Il ne pourra célébrer la victoire que, le 6 novembre, les armées de Dumouriez viennent de remporter à Jemmapes, dans une attaque frontale contre les troupes prussiennes.
L’élan patriotique des bataillons criant « Vive la nation ! » a bousculé les troupes du duc de Brunswick.
Et les soldats de Dumouriez marchent vers Bruxelles, Liège, Anvers.
C’est la panique chez les émigrés qui refluent en désordre, cependant que les députés belges proclament la déchéance de la maison d’Autriche, et envoient des délégués à Paris, plaider la cause de l’indépendance.
Dumouriez est acclamé.
On le célèbre dans les salons de Manon Roland et de Julie Talma où l’on croise nombre d’officiers, dont ce général Alexandre de Beauhamais, chef d’état-major de l’armée du Rhin.
Bien plus qu’après Valmy, Jemmapes et l’occupation de la Belgique font naître un sentiment d’euphorie et d’enthousiasme à la Convention.
Les députés approuvent par acclamation une déclaration qui devra être traduite dans toutes les langues :
« La Convention nationale déclare au nom de la nation française qu’elle accordera fraternité et secours à tous les peuples qui voudront recouvrer leur liberté. »
Mais il y a une condition nécessaire à cette liberté et au bonheur. Tous les peuples et d’abord le français doivent la connaître.
On la rappelle dans Les Révolutions de Paris.
« Voulez-vous guérir les maux ? Voulez-vous enfin prendre une marche certaine ? Voulez-vous être justes ?
« Remontez toujours à la source !
« Jugez Louis XVI d’après ses crimes, rendez justice en sa personne à la nation entière outragée par lui, jugez son exécrable épouse dont les vices et les forfaits effraient l’imagination la plus exercée à scruter le cœur des tyrans !
« Législateurs !
« Apprenez aux Français que vous voulez leur bonheur !
« Apprenez aux nations de l’Europe qu’elles ne jouiront de ce même bonheur qu’au même prix !
« Proscrivez selon le mode de la justice et de la prudence humaine les restes de cette race perfide !
« Qu’ils disparaissent tous et à jamais d’une terre libre !
« Brutus ne laissera dans Rome aucun allié, parent ou ami des Tarquins ! »
36
En ces premiers jours de novembre 1792, les journaux et la minorité de citoyens qui les lisent ou se réunissent dans les sections s’interrogent :
Faut-il imiter les Romains qui ont chassé le roi Tarquin, et se contenter de proscrire loin de la République le ci-devant Louis XVI ?
Le chasser, ou le juger ?
On dit qu’il vit paisiblement dans sa prison du Temple.
Il loge désormais dans la grande tour, et on lui a retiré – assure-t-on – papiers, plumes et crayons, parce que l’on craint qu’il ne communique avec les ennemis de la République.
On l’a séparé de Marie-Antoinette et de ses enfants, ainsi que de sa sœur Elisabeth, puis on a cédé devant les récriminations de la ci-devant reine.
Ils sont de nouveau réunis, logeant aux différents étages de la grande tour, qui malgré les poêles est glacée.
Louis Capet, puis le dauphin, et bientôt Marie-Antoinette et Madame Élisabeth, et même le « bon » valet Cléry, sont frappés par la grippe, se plaignent de « fluxion de tête ».
Qu’on la leur coupe, crient les plus enragés des sans-culottes.
« La tête du tyran au bout d’une pique », scandent-ils autour du Temple, qu’un « sang impur abreuve nos sillons ».
L’opinion se divise.
Juger Louis Capet ?
C’est un « scandale de délibérer », dit Maximilien Robespierre. Il fait effort pour parler, plus pâle et plus poudré qu’à l’accoutumée, s’arrachant à la maladie pour marteler :
« Louis fut roi, la République est fondée. La victoire et le peuple ont décidé que lui seul était rebelle ; Louis ne peut donc être jugé ; il est déjà jugé. »
Près de lui, aux Jacobins, se tient ce jeune député, Saint-Just, que l’on commence à écouter, parce que sa logique implacable fascine, comme sa pâleur, son visage aux traits réguliers, cette lourde tête qui semble reposer sur la cravate blanche largement nouée, qui forme comme une sorte de jabot. Il a le regard fiévreux, le ton exalté.
