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Elle est encore dans toutes les mémoires quand le ministre de l’intérieur, le Girondin Roland, annonce, le

20 novembre, qu’on vient de mettre au jour, dissimulée sous les lambris des Tuileries, une armoire de fer.

C’est le serrurier Gamain qui l’a construite avec le ci-devant roi, et c’est lui qui est venu en révéler l’existence. Elle contient la correspondance du roi avec les tyrans, avec ses frères et ses ministres émigrés – Calonne, Breteuil –, avec – la voix de Roland tremble – Mirabeau, et « tant d’autres qui ont siégé parmi nous », et auxquels le roi a versé des centaines de milliers de livres…

« Et toi Roland ? » crie quelqu’un depuis les tribunes.

On soupçonne le ministre girondin d’avoir fait disparaître des papiers le concernant et compromettants pour ses amis Brissot, Vergniaud, d’autres encore.

« Mirabeau, reprend-il, et Barnave, et Talleyrand. »

« Leurs têtes au bout de nos piques ! »

Et on scande : « Marat, Marat », car L’Ami du peuple avait dénoncé tous ces complices de la Cour.

La Convention décrète alors que quiconque proposera de « rétablir en France les rois ou la royauté sous quelque dénomination que ce soit sera puni de mort ! ».

Et Robespierre fait briser le buste de Mirabeau au club des Jacobins, et aussi celui d’Helvétius, ce persécuteur de Jean-Jacques Rousseau.

Un cortège de sans-culottes, hurlant des cris de vengeance, réclamant la mort pour le « gros cochon, sa putain, et toute leur descendance car la progéniture des tyrans ne saurait survivre », s’en va brûler le buste de Mirabeau en place de Grève.

Lorsque Robespierre, le 3 décembre, dit de sa voix aiguë : « Louis a été détrôné par ses crimes… la victoire et le peuple ont décidé que lui seul était rebelle, il est déjà jugé, il est condamné ou la République n’est point absoute », chacun pense à l’armoire de fer, à ces lettres de Louis XVI, appelant à l’aide les armées des tyrans afin qu’elles châtient son peuple.

« Louis a dénoncé le peuple français comme rebelle… reprend Robespierre.

« Je prononce à regret cette fatale vérité, mais Louis doit mourir parce qu’il faut que la patrie vive ! »

Les Montagnards voudraient que la sentence contre le roi soit prononcée sans débat, parce qu’il est « le seul rebelle » puisque le peuple a été victorieux.

Au contraire :

« L’Assemblée nationale décrète qu’elle s’occupera tous les jours depuis midi jusqu’à six heures du procès de Louis XVI. »

Et Louis Capet sera traduit à la barre de la Convention pour entendre la lecture de l’acte énonciatif de ses crimes et y répondre.

Et déjà, avant même qu’il soit entendu, la mort s’avance parce que le verdict est inéluctable :

« Qu’arrivera-t-il, s’écrie l’abbé Grégoire, si au moment où les peuples vont briser leurs fers, vous assurez l’impunité à Louis XVI ?… Les despotes saisiraient habilement ce moyen d’attacher encore quelque importance à l’absurde maxime qu’ils tiennent leur couronne de Dieu. »

Il ne s’agit plus seulement comme le disait Robespierre de sauver la patrie.

Louis doit mourir parce qu’il faut que le principe de la révolution vive et que tous les trônes de tous les tyrans de « droit divin » soient emportés par le vent qui s’est levé à Paris.

Il faut, conclut Robespierre, « graver profondément dans le cœur du peuple le mépris de la royauté et frapper de stupeur tous les partisans du roi ».

Louis n’ignore rien du sort qui l’attend.

Le 7 décembre, en le déshabillant avec des gestes lents, précautionneux, comme s’il s’agissait de retirer les pansements qui protègent une plaie, Cléry murmure à son maître que le procès commencera dans quatre jours, que Louis sera conduit à la Convention pour y être interrogé et qu’à compter de l’ouverture du procès, le roi ne serait plus autorisé à voir les siens.

