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Il fut amené à mentionner par hasard une certaine collection de ses meilleurs clichés, à son propre jugement, parmi lesquels beaucoup n’avaient jamais été publiés pour des raisons diverses. Elle le pria de les lui montrer. Il les gardait dans un tiroir, ne les faisant jamais voir à personne et ne les regardant que rarement lui-même. Elle manifesta une insistance si amicale qu’il ne pouvait se dérober. Il l’amena dans sa chambre qui, par hasard, était voisine de la sienne et, après avoir sorti son album, se laissa encore aller à évoquer d’autres souvenirs, avec un peu de l’enthousiasme d’autrefois, ressuscité par cette sympathie.

Il parla longtemps, presque sans la regarder, chaque image donnant naissance à une anecdote nouvelle. Comme il parvenait au dernier cliché (c’était celui du fellagha responsable de son infirmité) le regard d’Olga rencontra le sien et il lui sembla y lire une émotion proche de la sienne. Cela lui avait paru ainsi sur le moment, peut-être parce qu’il avait perdu l’habitude des situations de ce genre. En y réfléchissant par la suite, et aujourd’hui encore – il avait la manie de revivre par la pensée certaines manifestations qui l’avaient troublé et de les analyser pour leur découvrir un mobile – cet émoi lui paraissait difficilement explicable. Il se prenait à la soupçonner d’avoir joué la comédie et feint des sentiments qu’elle n’éprouvait pas avec une habileté presque diabolique. L’instant d’après, il s’en voulait de ces suppositions.

Quels que fussent ses sentiments ou ses raisons, elle était tout naturellement tombée dans ses bras et devenue sa maîtresse. Cela n’avait pas été autrement compliqué. Il aimait la simplicité par-dessus tout et elle semblait l’apprécier aussi...

Bizarre, tout de même, répéta-t-il en songeant à cette aventure.

Mais sans doute était-ce son propre caractère qui l’incitait à trouver étrange une attitude parfaitement normale. Cela devenait chez lui une manie. Un moment auparavant, il était enclin à juger hypocrites et presque suspectes les amabilités de Verveuil. Voilà maintenant qu’il considérait avec réticence l’élan d’une femme éprise. Il fallait être lui, Martial Gaur, pour se tenir ainsi en permanence sur ses gardes.

Il eut un haussement d’épaules familier et, après une nouvelle hésitation gagna sa chambre sans bruit, renonçant à frapper à la porte de son amie. Après tout, il avait bien le temps de la voir, ce soir, ou demain peut-être, si Herst le quittait trop tard. Il devait lui rendre justice sur ce point : elle ne compliquait pas sa vie de vieux célibataire, assez bohème, farouchement épris de son indépendance et il lui en était reconnaissant. Il aimait la solitude à ses heures et n’aurait pu supporter qu’une femme s’incrustât dans sa vie à chaque instant. Rien à craindre à ce point de vue avec Olga Poulain, si tel était bien son nom.

Elle désirait ne lui apporter aucun souci, aucune entrave et elle avait pris grand soin de le lui faire entendre, ce qui avait été pour lui une autre source de stupéfaction.

Elle semblait satisfaite de passer de temps en temps quelques heures avec lui, sans jamais lui imposer sa présence.

Jamais encore, elle ne lui avait demandé de la « sortir » ; jamais elle n’avait souhaité être présentée à ses amis, dont le nombre était d’ailleurs limité : trois ou quatre bohèmes comme lui, comme Herst, qui, la cinquantaine ou la quarantaine passée, continuaient de mener une vie d’étudiants vieillis et dont les distractions favorites étaient le bridge, le billard et les échecs dans les cafés enfumés de la rive gauche.

« La femme idéale pour moi, en somme », murmura-t-il en déposant son matériel sur son lit.

C’était une constatation évidente, mais l’abondance des qualités qu’il reconnaissait en elle l’incitait encore à trouver étrange la coïncidence qui avait fait croiser leur chemin.

V

LA sonnerie du téléphone le surprit alors qu’il songeait encore à Olga, traînant en robe de chambre, après avoir pris une douche. C’était Herst, qui venait d’arriver.

« C’est toi ? Je suis en train de me changer. J’ai eu une journée fatigante. Je suis prêt dans dix minutes. Tu m’attends au bar ou tu viens ici ? »

Herst lui dit de ne pas se presser. Il ne faisait que passer pour lui serrer la main, n’étant pas libre ce soir pour dîner avec lui comme ils l’avaient projeté.

« Alors monte, et dis au barman de nous apporter à boire dans ma chambre. Tu as bien cinq minutes, tout de même ? »

Quand il poussa la porte, il lui sembla entendre un léger bruit dans la chambre voisine. Olga devait être là et l’entendait certainement accueillir son ami. Mais elle se tiendrait à l’écart, sans manifester sa présence, suivant son habitude. Il sourit ; il l’appréciait ainsi. Il eût agi de la même façon dans un cas semblable. Après tout, cette compréhension mutuelle devait pouvoir remplacer l’amour, qu’il était bien incapable de ressentir, lui, aujourd’hui et qu’il la soupçonnait encore de tenir à l’écart de ses préoccupations habituelles, malgré ses marques de tendresse.

« Comment va notre cher Malarche ? Pas encore assassiné ? »

C’était la plaisanterie traditionnelle par laquelle il saluait son ami. Ancien adjudant parachutiste, après avoir exercé différents métiers aventureux, y compris celui de boxeur et de judoka, Herst avait aujourd’hui une profession assez peu courante. Devant ses amis, il se définissait lui-même comme le gorille numéro un de la République. Il était en fait le chef des gardes du corps qui accompagnaient le président au cours de ses déplacements et des cérémonies officielles. En certaines périodes, ce n’était pas une occupation de tout repos.

« Le président se porte à merveille.

— Je me doutais que tu ne serais pas libre ce soir. Tu dois être sur les dents avec ces troubles.

— Ce ne sont pas les manifestations tapageuses qui me donnent du tracas. Au contraire, en ce moment, il se tient tranquille. Il ne sort pas. Je ne suis pas responsable de sa sécurité. C’est quand il règne un calme apparent et lorsqu’il met le nez dehors que je commence à trembler. La semaine prochaine, tu ne me verras pas souvent. Mais, dès ce soir, je dois assister à une conférence des huiles qui doivent préparer un plan d’ensemble et nous répartir le boulot pour la cérémonie.

— La cérémonie ? La semaine prochaine ?

— Tu ne sais peut-être pas que le président se marie samedi prochain, non ?

— Je l’avais oublié. »

Herst leva les yeux au ciel et émit quelques remarques sarcastiques au sujet de ces artistes qui vivent enfermés dans leur tour d’ivoire, sans jamais accorder la moindre pensée aux événements qui tourmentent le reste des humains. Puis, il jeta sa gabardine sur le lit et laissa tomber son corps d’athlète un peu alourdi sur le seul fauteuil de la chambre.

« Tu sais, moi, le mariage du président...

— Je sais. Tu t’en fous. »

Sans transition, comme cela lui arrivait parfois avec son ami, Herst donna libre cours au torrent des soucis qui alarmaient la fin de sa carrière.

« Si encore il se contentait d’un mariage simple, dans l’intimité, d’abord cela irriterait moins ses adversaires. On crierait moins fort au scandale et, surtout, la surveillance serait plus facile pour nous. Mais non ! Pas lui, tu ne le connais pas.