On dit qu’il est fils de militaire, qu’il a été élève des Oratoriens de Soissons, et qu’à Blérancourt, dans l’Aisne, il fut colonel de la garde nationale, patriote résolu, mais jeune homme singulier, auteur d’un roman libertin, licencieux, Organt.
Il partage les idées de Robespierre, et peut-être les inspire-t-il ?
Il affirme, comme Maximilien, qu’ouvrir le procès du roi, c’est contester l’insurrection.
« Les peuples ne jugent pas comme les cours judiciaires, ils ne rendent point de sentences, ils lancent la foudre, ils ne condamnent pas les rois, ils les replongent dans le néant. »
Et la conclusion de Maximilien tombe comme un couperet : « Louis doit mourir. »
Mais Robespierre et Saint-Just ne sont pas suivis. Marat veut un procès.
Il faut que le peuple juge ce Louis Capet, coupable d’avoir depuis juin 1789 tenté de briser les espoirs des patriotes.
N’est-ce pas lui qui a organisé l’« orgie » des cocardes noires à Versailles, le 3 octobre 1789 ! N’est-ce pas lui qui a tenté de fuir, afin de rejoindre les émigrés !
Pagure, hypocrite, corrupteur, il a comploté avec ses frères réfugiés à Coblence, ce comte d’Artois et ce comte de Provence complices du roi de Prusse et de l’empereur d’Autriche !
Et n’a-t-il pas donné l’ordre, le 10 août, de massacrer les patriotes qui, révoltés par le Manifeste de Brunswick, avançaient vers les Tuileries ?
Louis Capet, ci-devant Louis XVI, est responsable de milliers de morts ! Et on voudrait ne pas le juger ? Peut-être pour dissimuler les noms de ceux qu’il a corrompus ? Il faut donc un procès.
Et le 3 novembre, un député de la Haute-Garonne, Mailhe, présente un rapport qui conclut que le ci-devant Louis XVI peut être jugé par la Convention.
« Ne voyez-vous pas toutes les nations de l’univers, toutes les générations présentes et futures, attendre avec une silencieuse impatience, dit-il, que vous leur appreniez si l’inviolabilité royale a le droit d’égorger impunément les citoyens et les sociétés, si un monarque est un Dieu dont il faut bénir les coups, ou un homme dont il faut punir les forfaits ? »
Les Girondins – Brissot, Vergniaud, Barbaroux, Roland – sont favorables au procès.
Le peuple, pensent-ils, ne veut pas la mort du roi, mais il faut bien donner des gages à cette minorité de sans-culottes, d’enragés, qui s’entassent dans les tribunes de la Convention, et tiennent Paris.
Et une partie de l’opinion s’inquiète.
« Le procès du roi occupe ici tous les esprits, écrit le libraire Ruault, toujours bon patriote. Les visages s’attristent, les cœurs s’affligent, car on prévoit que le dénouement sera fatal au malheureux prisonnier… Les forcenés dominent l’Assemblée qui doit juger cet infortuné monarque, et les forcenés ne sont point capables d’une grande et belle action ; il leur faut du sang, mais le sang attire le sang, on commence par en répandre quelques gouttes et l’on finit par des torrents et les tueurs sont tués à leur tour, et voilà l’histoire de toutes les révolutions. »
On raconte comment, dans sa prison du Temple, la famille royale est humiliée, insultée, persécutée même.
Un commis de librairie, Mercier, qui a été chargé de garder le roi et sa famille, dit à Ruault que la « reine est tellement changée depuis quatre mois qu’elle est là, qu’elle serait méconnaissable aux yeux même de ceux qui la voyaient tous les jours : tous ses cheveux sont blancs, elle paraît avoir plus de soixante ans ! ».