Louis baisse un peu plus la tête, comme s’il offrait sa nuque au couperet.

Il sait qu’il va affronter la guillotine. Et tout ce qui précède et qu’il va devoir subir, lui paraît indifférent.

La mort est au bout. Et seule elle compte.

Il n’est pas surpris quand, le mardi 11 décembre, il est réveillé à cinq heures du matin par les tambours qui battent la générale, cependant que des détachements de cavalerie entrent dans les jardins du Temple.

C’est le jour de la comparution devant la Convention, celui du dernier déjeuner pris en compagnie des siens.

Les gardes municipaux veillent et on ne peut parler librement, parce que les gardiens sont aux aguets.

Après, Louis s’attarde à jouer avec son fils, mais on le lui retire, on le conduit chez Marie-Antoinette.

Il faut attendre seul l’arrivée, vers une heure, du nouveau maire de Paris, le docteur Chambon, accompagné du procureur de la Commune.

Le maire lit le décret convoquant Louis Capet afin de témoigner devant la Convention :

« Capet n’est pas mon nom, dit Louis, c’est celui de mes ancêtres. J’aurais désiré, Monsieur, que les commissaires m’eussent laissé mon fils pendant les deux heures que j’ai passées à vous attendre. »

Point de réponse.

Louis monte dans le carrosse du maire, et on commence à rouler, entouré d’une escorte si dense de cavaliers et de fantassins qu’on ne voit pas la foule le long de la rue du Temple, des boulevards, de la rue des Capucins et sur la place Vendôme.

Mais on entend les cris de « Mort au tyran ! ».

Et quand Louis descend du carrosse dans la cour des Feuillants, il voit au loin les piques dressées.

Il pleut. Il fait froid, et souffle la bourrasque.

Il sent la morsure de tous ces regards.

Il se redresse, debout face à la Convention. Peu importe que ses vêtements soient sales et froissés, qu’aucun barbier ne l’ait rasé depuis quatre jours ; il est le roi et il ne répondra que par des dénégations, quand on lui montrera des pièces saisies dans l’« armoire de fer ».

Il ne veut rien « reconnaître ».

Il n’est pas au pouvoir d’une Assemblée de juger le roi de France.

Et le roi a le droit et le devoir de refuser de se soumettre à un questionnaire.

Après cinq heures d’audition on le reconduit au Temple, et des cris plus nombreux, plus haineux encore, l’accompagnent tout au long du parcours.

« La tête au bout d’une pique, Capet ! Mort au tyran ! »

Au Temple, seul avec Cléry, il peut enfin laisser voir son épuisement.

« Je ne compte sur aucun égard, aucune justice, murmure-t-il, mais attendons. »

Il est surpris, heureux aussi et il en remercie Dieu, que la Convention lui accorde le droit d’avoir pour l’assister un conseil.

Malesherbes, âgé de soixante et onze ans, ancien secrétaire d’État à la Maison du roi, qui avait été l’un des hommes les plus ouverts à l’esprit des Lumières, se propose d’être l’avocat de Louis XVI.

« J’ai été appelé deux fois au Conseil dans un temps où cette fonction était ambitionnée de tout le monde, écrit Malesherbes. Je lui dois le même service lorsque c’est une fonction que bien des gens jugent dangereuse. »

D’autres se proposent pour cette charge périlleuse.

Louis et Malesherbes retiennent les avocats Tronchet et de Sèze. Le premier avait été bâtonnier à Paris et député à la Constituante.

« Tout sera inutile », murmure Louis XVI après avoir serré Malesherbes contre lui, et l’avoir remercié d’exposer ainsi sa vie.

« Non, Sire, je n’expose pas ma vie et même j’ose croire que Votre Majesté ne court aucun danger. Sa cause est si juste et les moyens de défense si victorieux ! »

« Ils me feront périr, répond Louis en secouant la tête. N’importe, ce sera gagner ma cause que de laisser une mémoire sans tache. Occupons-nous de mes moyens de défense. »