Voilà le complot qui veut étrangler la République !
Marat tente de se faire entendre.
Il demande la parole, mais lorsqu’il monte à la tribune de la Convention, on l’insulte. On dénonce « cet agitateur dont le nom seul fait frémir d’horreur ».
Marat est un « porc-épic » qu’on ne peut pas seulement toucher des doigts.
« S’il parle à cette tribune, il faut qu’après lui elle soit purifiée ! »
Il se défend, il crie : « Voulez-vous m’égorger ? Égorgez-moi ! »
Mais il doit quitter la Convention, se terrer chez lui. Les nouveaux fédérés défilent devant sa demeure, menacent de l’incendier, et d’envoyer Marat à la guillotine.
Tout le monde l’accable.
Danton, pourtant attaqué sans cesse par des Girondins, qui exigent qu’il rende des comptes et l’accusent d’avoir dilapidé à son profit les centaines de milliers de livres qui lui ont été versées quand il était ministre, déclare :
« Je n’aime pas l’individu Marat. Je dis avec franchise que j’ai fait l’expérience de son tempérament : non seulement il est volcanique et acariâtre mais insociable. Après un tel aveu qu’il me soit permis de dire que moi aussi je suis sans parti et sans faction. »
Il n’y a que Camille Desmoulins qui ose murmurer lorsque Marat passe près de lui, en descendant de la tribune de la Convention : « Pauvre Marat, tu es de deux siècles au-delà du tien ! »
C’est donc aussi le temps des haines en ces mois d’octobre et de novembre 1792.
Danton démissionne de son poste de ministre. Il tente de prêcher la réconciliation entre Girondins et Montagnards.
« Il ne peut exister de factions dans une République, dit-il. La fraternité seule peut donner à la Convention cette marche sublime qui marquera sa carrière. »
Mais il devient aussitôt suspect aux yeux de Robespierre, de Saint-Just, de « la crête de la Montagne », qui domine aux Jacobins.
Robespierre obtient qu’on exclue Brissot du club, et les Girondins derrière Brissot quittent les Jacobins.
Ces luttes épuisent.
Danton, élu président des Jacobins, n’est guère présent aux séances. On le voit, entouré de jeunes femmes vénales, fréquenter les restaurants à la mode.
Puis il disparaît, durant plusieurs semaines.
On le dit malade, abattu, atteint de cette dépression qui affecte par périodes tous ceux qui sont plongés dans ce tourbillon révolutionnaire, dont ils sentent bien qu’ils ne peuvent le maîtriser, et qu’à tout moment ils peuvent en être submergés.
Et cette « fatigue », cette angoisse, touche la majorité de la population parisienne, qui est à l’écart des assemblées électorales, des sections. Ceux qui participent, qui votent, ne représentent qu’un citoyen sur vingt !
Pétion est réélu maire de Paris, par une minorité de quelques milliers de voix, sur les six cent mille habitants de la capitale !
Mais Pétion prétend représenter le peuple, alors que pour la majorité qui ne participe pas aux assemblées électorales, il n’est qu’un « magistrat populacier » et pour d’autres un « trembleur ».
On murmure : « Les enragés sont les maîtres aujourd’hui dans Paris et ne respirent que vengeance. » La ville a changé d’aspect. Les étrangers sont partis. Les riches se terrent ou ont gagné la province. Plus de carrosses, de livrées, de belles toilettes dans les rues.
« Vous trouverez aussi du changement dans les mœurs et les vêtements des Parisiens, écrit le libraire Ruault. Le bonnet rouge a repris vigueur. Tous les Jacobins le portent, excepté Robespierre, cette coiffure dérangerait trop des cadenettes bien frisées et bien poudrées. Je fais comme Robespierre quoique je n’aie point de cadenettes sur les oreilles. Je crois que le bonnet rouge ou blanc ou gris, ne va qu’aux manœuvres des maçons de la Révolution. »
On se soucie à nouveau, alors que les pluies et les froids de novembre commencent à sévir, de subsistance. Le prix du pain augmente. Mais on se contente de grommeler.
