« Tout est consommé, dit-il à l’abbé, donnez-moi votre dernière bénédiction et priez Dieu qu’il me soutienne jusqu’à la fin. »
Louis, en ce lundi 21 janvier 1793, est dans sa trente-neuvième année.
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Ce lundi 21 janvier 1793 :
« C’est à mon grand regret que j’ai été obligé d’assister à l’exécution, en armes, avec les autres citoyens de section, et je t’écris, le cœur pénétré de douleur et dans la stupeur d’une profonde consternation. »
Ainsi s’exprime le grand médecin Philippe Pinel, un savant généreux, qui fit ôter leurs chaînes aux fous et les sépara des criminels.
« Aussitôt que le roi a été exécuté, poursuit-il, il s’est fait un changement subit dans un grand nombre de visages, c’est-à-dire que d’une sombre consternation on a passé rapidement à des cris de : “Vive la nation !” Du moins la cavalerie qui était présente à l’exécution et qui a mis ses casques au bout de ses sabres. Quelques citoyens ont fait de même mais un grand nombre s’est retiré, le cœur navré de douleur, en venant répandre des larmes au sein de sa famille.
« Comme cette exécution ne pouvait se faire sans répandre du sang sur l’échafaud, plusieurs hommes se sont empressés d’y tremper, les uns l’extrémité de leur mouchoir, d’autres un morceau de papier ou tout autre chose…
« Le corps a été transporté dans le cimetière Sainte-Marguerite…
« Son fils le ci-devant dauphin par un trait de naïveté qui intéresse beaucoup en faveur de cet enfant demandait avec insistance dans son dernier entretien avec son père d’aller l’accompagner pour demander sa grâce au peuple… »
« Laissons Louis sous le crêpe ; il appartient désormais à l’histoire », écrit Le Moniteur.
On s’arrache les journaux du mardi 22 janvier. La Chronique de Paris, de Condorcet, rapporte que « hier à dix heures un quart, le jugement de Louis Capet a été mis en exécution. Les ponts et les principales avenues étaient interceptés et garnis de canons ; les boutiques sont restées fermées toute la journée ; il y a eu peu de monde dans les rues et dans les places publiques. Le soir le bruit courait que la fille de Louis Capet était morte ».
Rumeur, mensonge, moyen d’émouvoir, de créer une « fermentation des esprits ».
Le Républicain, journal montagnard, ne le reprend pas.
Il s’enthousiasme.
« Aujourd’hui l’on vient de se convaincre qu’un roi n’est qu’un homme et qu’aucun homme n’est au-dessus des lois.
« Peuples de l’Europe ! Peuples de la terre ! Contemplez les trônes : vous voyez qu’ils ne sont que poussière !
« La France vient de donner un grand exemple aux peuples et une grande leçon aux rois pour le bonheur de l’humanité !
« Jour célèbre à jamais mémorable ! Puisses-tu arriver à la prospérité ! Que la calomnie ne t’approche jamais !
« Historiens ! Soyez dignes de l’époque ; écrivez la vérité rien que la vérité ; jamais elle ne fut plus sainte : jamais elle ne fut plus belle à dire ! »
Marat exulte, dans Le Publiciste de la République française :
« La tête du tyran vient de tomber sous le glaive de la loi… je crois enfin à la République…
« Le supplice de Louis est un de ces événements mémorables qui font époque dans l’histoire des nations… Loin de troubler la paix de l’État il ne servira qu’à affermir non seulement en contenant par la terreur les ennemis du dedans mais les ennemis du dehors.
« Il donnera aussi à la nation une énergie et une force nouvelles pour repousser les hordes féroces de satellites étrangers qui oseront porter les armes contre elle.
« Car il n’y a plus moyen de reculer, et telle est la position où nous nous trouvons aujourd’hui qu’il faut vaincre ou périr. »
« Terreur » :
Ce mot est donc écrit, « semé », mardi 22 janvier 1793.
Les moissons seront sanglantes.
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Gazette d’un Parisien sous la Révolution, lettres à son frère, 783-1796, Perrin, 1976.