République, après Valmy, avait donné le branle.

Le général Anselme traverse le Var, entre à Nice, et sa sœur, amazone vêtue de bleu-blanc-rouge, caracole à ses côtés, et les quinze cents soldats sont acclamés par les Niçois, qui se rêvent Jacobins.

Un Provençal, Barras, ci-devant comte, ancien officier de l’armée royale, qui fait partie de l’état-major d’Anselme, crée une administration dans le nouveau département des Alpes-Maritimes, des municipalités, à Nice, notamment, qui était dit-il « l’un des quartiers généraux de la contre-révolution ».

Mais il quitte bientôt l’armée, pour rejoindre la Convention où il vient d’être élu.

Il fait rapport devant les députés de cette situation militaire, des succès remportés contre le « roi des Marmottes » – le roi du Piémont –, de l’accueil rencontré en Savoie par les troupes de la République.

La municipalité de Chambéry en habit de cérémonie attendait le général Montesquiou. Un festin avait été préparé en ville pour les soldats.

« Nous étions français de langage et de cœur, nous le sommes à présent », disent les Savoyards.

L’accueil est aussi chaleureux pour les troupes du général Custine à Spire, dans l’évêché de Bade, à Mayence et à Francfort.

Les troupes prussiennes ont évacué Verdun et Longwy, les Autrichiens ont levé le siège de Lille.

« Le cannibale qui faisait bombarder Lille s’est enfin retiré », écrit Couthon. Il s’est replié en Belgique où le suivent les troupes de Dumouriez.

Et Louis-Philippe d’Orléans, ci-devant duc de Chartres, est souvent à l’avant-garde de cette marche vers Bruxelles.

La France est tout entière libérée à la date du

19 octobre 1792.

Et à l’annonce que les frontières sont franchies par les armées de la République, les « têtes tournent » au club des Jacobins, dans le salon de Manon Roland.

« La sainte épidémie de la liberté gagne partout de proche en proche », écrit Marat.

Au club des Jacobins, Manuel lance, acclamé par toute la salle : « Je demande que Chambéry, Mayence, Francfort soient pour nous des clubs. Ce n’est point assez de nous affilier des sociétés, il nous faut affilier des royaumes. »

À l’Hôtel de Ville, l’ancien étudiant en médecine Chaumette, bientôt procureur de la Commune, espère que « le terrain qui sépare Paris de Pétersbourg et de Moscou sera bientôt francisé, jacobinisé ».

Les membres de la Commune lui font une ovation.

Brissot, lui, s’adresse à Dumouriez :

« Je vous dirai qu’une idée se répand assez ici, c’est que la République ne doit avoir pour borne que le Rhin. »

Et Danton qui, Montagnard, est l’adversaire de Brissot et la cible des attaques girondines, partage ces vues.

« Les limites de la France sont marquées par la nature, nous les atteindrons des quatre coins de l’horizon, du côté du Rhin, du côté de l’Océan, du côté des Alpes. »

Mais c’est Brissot qui va le plus loin, réaliste croit-il, cynique en tout cas lorsqu’il écrit :

« Nous ne pourrons être tranquilles que lorsque l’Europe, et toute l’Europe, sera en feu. »

Mais Danton et Brissot en même temps qu’ils prononcent ou écrivent ces mots d’intransigeance, de guerre et d’expansion française, sont l’un et l’autre proches de Dumouriez qui a négocié avec le duc de Brunswick.

Le général a été l’homme des Girondins. Il a fréquenté le salon de Manon Roland.

Et Danton pourtant fait à la Convention l’éloge de « Dumouriez qui réunit au génie du général l’art d’échauffer et d’encourager le soldat ».

Et, en même temps, Danton qui pérore en exaltant « l’insurrection générale contre les rois » envoie à Londres des émissaires chargés de corrompre les ministres anglais afin que l’Angleterre reste en dehors du conflit !