On sait que Paris est mené par une minorité d’autant plus violente qu’elle a conscience que la majorité de la population est réservée, voire hostile, et déjà si lasse de la hargne révolutionnaire qu’elle n’intervient plus, laisse faire dans les sections et les assemblées la poignée de citoyens qui s’entre-déchirent, Girondins, Montagnards, et quelques maratistes.
À la Convention, les députés de la Plaine se taisent, observent, de plus en plus mal à l’aise devant les manifestations de la haine que se portent Girondins, Montagnards, maratistes.
Et, premier d’une longue suite, le député Polycarpe Pottofeux démissionne début novembre, lassé de ces affrontements.
Il ne veut pas prendre parti, risquer sa tête pour dix-huit francs par jour, l’indemnité que la nation lui verse.
Les Girondins se sentent eux aussi menacés par cette minorité parisienne « enragée ».
C’est elle que vise Brissot quand il écrit à la fin du mois d’octobre 1792, dans un pamphlet adressé À tous les républicains de France : « Le peuple est fait pour servir la révolution, mais, quand elle est faite, il doit rentrer chez lui et laisser à ceux qui ont plus d’esprit que lui le soin de le diriger. »
Mais, pour s’emparer puis garder les rênes du pouvoir devant un peuple devenu spectateur, épuisé par ce qu’il a vécu depuis plus de trois années de bouleversements, d’émotions, de grandes peurs, c’est une lutte dont on devine déjà en cet automne 1792 qu’elle est « à mort ».
C’est Louvet, un écrivain devenu député du Loiret, qui, Girondin, attaque Robespierre.
« Qui, Robespierre c’est moi qui t’accuse de t’être continuellement produit comme objet d’idolâtrie. Je t’accuse d’avoir évidemment marché au suprême pouvoir. »
La majorité de la Convention décide de faire diffuser ce discours à quinze mille exemplaires. Et Brissot dans Le Patriote français poursuit l’attaque :
« On se demande pourquoi tant de femmes à la suite de Robespierre ? C’est un prêtre qui a des dévotes, mais il est évident que toute sa puissance est en quenouille ! »
Et tous les journaux girondins reprennent, martèlent cette idée : « Robespierre est un prêtre et ne sera jamais que cela. »
Maximilien monte à la tribune les 28 octobre et 5 novembre 1792. Il répond d’une voix énergique qui parfois se brise, comme si les forces lui manquaient, puis s’aiguise, tranchante.
On l’accuse de marcher à la dictature ?
« Nous n’avons ni armée, ni trésor, ni place, ni parti ! Nous sommes intraitables comme la vérité, inflexibles, uniformes, j’ai presque dit insupportables comme les principes ! »
On l’accuse d’avoir provoqué, soutenu des actes illégaux.
« Que nous reprochez-vous ? D’avoir désarmé les citoyens suspects ? Toutes ces choses étaient illégales, aussi illégales que la Révolution, que la chute du trône et de la Bastille, aussi illégales que la liberté elle-même ! Citoyens, vouliez-vous une révolution sans la Révolution ? »
Et il en appelle à la « réconciliation », à ensevelir les accusations dans un « éternel oubli ».
« Je renonce à la juste vengeance que j’aurais droit de poursuivre contre mes calomniateurs. »
Les députés du Marais l’applaudissent.
Ils s’éloignent des Girondins sans encore rejoindre la Montagne. Mais le soir du 6 novembre aux Jacobins, on acclame Maximilien. On porte des torches. On défile. On chante le Ça ira, La Marseillaise, La Carmagnole.
Triomphe ! Mais Robespierre est épuisé, et la maladie, fatigue et tension nerveuse suivie d’abattement, de dépression, le terrasse, jusqu’à la fin du mois de novembre.