Il prie. Malesherbes a présenté aux gardiens l’abbé Edgeworth de Firmont, comme un commis. Et Louis prie à ses côtés, lui demande de l’assister quand viendra l’heure de sa mort. Car si, scrupuleusement, Louis lit, paraphe, conteste les pièces provenant de l’armoire de fer qu’on lui présente, il ne doute pas de l’issue du procès.
Il a même renoncé à voir ses enfants, car il n’y aurait été autorisé qu’à la condition que le dauphin et Madame Royale soient séparés de leur mère. Et il sait que Marie-Antoinette ne trouve un peu de force et de paix qu’au contact de ses enfants.
Il murmure :
« On noircit la reine pour préparer le peuple à la voir périr : sa mort est résolue. En lui laissant la vie on craindrait qu’elle ne se vengeât. Infortunée princesse ! Mon mariage lui promit un trône, aujourd’hui… »
La mort pour moi et pour elle.
Il n’ose penser au sort de ses enfants.
Il pleure, le 19 décembre, jour anniversaire de sa fille, qu’il ne verra pas.
Il est seul avec Cléry le jour de Noël, et il rédige son testament.
« À présent ils peuvent faire de moi ce qu’ils voudront. »
Le lendemain, mercredi 26 décembre – « il a fait grand vent, bourrasque, et plu toute la nuit et toute la journée, et 2 degrés au thermomètre » –, Louis comparaît devant la Convention pour la seconde et dernière fois.
L’avocat de Sèze se lève. Il est jeune, plein de fougue maîtrisée. C’est lui qui, avant la déclaration de Louis, prononcera la plaidoirie de la défense.
Il déroule, avec une précision implacable, sa démonstration, montrant que le roi n’a jamais violé la lettre ou l’esprit de la Constitution de 1791, usant seulement des droits qu’elle lui avait consentis.
« Citoyens, conclut-il, je cherche parmi vous des juges et je n’y vois que des accusateurs ! Louis n’aura ni les droits du citoyen ni les prérogatives de roi… Citoyens je n’achève pas, je m’arrête devant l’histoire.
Songez quel sera votre jugement et que le sien sera celui des siècles ! »
Louis prend la parole. Sa voix est apaisée. Elle ne tremble pas. « En vous parlant, peut-être pour la dernière fois, je vous déclare que ma conscience ne me reproche rien et que mes défenseurs ne vous ont dit que la vérité.
« Je n’ai jamais craint que ma conduite fût examinée publiquement ; mais mon cœur est déchiré de trouver dans l’acte d’accusation l’imputation d’avoir voulu faire répandre le sang du peuple et surtout que les malheurs du 10 août me soient attribués.
« J’avoue que les gages multipliés que j’avais donnés dans tous les temps de mon amour pour le peuple et la manière dont je m’étais toujours conduit me paraissaient devoir prouver que je craignais peu de m’exposer pour épargner son sang et devoir éloigner à jamais de moi pareille imputation. »
Il se rassied.
On le reconduit au Temple.
Les députés se déchirent.
Certains, émus par les propos du roi, tentent d’obtenir le retrait de l’acte d’accusation.
Les Montagnards s’insurgent. Les Girondins avancent avec Vergniaud l’inviolabilité du roi, Brissot évoque l’indignation de l’Europe et demande l’« appel au peuple » qui jugera en dernier ressort.
Robespierre dénonce cette manœuvre.
Seuls les « fripons », des « perfides », « dont la sourde et pernicieuse activité produit des troubles peuvent réclamer l’appel au peuple ».
« Oui, s’écrie-t-il, j’ambitionne l’honneur d’être massacré le premier par les brissotins, s’il le faut, mais avant d’être assassiné, je veux avoir le plaisir de les dénoncer. »
Et avec lui les Montagnards accusent les Girondins d’être compromis par les documents de l’armoire de fer.
Vergniaud a négocié avec la Cour du 5 au 9 août
1792, pour éviter l’insurrection.
