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— Alors je pars demain, reprit le Pistolero. Il va falloir que tu me suives. Combien reste-il de cette viande ?

— Un petit peu, c’est tout.

— Et de maïs ?

— Un peu plus.

Le Pistolero hocha la tête.

— Il y a une cave ?

— Oui.

Jake posa les yeux sur lui. Ses pupilles s’étaient élargies, devenant énormes et fragiles.

— Il faut tirer un anneau par terre, mais je ne suis pas descendu. J’avais peur que l’échelle craque et que je ne puisse pas remonter. Et puis ça sent mauvais. C’est le seul endroit par ici qui sente quelque chose.

— On se lèvera tôt pour voir s’il y a quelque chose qui vaille la peine d’être emporté. Et puis on partira.

— D’accord.

Le garçon marqua une pause, puis reprit :

— Je suis content de ne pas vous avoir tué pendant votre sommeil. J’avais une fourche et j’y ai pensé. Mais je ne l’ai pas fait, et maintenant je n’aurai plus peur de m’endormir.

— De quoi aurais-tu peur ?

Le garçon lui jeta un regard inquiétant.

— Des revenants. Que lui revienne.

— L’homme en noir, compléta le Pistolero.

Ce n’était pas une question.

— Oui. C’est un homme mauvais ?

— Je dirais que ça dépend d’où on se place, répondit distraitement le Pistolero.

Il se leva et lança son mégot au loin.

— Je vais me coucher.

Le garçon lui adressa un regard timide.

— Je peux dormir dans l’écurie avec vous ?

— Bien sûr.

Le Pistolero resta debout sur les marches, à regarder en l’air, et le garçon se joignit à lui. Le Vieil Astre était bien là-haut, ainsi que La Vieille Mère. Il lui semblait que, s’il fermait les yeux, il entendrait les coassements des premiers quinquets de printemps, qu’il sentirait l’odeur verte, quasi estivale, des pelouses qu’on vient de tondre (et qu’il entendrait aussi, peut-être, le claquement indolent des balles en bois quand les dames de l’aile est, déjà en chemise dans les miroitements du crépuscule qui tendait vers la pénombre, jouaient aux Points), il voyait presque Cuthbert et Jamie se glisser par les trous de la haie, l’invitant à faire une virée avec eux…

Ça ne lui ressemblait pas de penser autant au passé.

Il se détourna et saisit la lampe.

— Allons dormir, dit-il.

Ensemble, ils regagnèrent la grange.

VI

Le lendemain matin, il partit explorer la cave.

Jake avait dit vrai : ça sentait mauvais. Une puanteur humide de marécage, qui donna la nausée au Pistolero et l’étourdit un peu après l’air aseptisé et inodore du désert et de l’écurie. La cave sentait le chou, le navet et la pomme de terre, avec leurs longs yeux aveugles, livrés à la pourriture éternelle. L’échelle, cependant, paraissait tout à fait robuste, aussi descendit-il.

Le sol était en terre battue, et de la tête il touchait presque les poutres du plafond. Il y avait encore des araignées vivantes là-dedans, d’une grosseur dérangeante, avec un corps gris moucheté. La plupart étaient des mutantes, sans plus grand-chose à voir avec l’espèce d’origine. Certaines avaient des yeux au bout d’antennes, d’autres pas loin de seize pattes.

Le Pistolero jeta un coup d’œil circulaire et attendit que ses yeux s’accommodent à l’obscurité.

— Ça va ? fit la voix nerveuse de Jake, du dessus.

— Oui.

Il fit la mise au point sur le coin de la pièce.

— Il y a des boîtes de conserve. Attends.

Il se dirigea vers le coin avec précaution, rentrant la tête dans les épaules. Il aperçut un vieux carton, dont l’un des battants était replié vers le bas. C’étaient des boîtes de légumes — haricots verts, haricots beurre — et trois de corned-beef.

Il en ramassa autant qu’il pouvait en porter dans les bras et retourna vers l’échelle. Il grimpa jusqu’à mi-hauteur et tendit son chargement à Jake, qui s’agenouilla pour le réceptionner. Il redescendit faire le plein.

C’est au troisième voyage qu’il entendit le grognement secouer les fondations.

Il se retourna, scrutant l’obscurité, et sentit une vague d’horreur irréelle le balayer, un sentiment à la fois languissant et abject.

Les fondations étaient constituées d’énormes blocs de grès qui devaient être réguliers au moment de la construction du relais, mais qui formaient à présent des zigzags et des angles tordus. On aurait dit que le mur était gravé d’étranges hiéroglyphes sinueux. Et à la jonction entre deux de ces blocs au sens abstrus, un mince filet de sable s’écoulait, comme si de l’autre côté quelque chose était en train de se creuser un passage avec une urgence déchirante et bornée.

Le grognement montait et descendait, devenant plus fort, jusqu’à ce que la cave tout entière résonne de ce bruit abstrait de douleur formidable et d’effort atroce.

— Remontez ! hurla Jake. Oh, doux Jésus, monsieur, remontez !

— Va-t’en, lui dit calmement le Pistolero. Attends dehors. Si je ne suis pas revenu quand tu auras compté jusqu’à deux… non, trois cents, alors tire-toi de là.

— Remontez ! hurla de nouveau Jake.

Le Pistolero ne répondit pas. De sa main droite il tâta le cuir.

À présent, il y avait dans le mur un trou gros comme une pièce de monnaie. À travers l’écran de sa propre terreur, il entendait sur le sol les pieds de l’enfant qui courait. Soudain la coulée de sable cessa. Le grognement se tut, mais on entendait une respiration régulière et pénible.

— Qui êtes-vous ? demanda le Pistolero.

Pas de réponse.

Et dans le Haut Parler, gorgeant sa voix du vieux tonnerre de l’ordre, Roland exigea :

— Qui es-tu, Démon ? Parle, s’il te sied te parler. Mon temps est précieux ; ma patience plus chère encore.

— Va lentement, répondit une voix traînante et épaisse venue du mur. Et le Pistolero sentit la terreur irréelle, comme issue d’un rêve, monter en lui jusqu’à en être presque compacte. C’était la voix d’Alice, la femme avec laquelle il était resté dans la ville de Tull. Mais elle était morte ; il l’avait vue tomber lui-même, une balle entre les deux yeux. Des formes semblaient danser devant ses yeux, venues d’en haut.

— Va lentement, pistolero, passés les monts des Drawers. Prends garde au tahine. Aussi longtemps que tu voyageras avec ce garçon, l’homme en noir voyagera avec ton âme dans sa poche.

— Que veux-tu dire ? Parle !

Mais le souffle s’était tu.

Le Pistolero resta un moment immobile, pétrifié, puis l’une de ces énormes araignées lui tomba sur le bras et remonta frénétiquement jusqu’à son épaule. Avec un grognement involontaire, il la balaya de la main et finit par bouger les pieds. Il ne voulait pas passer à l’étape suivante, pourtant la coutume était stricte, inviolable. Ramenez les morts d’entre les morts, disait le vieux proverbe ; seul un cadavre a le don de prophétie. Il s’approcha du trou et donna un coup de poing dans la paroi. Le grès s’émietta facilement sur les bords et, avec un raidissement des muscles, le Pistolero enfonça la main à travers le mur.

Où elle rencontra une masse solide, avec des protubérances et des contours bien nets. Il la tira à lui. Il tenait une mâchoire, pourrie à son extrémité. Les dents penchaient de part et d’autre.

— Très bien, dit-il doucement.