Выбрать главу

C’était la pointe surtout qui le fascinait. La pointe du poignard émettait des effluves invisibles mille fois plus intenses que le rayonnement lumineux. L’intersection des deux arêtes matérialisait dans son délire le sommet étincelant du triomphe, le pôle radieux de toutes ses ambitions, entrevu depuis des années dans un rêve quotidien sans jamais se laisser conquérir, une sorte de point oméga mystique marquant l’assouvissement total de ses désirs, au sein d’un paradis réservé à une élite d’audacieux. L’arme tout entière prenait la valeur sacrée d’un symbole, devenait le signe flamboyant d’une religion d’initiés, que le dieu du petit nombre, dieu arrogant mais occasionnellement curieux de certaines réactions humaines, avait abattu à ses pieds pour peser sa détermination et éprouver sa vertu. ... Une fraction de seconde seulement, un atome de temps dilaté par un prodigieux tourbillon spirituel, exalté par un cyclone de passions assez violentes pour donner de la valeur à une existence ! Ce paroxysme ne pouvait être prolongé sans péril plus longtemps et la durée était trop précieuse pour qu’il se permît une plus longue hésitation. C’était une de ces circonstances exceptionnelles où l’artiste doit prendre une résolution rapide, instantanée, instantanée comme le déclic d’une caméra, comme un battement de cils, le battement de cils d’Olga, dont il sentait sur lui le regard brûlant.

Un étrange calme s’abattit sur lui. Sa décision était prise.

Certains gestes, chargés d’une signification immense, sont presque triviaux. Celui-ci était de ceux-là. Il était à peine perceptible. Il ne portait qu’une atteinte légère au dogme d’impartialité auquel le photographe avait toujours été fidèle.

Martial n’avait même pas besoin de se baisser.

Un petit coup de pied sec, exécuté d’une façon tout à fait naturelle du bout de sa jambe artificielle, comme il aurait projeté sans y penser un galet importun, envoya le poignard tout juste un mètre en avant, sur la main d’Olga.

C’était fait. Il n’avait plus qu’à se reculer un peu, à se jeter à plat ventre, avant de porter l’appareil à son œil et de saisir le document sensationnel pourchassé pendant toute une vie, qui comblait enfin ses espoirs les plus ambitieux.

Il pressa une première fois la détente au moment où la pointe du poignard perçait la poitrine du président.

L’expression de haine gravée en cet instant dans les yeux d’Olga aurait justifié à elle seule la valeur de cette image.

Il eut encore le temps de prendre un second cliché, tout juste avant que Herst ne sautât sur la furie, une vue à bout portant du malheureux président, cette fois frappé à mort, une photographie qui fixait pour l’éternité toute l’horreur de l’agonie, rehaussée par une profusion de détails qu’aucun chasseur d’images n’avait jamais rassemblés sur une pellicule, un document unique par la personnalité du sujet principal, par la somptuosité du décor et auquel l’aigle blessé étendant ses ailes au-dessus du corps sanglant ajoutait la note romantique, la dernière touche nécessaire pour soulever la passion frénétique du grand public en même temps que l’approbation des connaisseurs et des artistes – la marque éclatante du succès.