Le président de la Convention, Barère, le vendredi 4 janvier 1793, fait rejeter l’idée d’un « appel au peuple », juge souverain du roi.
« Le procès, dit-il, est en réalité un acte de salut public ou une mesure de sûreté générale, et un acte de salut public n’est pas soumis à la ratification du peuple. »
Les Girondins n’osent plus contester cette décision.
Le 7 janvier 1793, la Convention déclare clos les débats du procès de Louis XVI.
Le vote commencera le lundi 14 janvier.
Louis, ci-devant roi de France, dit à Malesherbes :
« Êtes-vous bien convaincu à présent, qu’avant même que je fusse entendu, ma mort avait été jugée ? »
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Il faut voter.
Et d’abord choisir entre la culpabilité et l’innocence de Louis Capet, ci-devant roi de France.
Le 15 janvier 1793, le vote commence sur cette première question.
La Convention déclare Louis Capet coupable de conspiration contre la liberté publique par sept cent sept voix contre zéro.
Ce même jour, il faut voter une seconde fois pour confirmer que le jugement de la Convention ne sera pas soumis à la ratification du peuple.
« Peuple, s’écrie Robespierre, c’est à nous seuls de défendre ta cause. Plus tard, lorsque les vertueux auront péri, alors venge-les si tu veux. »
Par quatre cent vingt-quatre voix contre deux cent quatre-vingt-sept, la Convention rejette l’appel au peuple.
Maintenant, il faut voter par appel nominal, sur la question capitale :
« Quelle peine infligera-t-on à Louis Capet ? »
Chaque député doit monter à la tribune et expliquer à haute voix son vote. Les députés en mission s’exprimeront par écrit.
Le vote commence le mercredi 16 janvier 1793, à huit heures du soir. Les députés votent dans l’ordre alphabétique des départements et pour chacun dans l’ordre de l’élection.
La lettre G a été tirée au sort, et le premier département sera la Haute-Garonne… les représentants du Gard votant les derniers. On sait que Vergniaud, député de Bordeaux, a déclaré, la veille :
« Je resterais seul de mon opinion que je ne voterais pas la mort. »
Et les députés girondins sont favorables à l’indulgence, craignant les conséquences de la mort du roi.
Mais Vergniaud, qui préside, vote la mort. Et huit des députés de Bordeaux votent comme lui.
Pas de surprise avec les Montagnards.
Robespierre, plus poudré que jamais, parle longuement pour expliquer son vote :
« Tout ce que je sais, dit-il, c’est que nous sommes des représentants du peuple envoyés pour cimenter la liberté publique par la condamnation du tyran, et cela me suffit.
« Le sentiment qui m’a porté à demander, mais en vain, à l’Assemblée constituante l’abolition de la peine de mort est le même qui me force aujourd’hui à demander qu’elle soit appliquée au tyran de ma patrie et à la royauté elle-même dans sa personne. Je vote pour la mort. »
Le vote se poursuit dans la nuit du 16 au 17 janvier.
On attend Danton. Il monte à la tribune vers quatre heures du matin.
Les partisans du roi espèrent de sa part un mouvement d’indulgence.
« Je ne suis point de cette foule d’hommes d’État qui ignorent qu’on ne compose point avec les tyrans, déclare Danton. Ils ignorent qu’on ne frappe les rois qu’à la tête. Ils ignorent qu’on ne doit rien attendre de ceux de l’Europe que par la force de nos armes ! Je vote pour la mort du tyran ! »
Voici un autre Montagnard, Philippe Égalité, ci-devant duc d’Orléans, le corps lourd, disant d’une voix assourdie, qu’uniquement occupé de son devoir, il vote pour la mort de Louis, son cousin.
Et Desmoulins et Fabre d’Églantine, et le peintre David, et Marat, font le même choix.
Et quand, le 17 janvier à huit heures du soir, Vergniaud donne le résultat, il y a trois cent quatre-vingt-sept régicides contre trois cent trente-quatre voix.