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— Une demi-heure. Pas une minute de plus et je viens te chercher. »

Rentré chez lui, il avait ouvert en grand les robinets de sa baignoire et poussé avec fracas la porte de sa salle de bain, demeurant à écouter en silence dans sa chambre. Il n’eut pas longtemps à attendre. Le murmure qu’il entendit bientôt ne le surprit pas. Elle téléphonait, elle alertait Verveuil. Sans distinguer ses paroles, il savait qu’elle lui fixait un rendez-vous pour le soir même. Ce n’était pas dans un autre dessein qu’il avait pris soin de la prévenir de l’obligation où il serait de la quitter après le dîner.

« Figure-toi que ce malheureux Herst... »

Après qu’il eut commandé le repas avec un soin inaccoutumé, ils n’avaient échangé que des banalités pendant un assez long moment. Il se demandait avec curiosité si elle parviendrait d’elle-même à amener la conversation sur le sujet brûlant, ou bien s’il serait obligé de le faire. Ce fut elle qui ouvrit le feu, avec une adresse qu’il apprécia encore.

Elle posa sa main sur la sienne, lui décocha un regard débordant de tendresse et lui dit d’un air pénétré :

« Il faut que je te l’avoue. Tu ne peux savoir le plaisir que tu m’as fait en préférant ce soir ma compagnie à celle de ton ami.

Mais es-tu sûr au moins de ne pas l’avoir vexé ? Je ne veux à aucun prix être une cause de froissement entre vous. »

Ce n’était pas mal du tout. Il éprouva pour elle en cet instant un penchant presque sincère et décida de l’aider aussitôt.

« Chérie, je t’assure que je n’aurais pas hésité à le contrarier pour me rendre libre, mais je te répète que je n’ai pas eu à le faire. Il est surchargé de travail et n’a plus le temps de manger.

Imagine-toi... »

Le biais était trouvé. Il n’avait plus qu’à se laisser aller le long de cette voie.

« J’ai eu envie de rire tant il était déconfit. Imagine-toi que le malheureux vit dans une transe depuis cet après-midi ; et cela, à cause d’un échafaudage... A cause d’un échafaudage ? »

Sa voix avait eu tout de même un accent un peu rauque et il sentit frémir ses doigts. Il feignit de ne pas s’en apercevoir.

« Un échafaudage, parfaitement. Je n’ai pas très bien compris ses explications qui relèvent de la géométrie. En bref, il était allé jeter un coup d’œil sur l’église où doit avoir lieu le mariage présidentiel... Je t’ai parlé de ses craintes, tu te rappelles ? Eh bien, alors que divers agents chargés de la sécurité avaient déjà inspecté la place, Herst, qui a du coup d’œil, s’est aperçu qu’un certain échafaudage, dans une petite rue, je crois, avait complètement échappé aux enquêteurs et qu’il offre un poste idéal pour un tueur éventuel. A l’heure actuelle, Herst est en train d’alerter tous les services pour faire surveiller la maison, enquêter sur les occupants, etc. Drôle qu’on ne s’en soit pas méfié plus tôt, tu ne trouves pas. »

Elle ne répondit pas tout de suite. Elle avait un peu détourné la tête. Elle le regarda de nouveau après un court instant et commenta sur un ton indifférent :

« Je suppose que cela ne doit pas être drôle pour ton ami.

Mais a-t-il des raisons sérieuses de croire qu’on veut attenter à la vie du chef de l’Etat ? A notre époque, cela me paraît fantastique. »

La conversation prenait une orientation qui servait à merveille son plan de manœuvres. Il se garda de la laisser dévier et répondit sur un ton dubitatif :

« C’est une question que je me suis posée. Certes, il y aura toujours des enragés ou des insensés. Pourtant, je crois que Herst subit un peu une déformation professionnelle. Si tu veux mon avis, il faudrait être à la fois enragé et insensé pour se livrer à un attentat au cours d’une cérémonie comme celle de la semaine prochaine.

— Tu crois ?

— Réfléchis. Tous les services sont mobilisés et, même s’il leur arrive d’omettre un détail comme l’échafaudage, il est peu probable qu’un assassin puisse réussir son coup. En tout cas, même s’il y parvenait, il n’aurait aucune chance d’échapper à la police. Toutes les dispositions sont prises pour boucler le quartier en un clin d’œil.

— Vraiment ?

— C’est du moins ce que Herst m’a affirmé, dit-il sur un ton léger. Et il est certainement mieux renseigné que quiconque. »

Un long silence suivit. Un sujet de peu d’importance en somme paraissait épuisé et ni l’un ni l’autre ne semblaient vouloir ajouter d’autres commentaires. En fait, Martial Gaur se concentrait en vue de la prochaine remarque qu’il allait faire, une phrase banale qui paraissait devoir donner une conclusion définitive à un entretien futile, à laquelle il n’accordait pas en cet instant une portée excessive, mais dont il sentait intuitivement quelle était une pierre nécessaire à l’édifice qui commençait de s’échafauder dans son inconscient.

Aussi prit-il grand soin d’insérer cette remarque entre deux silences d’assez longue durée, comme un virtuose isole une série de notes brillantes pour les mettre en valeur. Ceci ne nuisît en rien, au contraire, au parfait naturel de son accent et à l’air de détachement total avec lequel il enchaîna.

« ... Alors qu’avec un président comme Pierre Malarche, qui est bien connu pour donner des entorses à la discipline sévère de l’Élysée et dont l’esprit d’indépendance fait souvent le désespoir de ses gardes du corps, il doit se présenter pour un criminel des occasions bien plus faciles et beaucoup moins dangereuses... »

XII

LE mariage se déroula sans incident. Des milliers de photos furent prises du président sortant de l’église au bras de sa jeune femme, mais elles se ressemblaient toutes, et ne présentaient en aucune façon cette note insolite, seule capable d’allécher un esthète comme Gaur. Il ne s’était même pas dérangé et suivit tout simplement la cérémonie devant son poste de télévision. Il avait de bonnes raisons de penser qu’elle ne serait pas troublée, mais ressentit tout de même un profond soulagement quand elle s’acheva. Le président était sauf et ne se douterait sans doute jamais du risque couru par lui.

Un autre personnage fut délivré d’un grand poids quand Pierre Malarche eut quitté l’église et surtout quand il se retira dans ses appartements à la fin de la journée. Herst appela Martial au téléphone moins d’un quart d’heure après avoir terminé son service.

« Alors ?

— Alors, ouf !

— Vraiment ?

— Tu ne peux pas deviner combien je me sens léger. Tout s’est bien passé. Je vais avoir maintenant au moins une quinzaine de tranquillité, car il ne se produira pas en public pendant quelque temps. Je voudrais te voir J’ai peut-être une proposition intéressante à te faire et, avant tout, des remerciements à t’adresser.

— Des remerciements ?

— Oui. Il semble bien qu’il y ait eu quelque chose de louche dans cette maison à l’échafaudage.

— Quoi !

— Je te raconterai. »

Ils se donnèrent rendez-vous dans un bar. Dès que Martial arriva, Herst, qui avait déjà vidé son verre, l’entraîna dans le coin tranquille où il avait choisi sa table.

« C’est moi qui arrose, aujourd’hui, dit-il. Je te dois bien ça.

Sais-tu que ton œil de photographe nous a probablement rendu un immense service ? Cette maison que tu avais repérée est suspecte.