Discours guerriers d’un côté, à la tribune de la Convention et à celle des Jacobins, et tractations secrètes de l’autre.

Et Danton qui condamne les rois, et se présente comme l’un des fondateurs de la République, dit à Louis-Philippe, ci-devant duc de Chartres, fils de Philippe Égalité ci-devant duc d’Orléans :

« Renfermez-vous dans votre métier de soldat sans vous occuper de nos actes et sans faire de la politique… Emportez ces conseils à l’armée ; ils sont dictés par un intérêt sincère. Gravez-les dans votre mémoire et réservez votre avenir. »

Louis-Philippe, en entendant Danton, l’a regardé étonné : le conventionnel Danton, le ministre de la République, lui fait comprendre que ce régime sera provisoire, et que la monarchie demain peut renaître avec un roi issu des Orléans !

Marat, hanté par l’idée de complots aristocratiques, pressent cette ambiguïté, ce double jeu de Danton, comme l’étrange conduite des opérations par Dumouriez après Valmy. Et il condamne l’amitié des Girondins pour le général.

La plupart des ministres et des députés sont à ses yeux des suspects. Et Marat l’écrit. Dénonçant la politique équivoque de Dumouriez, il prophétise : « Cent contre un que Dumouriez s’enfuira avant la fin de mars prochain. »

Il lui reproche d’accuser des volontaires parisiens qui ont, à Rethel, massacré quatre émigrés français qui avaient déserté les rangs prussiens.

Ces volontaires commandés par l’entrepreneur Palloy – le « démolisseur de la Bastille » – sont désarmés, conduits sous escorte à la forteresse de Cambrai. Et la Convention approuve ces mesures.

« Il y a un dessous des cartes dont il faut connaître le fond », dit Marat à Dumouriez.

Il rencontre le général à Paris, à une soirée donnée chez Talma, le comédien. Marat, dans les salons de l’hôtel particulier de la rue Chantereine, croise une « douzaine de nymphes légèrement vêtues » dont la présence doit distraire le général et les autres invités.

Marat, le visage crispé par un sourire méprisant, toise Dumouriez, poursuit :

« Qui persuadera-t-on que douze cents hommes, des volontaires patriotes, se livreraient à des excès sans motifs ? On dit que les prisonniers massacrés étaient des émigrés. »

« Eh bien, Monsieur, quand ce seraient des émigrés ? » répond Dumouriez.

« Les émigrés sont des rebelles à la patrie, et vos procédés envers les bataillons parisiens sont d’une violence impardonnable. »

« Oh, vous êtes trop vif, Monsieur Marat, pour que je parle avec vous », dit Dumouriez en s’éloignant.

Marat voit les sourires, entend les ricanements des invités.

L’un d’eux – un acteur – fait le tour de la salle avec une cassolette de parfums et « purifie » les endroits où Marat est passé.

Et la fête reprend.

Marat est persuadé qu’une « machination secrète est tramée par Dumouriez et la clique girondine ».

Le massacre des quatre déserteurs émigrés par des volontaires parisiens n’est que l’un des engrenages du « complot » qui vise à isoler, à déconsidérer les sans-culottes parisiens, qui sont la « pique » de la Révolution.

D’un côté, on fait adopter, voter par la Convention, un décret qui indique que les émigrés capturés les armes à la main sont hors la loi, et doivent être exécutés dans les vingt-quatre heures.

Et de l’autre, on désarme le bataillon de volontaires qui a fait justice de quatre émigrés qui avaient combattu aux côtés des Prussiens !

Double jeu à nouveau ! s’écrie Marat.

Il dénonce la volonté de la majorité de créer une garde fédérale pour la Convention, composée de fédérés qui dans les départements seront « triés » par les Girondins. Et les premiers arrivés ont déjà manifesté en criant qu’il fallait mettre les têtes de Marat, de Danton et de Robespierre au bout d’une pique. Et on a même entendu scander : « Pas de procès au roi. »