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« Pourquoi ajoutez-vous ces derniers mots ? »

« Pour être sincère comme vous me l’avez demandé. »

Il faut de l’argent pour mettre Danton en mouvement.

Le baron de Batz, émigré à Coblence après avoir été, constituant, financier et conspirateur, Théodore Lameth, l’Espagnol Ocariz, agissant pour le compte de Manuel Godoy, Premier ministre du roi d’Espagne, versent plus de deux millions de livres pour l’achat du vote de députés à la Convention, parmi lesquels Fabre d’Églantine.

Danton réclame deux millions supplémentaires. Mais cela ne suffit pas. Et le Premier ministre anglais Pitt, et aussi le roi de Prusse ou l’empereur d’Autriche refusent de participer à cette tentative de corruption politique qui pourrait sauver Louis XVI.

Qu’on décapite ce malheureux roi, et, espèrent-ils, tous ceux qu’attire la Révolution française, ces libéraux d’Angleterre et d’Allemagne, comprendront ce qu’est la nature barbare de cette Révolution ! Et la condamneront. Le sang de Louis doit coaliser l’Europe contre la France.

Danton comprend vite que les chances de faire échapper le roi au procès devant la Convention et dès lors, il s’en persuade chaque jour, à la peine de mort, sont faibles.

Alors il se retire, laisse la place à ses proches, comme cet ancien boucher Legendre, fondateur avec lui du club des Cordeliers et député à la Convention, qui déclare de sa voix puissante et avec son éloquence de tribun qui veut la mort de Louis Capet :

« Égorgeons le cochon ! Faisons autant de quartiers qu’il y a de départements pour en envoyer un morceau à chacun ! »

Mais dans les départements, c’est d’une autre nourriture qu’on a besoin.

Or, en ces mois d’automne et d’hiver 1792, les citoyens les plus pauvres, qu’ils soient paysans de Beauce ou ouvriers du faubourg Saint-Antoine, souffrent à nouveau de la hausse du prix du pain, et de la rareté qui s’installe.

Les queues apparaissent devant les boulangeries. On pille les greniers. On arrête les convois de grains. On réclame la taxation des denrées.

À Paris, un jeune bourgeois, Jean-François Varlet, prend souvent la parole devant les sans-culottes, s’élève contre les riches.

Et le prêtre Jacques Roux, vicaire à Saint-Nicolas-des-Champs, habitant la section des Gravilliers, est lui aussi l’un de ces « enragés » qui exigent le partage des propriétés, la taxation.

Une députation venue de Seine-et-Oise se présente à la Convention, réclame la taxation des subsistances, déclare que la liberté de commerce des grains est « incompatible avec notre République qui est composée d’un petit nombre de capitalistes et d’un grand nombre de pauvres ».

Mais le Girondin Roland, ministre, répond : « La seule chose peut-être que l’Assemblée puisse se permettre sur les subsistances, c’est de proclamer qu’elle ne doit rien faire. »

Et cependant, il faut agir pour éteindre cette insurrection de la misère.

Saint-Just monte à la tribune de la Convention, regard fixe, boucle à l’oreille droite, cravate nouée à large nœud, cachant le cou.

« Un peuple qui n’est pas heureux n’a pas de patrie, lance-t-il. Il n’aime rien, et si vous voulez fonder une République, vous devez vous occuper de tirer le peuple d’un état d’incertitude et de misère qui le corrompt… La misère a fait naître la Révolution, la misère peut la détruire. »

Mais Saint-Just ne va pas au-delà de cette incantation vertueuse.

Alors, qu’offrir au peuple pour l’apaiser ?

La victoire des années ?

La gloire de combattre les tyrans, de faire « la guerre aux châteaux et d’apporter la paix aux chaumières », de propager la révolution, de supprimer les droits féodaux.

« Lorsque nous entrons dans un pays, c’est à nous de sonner le tocsin », déclare Cambon, fils d’un riche marchand d’étoffes de Montpellier, député à la Législative et à la Convention et qui, chargé des questions financières, pense aussi que le « pillage », le « butin » peuvent enrichir la République, et même la nourrir !

Mais il faut répondre vite à l’impatience populaire.

Alors juger le roi, le condamner, l’exécuter, c’est aussi le moyen commode de montrer au peuple que la République est impitoyable avec les puissants, dont le roi devient l’incarnation, le symbole.

Si on le tue, quel riche fermier, quel agioteur, quel financier, quel député ou ministre pourrait être à l’abri du châtiment ?

On ne sait comment combattre la misère, mais on sait juger et décapiter le roi.

Et le sang de Louis XVI peut étancher un temps, espère-t-on, la soif de justice et d’égalité du peuple.

37

La Convention va donc juger le ci-devant roi Louis XVI.

Et le mardi 13 novembre 1792 – il pleut et il fait frais, presque froid –, c’est le plus jeune des conventionnels qui prend la parole.

Il siège avec les Montagnards. C’est un exagéré, dit-on, proche de Robespierre, mais la plupart des députés ignorent jusqu’à son nom : Saint-Just. Et les murmures couvrent les premiers mots de ce jeune homme à la voix fervente, qui dit :

« J’entreprends, citoyens, de prouver que le roi peut être jugé… »

Mais il suffit de quelques phrases pour que le silence s’établisse, que les sans-culottes des tribunes se penchent en avant, comme pour mieux saisir les propos de Saint-Just, et commencer d’acclamer celui qui dit :

« Les mêmes hommes qui vont juger Louis ont une République à fonder…

« Et moi je dis que le roi doit être jugé en ennemi, que nous avons moins à le juger qu’à le combattre…

« Un jour peut-être les hommes, aussi éloignés de nos préjugés que nous le sommes de ceux des Vandales, s’étonneront de la barbarie d’un siècle où ce fut quelque chose de religieux que de tuer un tyran…

« On s’étonnera qu’au XVIIIe siècle on ait été moins avancé que du temps de César : là le tyran fut immolé en plein Sénat, sans autre formalité que vingt-trois coups de poignard, et sans autre loi que la liberté de Rome. Et aujourd’hui on fait avec respect le procès d’un homme assassin d’un peuple, pris en flagrant délit, la main dans le sang, la main dans le crime ! » Saint-Just s’interrompt, reprend son souffle, laisse les applaudissements déferler, s’épuiser puis lance :

« Pour moi je ne vois point de milieu : cet homme doit régner ou mourir… Il doit mourir pour assurer le repos du peuple, puisqu’il était dans ses vues d’accabler le peuple pour assurer le sien. »

Les mots de Saint-Just résonnent maintenant dans un silence de nef :

« On ne peut point régner innocemment, dit-il : la folie en est trop évidente. Tout roi est un rebelle et un usurpateur… Louis XVI doit être jugé comme un ennemi étranger. »

Saint-Just lève la main pour retenir la tempête d’approbation qui s’annonce, roulant depuis les tribunes, entraînant la Montagne, puis toute la Convention.

« Il doit être jugé promptement… Il est le meurtrier de la Bastille, de Nancy, du Champ-de-Mars, des Tuileries : quel ennemi, quel étranger nous a fait plus de mal ?

« On cherche à remuer la pitié, on achètera bientôt les larmes, on fera tout pour nous intéresser, pour nous corrompre même. »

Saint-Just se hausse sur la pointe des pieds, les bras tendus, les mains agrippées à la tribune :

« Peuple, si le roi est jamais absous, souviens-toi que nous ne serons plus dignes de ta confiance et tu pourras nous accuser de perfidie. »

Les sans-culottes des tribunes se lèvent et leur ovation emplit la salle du Manège.

La voix de Saint-Just ne s’efface pas.