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« Que diable fais-tu ici ? » demanda Herst.

D’une manière assez hypocrite, Martial Gaur dissimula sous son air le plus malheureux le contentement qu’il éprouvait en cet instant à donner une impulsion personnelle aux événements.

« Oui, tu peux le dire. Que diable suis-je venu faire ici ? Ce travail n’est plus dans mes cordes. »

Herst le regarda, apitoyé.

« Je comprends. Tu étais venu voir s’il y avait une possibilité pour toi de prendre une photo de la cérémonie... un coin tranquille...

N’aie pas peur de le dire : un coin où je ne risque pas de me faire écraser et de perdre la jambe qui me reste. Mais j’y renonce. Je n’essaierai même pas.

— Tu pourrais peut-être te faire inviter à un de ces balcons. »

Gaur secoua la tête avec toute l’apparence d’une amère mélancolie.

« Tu sais bien qu’il y aura autant de bousculade sur les balcons que sur la place. Je te répète que je ne viendrai pas. Un invalide, voilà ce que je suis. Je me consolerai avec mes pin-up, comme d’habitude. »

Herst, qui était sensible, le plaignait en ce moment de toute son âme, mais, le connaissant, se gardait de manifester trop de pitié. Il resta coi, ne sachant qu’ajouter sans affliger davantage son ami. Martial Gaur profita de son silence et reprit, en le guettant du coin de l’œil, avec l’expression du pêcheur qui lance sa mouche sur une truite, « Pardonne-moi mon humeur morose, mais j’enrage parfois quand je constate combien je suis diminué... Figure-toi que j’avais tout de même déniché un coin, un peu éloigné certes, mais où j’aurais été à l’abri de la foule. Il est probable que personne n’y pensera. Seulement, voilà ! Il faudrait encore être valide pour atteindre ce perchoir, pouvoir escalader. Et cela aussi m’est interdit.

— Un perchoir isolé auquel personne ne songera ? fit Herst changeant aussitôt de visage. Où as-tu découvert ça ici ?

— Ça t’intéresse ?

— Si ça m’intéresse ! Tu plaisantes ?

— C’est vrai. J’oublie toujours tes soucis professionnels et je ne pensais certes pas à la sécurité. Remarque que c’est sans doute sans importance, mais si tu tiens à vérifier toi- même, allons dans cette rue... Ou plutôt, c’est inutile. On doit très bien voir d’ici le coin en question. Regarde. »

Il entraîna son ami sur le parvis de l’église et le fit placer au centre, à l’endroit même où se trouverait le président.

« Là-bas.

— Bon Dieu ! s’écria Herst avec une sorte de rugissement.

Mais tu as raison. »

Il avait aperçu le bord de l’échafaudage, recouvert d’une bâche, parfaitement visible de l’endroit où il était planté.

« Et cela n’a attiré l’attention de personne ! gémit-il. Les inspecteurs ont conclu qu’il n’y avait rien à redouter dans cette rue.

— Les choses les plus évidentes nous échappent parfois, murmura Martial. Je l’ai remarqué bien souvent. »

Et il ajouta sur un ton de complète indifférence, « Tu crois qu’il y a lieu de faire surveiller cette maison ?

— Je te fous mon billet qu’elle va être surveillée, hurla le gorille, sortant un carnet de sa poche et se mettant à prendre des notes d’une main fiévreuse... Mon vieux, je te dois une fière chandelle.

— Bien content si cela peut te rendre service, dit Gaur sur le même ton.

— Je te revaudrai ça... si, si, je te le promets. Une occasion de prendre un cliché hors de l’ordinaire de notre cher président, si c’est cela qui t’intéresse. Toi, tout seul, là !

— Vraiment, fit Martial, attentif.

— Et peut-être plus tôt que tu ne le crois. Je t’en reparlerai...

Quand je pense que n’importe qui aurait pu grimper là-haut et se cacher sans que nous nous en avisions. Ce perchoir nous avait échappé à tous.

— C’est mon entraînement professionnel. dit Martial Gaur avec un petit rire modeste.

— Un photographe doit tout voir. J’ai encore l’œil assez bon, si la jambe est mauvaise. »

Il se détourna pour dissimuler sa satisfaction, tandis que l’autre continuait de prendre des notes. Il avait donné un début d’impulsion à un certain train d’événements, sans savoir encore d’une manière précise où cela le mènerait. Mais ceci n’était qu’un premier pas. Il devait en accomplir un deuxième pour entretenir l’élan et il n’avait pas de temps à perdre. Une enquête allait être sans doute ordonnée et la maison serait soumise à une surveillance stricte dès le lendemain.

« A propos, dit-il à Herst, je te demande de m’excuser pour ce soir, mais à mon tour, je ne suis pas libre pour dîner. Un travail urgent. »

Il lui fallait, ce soir même, avoir un entretien avec Olga, pour retenir les événements dans les limites que son esprit subtil avait fixées à titre temporaire.

XI

Assis à côté d’Olga dans un restaurant peu fréquenté de Montparnasse, Gaur admirait plus que jamais le sang-froid de son amie. Elle accueillait des renseignements qui devaient déclencher une tempête dans son esprit, sans paraître y attacher plus d’importance qu’à un banal fait divers. Il était d’ailleurs aussi satisfait de sa propre maîtrise et du naturel avec lequel il l’avait aidée à aiguiller la conversation sur le sujet qui leur tenait à cœur à tous deux. Ils étaient aussi bons comédiens l’un que l’autre. Leur dialogue s’apparentait à une escrime subtile et touchait parfois au grand art. C’était lui, toutefois, qui dirigeait le jeu.

La comédie avait commencé vers sept heures lorsque, ayant frappé à sa porte, il lui demanda d’un air enjoué et presque timide si elle ne serait pas encore libre pour dîner avec lui ce soir-là.

« Tu commences à me faire perdre mes habitudes de vieux célibataire », lui dit-il avec une tendresse bourrue.

Il s’était mis à la tutoyer la veille, avec des hésitations, se reprenant parfois, jouant le rôle d’un ours qui s’apprivoise peu à peu à son insu et même contre son gré et qui se sent troublé de constater qu’il est plus épris qu’il ne le désirerait.

« Chéri, je crois que moi aussi… »

Bravo ! Elle avait d’excellentes répliques. L’élan qui la jeta dans ses bras était un modèle de spontanéité.

« Tu es libre ?

— Pour toi, bien sûr. Même si je ne l’étal pas, je m’arrangerais. » Il la regarda avec ravissement.

« Chérie !... Mais tu ne m’en voudras pas si je suis obligé de te quitter assez tôt. J’ai une réunion de mon syndicat à dix heures, à laquelle je dois assister.

— Je me ferai une raison... Mais ne m’avais-tu pas dit hier que tu dînais avec ton ami Herst ? »

Elle avait bonne mémoire quand il s’agissait de Herst. Il ne manqua pas de saisir cette occasion pour lancer un avertissement préalable.

« Je J’ai rencontré cet après-midi et je me suis décommandé. J’avais trop envie de te revoir... Lui-même, d’ailleurs, est très occupé en ce moment. Il n’a plus une minute à lui. Figure-toi qu’il s’est brusquement aperçu que le plan de sécurité pour le mariage présentait d’affreuses lacunes. Le pauvre vieux ! Je suis sûr qu’il n’en dormira pas cette nuit. Je te raconterai tout cela : c’est tordant. »

L’ayant ainsi mise en appétit, il l’admira encore de ne réagir que par une légère palpitation des cils. Elle s’abstint de poser des questions et il n’insista pas pour l’instant.

« Tu me donnes une demi-heure pour me raser et me changer ?